Visiter: La splendide usine à caca

Après les immondes merdes de clébard, je vais vous parler des non moins immondes merdes d'humain :-) Enfin pas seulement, car le week-end dernier, enfin y a 2 week-end maintenant (ben ouais, ça prend du temps à publier), nous sommes allés gaillardement et en famille visiter la plus ancienne usine de retraitement des eaux usées de la ville de Prague.
Pipis, cacas, coupures d'ongles et cheveux gras. C'est délicat me direz-vous, mais ce n'est pas par coprophilie scabreuse que je souhaite vous en parler, mais parce que le splendide bâtiment dont il est question aujourd'hui est un musée, et un musée qui mérite vraiment une visite. Eh oui, parce qu'on ne se rend même plus compte aujourd'hui du confort, voire du luxe sanitaire dans lequel on vit. On tourne bêtement un robinet, et hop de l'eau propre et potable en coule, et même chaude parfois si on veut, ben tiens. Et une fois bien dégueulassée cracra par nos soins de détritus corporels et de produits hygiéniques, cette même eau est évacuée sans le moindre effort. Mais c'est un incontestable luxe dont on ne se rend même plus compte, car ça n'a pas toujours été aussi simple.

Historiquement, vous savez comment c'était la toilette, le bain et l'eau, on vous en a parlé à l'école des rois dégoûtants s'aspergeant de parfum pour camoufler leurs miasmes, du Louis XIV nauséabond comme un clopinard foireux et des précieuses mouchetées afin de camoufler sur leur visage la vérole, la gale et la vermine résultantes de leur négligence corporelle? Alors à Prague, tout a commencé dans la première moitié du XIII ème siècle. A cette époque, on utilisait déjà depuis longtemps les fosses sceptiques, les tas de fumiers dans les cours, les "j'te balance tout ça dans la rue" mais lorsque la nature bienveillante (par l'intermédiaire de la pluie) ne nettoyait pas tout ce merdier,
ben il restait là, s'accumulait avec tout le reste, et exhalait les aromatiques effluves que l'on peut aisément imaginer. Sans compter que bon, ok, on ne voyait ou on ne sentait plus rien (enfin disons moins), mais les bactéries, les virus, toutes ces sales bêtes microscopiques dont on n'imaginait même pas l'existence en cette époque envahissaient joyeusement les sols, les puits et les nappes phréatiques engendrant toutes sortes de maladies plaisantes, typhus, cholera, dysenterie... Jusqu'au jour où les moines du couvent de "Strahov" se posèrent (en latin) la pertinente question "mais dis donc, à quoi c'est-il que ça sert qu'on s'agace à secouer l'encensoir dans la maison du Seigneur alors que ça fouette comme dans la tanière d'un fennec diarrhétique?".
C'est ainsi qu'en réponse à la source du problème, ils installèrent la toute première canalisation qui évacuait les eaux usées vers "Malá Strana" puis hop, dans la "Vltava". C'était pas compliqué non plus, parce que compte tenu de la géographie du couvent (encore plus haut que le Château de Prague), il suffisait de mettre un tuyau, et hop, l'eau s'écoulait naturellement le long de la colline vers le bas. Et la salubrité allant de l'avant, doucement mais sûrement, on commença à paver les rues tout en aménageant en leur milieu la fameuse rigole permettant de tenir le haut du pavé. Enfin c'était résoudre le problème qu'a moitié, parce que soit vous marchiez au milieu de la rue dans la merdasse de la rigole, soit vous marchiez à proximité des habitations et risquiez de prendre sur la tête le contenu du seau (de merdasse aussi) que les habitants vidangeaient régulièrement par les fenêtres.

Au début du XIV ème siècle l'on vit apparaître les premières évacuations des habitations vers la fameuse rigole de la rue. Il s'agissait d'un simple conduit en pierre, style gouttière à l'air libre, qui plus est ne résolvait que la problématique des eaux, aucunement celle des latrines. Le premier exemple à Prague date de 1310, dans la maison du prévôt, rue "Ostruhová" (aujourd'hui "Nerudova"), qui (le prévôt) devait sans doute en avoir le plus besoin (de la gouttière). Mais pareil comme avec les moines, pour ceux qui sont déjà montés au château par cette rue, la pente fortement inclinée se prêtait parfaitement à l'ouvrage.
Bref, pour les fosses, on inventa les boueux, crotteux, puis éboueurs et aujourd'hui agents de surface ou agents de salubrité urbaine, qui étaient en charge de vider, lorsque nécessaire, les fameux trous à merde. Beau métier je dois dire, nécessaire, certes, mais peu enviable. Tellement peu enviable d'ailleurs, autant pour l'agent que pour l'occupant de la demeure, que ces évacuations de fosses n'étaient faites que très occasionnellement. Le plus grand nettoyage eu cependant lieu en 1422, lorsqu'on procéda à une vaste vidange des tartisses de la ville mais pas dans un but d'assainissement mais à des fins militaires. En effet, après la destitution de "Zikmund" en 1420 (Sigismond de Luxembourg), le prince "Zikmund Korybut" (Lithuanien) lorgnant sur la couronne de Bohême alors vacante décida d'aller la chercher lui-même dans le château de "Karlstejn" (jamais mieux servi que par soi-même...).
Après plusieurs mois de siège infructueux du château par les hussites et les praguois, "Zikmund" décida que ça commençait à bien suffire, et qu'emmerder pour emmerder, il allait rendre la monnaie de leur pièce aux empêcheurs de régner en rond du castel. Il fit ainsi vider tous les trous à merde que comptait la ville de Prague, soigneusement conditionner la précieuse marchandise dans quelques 2000 tonneaux (chiffre à prendre avec du recul, certains historiens tendent à l'amoindrir fortement), et transporter prestement par char à boeufs express l'odorant chargement jusqu'aux abords de la forteresse. J'vous dis pas le ravissement qu'éprouvaient les convoyeurs de la caravane.
Selon les chroniqueurs de l'époque, le fumet exhalait jusqu'à Moscou, que le nuage de Tchernobyl à côté c'était du pet de nonne chez Marionnaud. Aux abords du château, la chierie fut chargée sur des catapultes, agrémentée de charognes humaines et animales de préférence contaminées par des maladies hautement contagieuses et mortelles (lèpre, cholera, tuberculose, grippe à bière) puis l'on expédia l'abondant assortiment derrière les murs d'enceinte de la forteresse en chantant des "hapi beursdés touillou". Ah ça, pour sûr, on avait le sens de la bouffonnerie singulièrement développé en ces temps là, on savait plaisanter. Quoi qu'il en soit, et malgré leur acharnement à l'ouvrage, les assaillants ne purent jamais déloger les assaillis (le château de "Karlstejn" du reste ne fut jamais pris de toute son histoire),
et en dehors d'avoir bouleversé pour des décennies les routes habituelles des oiseaux migrateurs sur un rayon de 100 km, les Hussites auront également un tant soi peu assaini les fosses à merde de la capitale tchèque, principal vecteur de maladie grave en ces temps.

Pis plus de rien de notoire, sinon la peste bubonique en 1483 qui aurait fait 30.000 mort à Prague en partie de par l'absence d'évacuation, mais en terme d'égout plus rien, jusqu'à la fin du XVII ème siècle où les jésuites du "Klementinum" installeront des canalisations dans leur collège,
contraints et forcés par les centaines de culs de collégien déféquant quotidiennement (et même plusieurs fois pour les bien-portants). Mais à nouveau, bien que l'idée fût originale pour l'époque, techniquement il n'y avait pas de quoi crier au miracle du p'tit Jésus plombier quand on sait que le collège n'est qu'à 50 m de la "Vltava". A proximité de la "Vltava", un tuyau et hop, le caca s'en va.

Il faudra attendre la fin du XVIII ème siècle et l'ingénieur en chef "František Antonín Leonard Herget" pour voir enfin émerger un vrai projet d'égouts souterrains pour la ville.
François en dessinera les plans détaillés de quelques 20 km qui seront approuvés et mis en chantier en 1787. Mais les travaux avançant lentement, Joseph II en guerre contre les Ottomans, Napoléons mettant le foin à toute l'Europe, et pour finir notre ingénieur trépassant en 1800, ben faudra encore attendre un peu avec les conduits, eh vouis. Signalons aussi que le nom "Herget" est associé à la briqueterie "Hergetova cihelna", rue "Cihelná" (ben tiens), sur ce petit monticule où encore au milieu du XVIII ème siècle l'équarrisseur de "Malá Strana" besognait ses bestiaux devant les badauds amassés sur le pont Charles et qui (monticule) prit ainsi naturellement le nom de "Rasův vršek" (la butte de l'équarrisseur),
et qui en soit n'a rien d'exceptionnelle (la butte) sinon d'être en face d'une splendide brasserie (lisez mon article pour plus de renseignements)... attends-voir, j'en suis où moi... ah oui, et que (anecdote) parmi certaines responsabilités malheureuses prises par le "František Antonín Leonard Herget", il y eu celle de la démolition de la chapelle Bethléem où prêchait Jan Hus et qui sera reconstruite en 1952. Bon, je crois que j'ai tout dit d'important sur le François Antoine, alors retour à la plomberie.

C'est au burgrave "Karel Chotek" que l'on doit en fait les premiers vrais égouts à Prague. A la fin des années 1820, Prague comptait quelques 40 km d'évacuation souterraine vers 35 sorties directes dans le fleuve pour quelques 80.000 habitants. Evidemment à cette époque, on ne connaissait pas les retraitements, et donc tous les immondices jetés dans les égouts se retrouvaient quelques temps plus tard et tels quels dans la "Vltava" au grand bonheur des habitants d'en aval de Prague. Mais bon, c'était un début. Signalons également que ce brave burgrave s'est énormément impliqué dans la modernisation, l'assainissement et la conservation de Prague: pavement et élargissement des rues, second pont de Prague en 1841
(jusqu'à cette époque le seul pont entre les 2 rives de la "Vltava" était le fameux pont Charles), démoli en 1897 pour être remplacé par le "Most Legií", et que sans lui ("Karel") vous ne pourriez plus admirer la splendide rotonde St Martin (fin du XI ème siècle) à Vyšehrad (anecdote, encore).

Pis la ville grandissant avec l'ajout de nouveaux quartiers (140.000 habitants en 1850), la démolition des remparts, l'arrivée de nouveaux immigrants attirés par la splendeur de la ville et la qualité de vie unique, l'on se rendit vite compte que les conduits existants ne suffiraient jamais.
D'autant plus que leur conception souffrait de graves déficiences autant sur le plan matériel que sur le plan technique, pente imparfaite empêchant l'écoulement des substances, diamètres insuffisants lors des fortes sollicitations... On créa donc en 1871 une commission d'enquête pour l'étude de la problématique des eaux de la ville, en 1876 on constitua un comité pour résoudre les problèmes liés aux canalisations, et finalement en 1884 on lança un appel d'offre pour l'étude d'un projet destiné à prévoir une réflexion globale susceptible d'esquisser l'ébauche d'une solution analysant une réponse adéquate à la question préoccupante du réseau d'égouts de la ville de Prague.
En gros et succinctement, il s'agissait de résoudre le problème des eaux dans la ville, aussi bien des eaux domestiques (lavabos, bidets, toilettes...) que des eaux de pluies (pluies, neiges, nettoyage des rues...) mais aussi des eaux industrielles (abattoirs, laveries, bains municipaux...). En 1885, ce sont 5 projets dont certains allemands, italiens et autrichiens qui furent remis à la commission sans qu'aucun ne satisfasse vraiment. En effet, alors que certains dossiers préconisaient 2 réseaux différents (eaux domestiques pis les autres eaux), que d'autres n'en préconisaient qu'un seul, aucun n'avait prévu suffisamment de fonds occultes pour arroser copieusement les fonctionnaires concussionnaires. Ainsi les égouts, comme les projets d'ailleurs, restèrent tels quels jusqu'en 1889,
lorsque le bourgmestre tapa de ses 2 poings sur la table du conseil municipal après qu'un soir son voisin, dont le palais était situé 25 m au dessus du niveau de sa propre résidence, ait maladroitement tiré la chasse d'eau un peu trop fort et que ses étrons (du voisin) violemment éjectés par les toilettes du bourgmestre aient atterri dans sa baignoire (au bourgmestre) alors qu'il (le bourgmestre) y prenait son bain. La menace qu'il proféra à l'encontre des fonctionnaires indolents de leur introduire personnellement dans le rectum le contenu des 60 km de conduit d'à l'époque si les choses devaient rester en l'état, eu pour effet bénéfique d'accélérer prestement les initiatives. Ainsi dés l'automne 1889, le conseil municipal demanda une nouvelle et diligente étude auprès de l'ingénieur en chef de l'administration des canalisations ("Kaftan") lequel se mit en relation avec un ingénieur berlinois expert en égouts
("Hobrecht") pour rendre en février en 1891 leur copie intitulée "De comment éviter aux éminents membres du noble conseil municipal de s'en voir farcir de merdasse leurs respectables fondements par le distingué bourgmestre de la prestigieuse ville de Prague". Mais c'était sans compter sur l'inévitable facteur politique. Sans rentrer dans les détails et de façon à faire succinct tout en étant suffisamment clair, l'après révolution de 1848 a vu naître en Bohême deux courants politiques, les novotchèques et les rétrotchèques (nouveaux et anciens). En gros pour simplifier, voyez ça comme des démocrates et des conservateurs. Bien évidemment les uns ne pouvaient pas sentir les autres et inversement, comme toujours en politique. Et dans notre histoire de tuyaux, il se trouve que l'ingénieur en chef de l'administration des canalisations ("Kaftan") était rétrotchèque.
Et bien en mars 1891, soit 1 mois après la remise de la première copie et sans que personne ne leur ai rien demandé de quoi que ce soit, les novotchèques "Václavek" et "Ryvola", également ingénieurs de l'administration des canalisations, rendaient à leur tour une copie réalisée gratuitement et pendant leur temps libre, intitulée "De comment éviter aux fonctionnaires corrompus de l'archaïque conseil municipal de s'en voir bourrer de chierie leurs culs fainéants par le maire démocrate de l'avant-gardiste ville de Prague". Compte tenu de la publicité et du matraquage médiatique auxquels se livraient les partisans du dernier projet auprès du grand public, il était impossible au conseil municipal d'en ignorer l'existence (du projet).
Et bien entendu, pencher pour l'un ou pour l'autre projet signifiait faire gagner l'un ou l'autre parti. L'on décida donc de faire appel à un arbitrage neutre et expert (aujourd'hui on appelle ça un rapport d'audit par une société internationale de consulting), en l'occurrence au Sieur "William Heerlein Lindley", Britannique de son état, et dont les compétences en matière d'évacuation des eaux d'une ville n'étaient plus à démontrer puisqu'il eût oeuvré auparavant dans moult mégapoles européennes et tout particulièrement à Frankfurt Am Main. Sir William était non seulement un ingénieur certes efficace, mais fin diplomate de surcroît représentant avant l'heure cette engeance d'indispensables consultants dont le monde 100 ans plus tard ne peut plus se passer.
Ainsi avant même d'avoir donné son avis sur les dossiers, il se fit remettre une somme confortable pour son apport vital dans cette étude délicate, puis afin de ne fâcher personne déclara en 1892 les deux projets totalement irréalistes, coûteux et farfelus avant de soumettre aux imbéciles du conseil municipal en 1893 son propre projet abondamment inspiré par les meilleures idées des 2 précédents mais largement plus onéreux, le tout à nouveau rémunéré par une somme non moins confortable. Le fantastique projet du Sieur "William Heerlein Lindley" sera approuvé par toutes les administrations compétentes en novembre 1894 et en 1896 William signera avec la mairie praguoise un juteux contrat de 3 ans au poste d'ingénieur en chef de l'administration des canalisations. Chuis scié, y a vraiment rien qui a changé depuis, ni dans l'administration, ni dans le consulting!

Bref, ne jetons pas toute la pierre à William non plus. Certes son projet était le plus cher, mais malgré tout, il a su doter Prague d'un magnifique système d'égouts à l'époque à la pointe du progrès et de la technique grâce à la station d'épuration qui sera la première dans une ville à l'est de l'Allemagne avant la première guerre mondiale. Le trait de génie consistait dans l'enfouissement sous terre de toute l'usine limitant ainsi la prolifération de la vermine, des nuisibles (souris, rats, chats et chiens errant, clochards affamés...) mais également des émanations nauséabondes. Entre 1897 et 1901 l'on construisit toutes les canalisations nécessaires, et une grande majorité des 70 km est encore en service aujourd'hui. On creusa également un tunnel (en 1898) en forme d'oeuf (1,8 x 2,6 m, 1200 m de long, évacuant jusqu'à 5 m³/s de flotte boueuse) passant sous la butte de "Letna",
puis le long de la plaine, sous le Stade du Sparta de Prague jusqu'à la station d'épuration (avant l'ancienne, puis maintenant la nouvelle). La station d'épuration à proprement dite fut construite de 1901 à 1906 et fonctionna en totalité jusqu'en 1967 (chouette!). Elle fut la plus ancienne usine d'assainissement encore en fonction au monde, et bien que remplacée, elle ne sera pas démolie. Officiellement pour le cas où la nouvelle (construite sous et par les con-munistes) ne tombe en panne, en réalité parce que le parti n'avait pas d'argent à gaspiller dans une telle entreprise. Fort heureusement qu'elle resta en place, car aujourd'hui on peut ainsi admirer la splendeur de cette cathédrale entièrement dévolue au dieu "Cacaboud'un bou'gnassebêrk". C'est architecturalement parlant splendide et unique,
vous y verrez des corridors, des arcades, des dômes, des voûtes, des puits à lumière travaillés avec art et talent... Tiens, la crypte d'aération sous la cheminée (d'aération) commence par une large ellipse au plafond et redescend doucement vers le sol pour terminer en cercle. Unique vous dis-je! Et la qualité des matériaux, unique itou aussi. Bien que le béton était très en vogue à cette époque, Sir William préféra la brique, non seulement pour l'usine d'épuration, mais également pour les km de galeries. Et attention, pas n'importe quelle brique, l'administration des canalisations disposait de ses propres laboratoires pour tester les matériaux, et Sir William choisit les fournisseurs après de nombreuses visites des briqueteries environnantes ainsi que de nombreux tests chimiques de l'argile. Ces briques spéciales dites "sonnantes", de par le bruit spécifique qu'elles émettent lorsqu'on les toque (cling!),
étaient cuites 2 fois (comme le "gulash") pour augmenter leur résistance (encore que le "gulash" c'est pour une autre raison). Elles possédaient des formes (angles droits ou arrondis) et des tailles différentes selon leur emplacement dans l'architecture et d'après les documents de l'époque elles étaient livrées séparément, chacune emballée dans du papier protecteur. Quelques 8,5 millions de briques seront commandées dans le cadre du projet.

Bon, et comment ça marche tout ce bastringue me demanderez-vous? Ou comment ça marchait pour être plus juste? Alors imaginez donc que tous les petits tuyaux de toutes les petites maisons qui partaient des lavabos, éviers, toilettes...
arrivaient dans des tuyaux plus grands, lesquels arrivaient dans d'autres tuyaux plus grands, pour finir dans 3 canaux principaux (puis 4 plus tard). L'un de ces gros canaux (le A) faisait tourner une immense roue de plusieurs mètres (style moulin à eau) dans la crypte de ventilation afin d'aère tout l'espace de travail souterrain. Malheureusement comme les nombreux détritus arrivant par ce canal ne faisaient rien d'autre que de coincer cette foutue roue, on décida bien vite de la démonter au grand damne des gaspards qui y avaient installé un toutouyoutou fitness bar. En fait le tirage naturel de la cheminée de ventilation de 30 m de hauteur suffisait amplement à empêcher les ouvriers de suffoquer d'asphyxie.
Ces 3 gros boyaux de canalisation de la ville arrivaient donc dans un premier grand bassin où les eaux étaient filtrées mécaniquement par des grilles (de 7 mm d'espace) retenant les plus grosses saletés qu'elle contenaient: cadavres d'animaux et de clochards, morceaux de bois après les orages, feuilles mortes, peignes perdus, trombones à coulisse... Des ouvriers spécialisés raclaient régulièrement les grilles afin d'en retirer les précédemment cités immondices qui étaient entassés dans un chariot style wagonnet du fond de la mine, wagonnet qui une fois plein était évacué vers l'extérieur par un monte charge. Bien qu'à priori peut enviable, le boulot de "racleur de grille d'égout" était très prisé car tous les objets de valeur trouvés pouvaient être conservés par l'ouvrier,
montre à gousset, pince cravate en or, bouton de manchette, collier de la reine... Une fois séparées des plus grosses merdasses, les eaux continuaient dans un second bassin d'une longueur de 34 m et d'une profondeur de 6 m en forme de "V" et dans lequel le sable se déposait à la vitesse de 9 cm par seconde. Celui-ci provenaient principalement de l'arrosage/nettoyage des rues mais également des actes de vandalisme dont certains mauvais citoyens se rendaient coupables en jetant leur sablier obsolète dans les toilettes après acquisition d'une horloge à coucou. A ce stade l'eau était débarrassée de quelques 40% des immondices originels qu'elle contenait. Un aspirateur à sable faisait doucement la navette d'un bout à l'autre du bassin aspirant dans le fond du V tout le sable qui s'y était doucettement déposé.
Puis l'eau s'écoulait ensuite dans 10 autres bassins de décantation de 90 m de long et 12.000 m³ de contenance où se déposait la boue (ces bassins serviront encore jusqu'en début des années 1980), le limon et la vase. Et hop, l'eau ainsi nettoyée étaient tout simplement rejetée dans le fleuve. Le seul réel défaut du génial système était le manque de nettoyage bactériologique. Et oui, il faudra attendre encore quelques années pour que l'on débarrasse l'eau propre de ses microbes sales. Quant aux saletés, qu'est-ce qu'on pouvait bien en faire? Le sable par exemple était trié, lavé et revendu aux entreprises de construction. La boue,
le limon et la vase étaient retraités en engrais pour les cultures avoisinantes. Et le "qu'est ce qu'on peut bien en faire" était transporté sur l'île de l'Empereur pour y être brûlé ou enterré. Au début, toute la mécanique de l'usine était alimentée par 2 machines à vapeur de 100 chevaux chacune. Elles permettaient de faire fonctionner le monte charge, les pompes à sable, les pompes à limons, les pompes à boues, les pompes Moildard... puis au fur et mesure l'on passera à l'électricité (entre 1921 et 1924). Mais attention, les machines à vapeur sont toujours en état de marche et fonctionnent occasionnellement encore aujourd'hui.

Prévue pour nettoyer la merde d'1/2 million de personnes, l'usine ne suffisait pratiquement plus après 20 ans d'existence.
Elle sera remise aux normes et modernisée en 1927. Divers projets des années 30 ne seront pas réalisés pour raison financière, puis arrivera la guerre, puis arrivera la fin de la guerre, et quelques réparations minimales seront apportées jusqu'en 1947 mais la station restera globalement telle que depuis (1947) pour être définitivement arrêtée en 1967. Dans les années 80 des furieux mordus de vieilles machines à vapeur découvriront les monstres fabuleux qui se dissimulent dans le bâtiment délabré et les restaureront. La bâtisse entière sera déclarée monument historique en avril 1991.

A signaler encore qu'une autre curiosité du genre et dont personne ne soupçonne l'existence se trouve sur l'un des lieux touristiques les plus fréquentés, la place de la vieille ville. Lorsque vous vous mettez devant la grande horloge, vous savez, juste là où tous les curieux regardent la farandole des Saints aux heures pleines, alors au niveau du trottoir, vous verrez une magnifique porte en fer forgé semblant pénétrer dans la tour. Et bien il s'agit en fait de l'accès à l'un des noeuds d'égout le plus important. A 7 m sous le niveau de la place, se rejoignent 4 canaux de collecte des eaux usées venant des rues "Melantrichova", "Michalská, "Železná et "Celetná et poursuivent dans un seul boyaux sous la butte de "Letna" jusqu'à la station d'épuration de "Bubeneč". L'immense sale en coupole, partie intégrante du projet "Lindley", est faite des mêmes briques que la station d'épuration.
Le sommet du dôme se trouve à seulement 1 m juste en dessous des 27 croix marquant l'exécution en 1621 des 27 notables sur ordre de Ferdinand II. Aujourd'hui cet espace est fermée au publique, cependant il reste accessible aux curieux qui en font la demande. Avis aux amateurs...

Avant de terminer, je souhaiterais remercier le guide (j'ai pas noté/demandé son nom) passionné et passionnant pour les diverses explications dont il nous a gratifiées et sans lesquelles je n'aurais pas été en mesure de vous faire profiter d'une publie aussi complète,
en particulier des éléments techniques concernant l'édifice. J'aimerais également remercier ma femme de ménage pour les explications et les anecdotes historiques dont elle m'a fait part alors que d'une main elle tenait le fer à repasser et de l'autre la planche (à repasser aussi) croulante et instable (la planche, pas ma femme de ménage) qu'il faudra que je change sous peu (toujours la planche) mais j'ai pas le temps d'aller en acheter une autre et j'ai pas envie non plus parce que je ne suis pas spécialiste en planche (à repasser). Bref, l'année prochaine (en 2006), ils vont y fêter les 100 ans de la bâtisse, alors je ne vous dis pas les fêtes, les banquets,
et la bière qui va y couler. Je ne saurais donc que trop vous conseiller de surveiller sérieusement leur site Internet si vous ne voulez pas louper la fête à caca. Ah vouis, et aussi comme ils sont furieux de tout ce qui marche à la vapeur (pas à voile, juste à vapeur), ils ont (dans le musée) des tas de trucs introuvables, impensables (ils ont la rouille de la plus ancienne locomobile de la République) qu'ils rénovent avec amour pendant leur temps libre, donc je vous ai mis quelques photos aussi. Les amateurs sauront de quoi qu'il s'agit et s'ils habitent sur place (Prague, les amateurs) ils sont les bienvenus s'ils souhaitent donner une coup de main passionné à la rénovation/restauration de tout ce bastringue antique. Voilà, j'ai tout dit, alors je répète encore une fois allez-y, c'est trop top moumoune comme musée.

Commentaires

Chrixcel a dit…
Très très intéressant. Bien écrit. Un peu longuet, mais remarquablement bien documenté. Bref, je trouve ton article remarquable:) il est tard et, comme dit si bien le diction, "qui se sent merdeux se couche". Mais je reviendrai, pour sûr !
Strogoff a dit…
Merci merci, Chrixcel. Oui, longuet, bon, disons que comme il faut tout dire, alors ben voilà, ça prend un peu de place. Mais j'y réfléchis pour des textes plus courts, souvent, mais à chaque fois, une fois devant le l'ordinateur, hop, et ça pianote et ça pianote parce que les idées fusent, et donc voilà quoi.
Chrixcel a dit…
C'est pas un défaut en soi de vouloir être exhaustif et donc perfectionniste, heureusement tes longs articles sont agrémentés de photos, donc c'est plaisant à lire d'autant tu as un bon style. La longueur peut en rebuter certains,c'est vrai, mais c'est une vue de l'esprit :)

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