Festival: Noël, la démence et la carpe
C'est sûr qu'en cette saison, je ne pouvais pas éviter de vous en parler, des fêtes de Noël à Prague et de la frénésie furieuse qui s'est emparée de la populace. C'est dingue, depuis début novembre les gens ne parlent plus que de ça. "Et qu'est ce que tu fais à Noël, à la St Sylvestre...", puis "et les cadeaux, t'as déjà fais tes courses?" ou encore "ah ben flûte alors, chais pas quoi acheter à tata Germaine..." et aussi "puis j'y arrive pas, avec mon travail, les enfants, pépé et sa bronchite pulmonaire…". Enfin bon, hein, je ne vous apprends rien, vous devez entendre (et dire) ça tous les jours depuis 2 mois non? Ou alors vous n'habitez décidemment pas dans le monde hautement civilisé du délire mercantile, de l'aliénation frénéti-con-merciale et du fanatisme achat-ventesque caractéristiques de chaque fin d'année civile, c'est stupéfiant! Ou tout simplement vous n'êtes pas concernés, bien heureux que vous êtes.
En ce qui me concerne, je hais réellement cette période. D'abord parce que plus je vieillis, et plus je dois devenir un vieux con (c'est une règle infrangible), ensuite parce que la grande majorité des gens que je connais n'ont (comme moi) besoin de rien (s'il y a besoin, on achète, et on n'attend pas la fin de l'année pour se le faire offrir), et in fine, parce que c'est récurant, perpétuel et immuable, chaque année le même foin affligeant, à partir de novembre (bientôt au retour des grandes vacances, début septembre, ben tiens, à la vitesse où ça va). Souvenez-vous, quand vous recevez une somptueuse stupidité offerte avec amour et sincérité, mais dont vous n'avez strictement aucun besoin, d'autant plus qu'elle est très moche la stupidité, et que vous avez même des hésitations ne serait-ce que de la montrer aux rats dans la cave, alors vous vous imaginez honteusement le temps, l'argent et les soucis qu'a dû affronter l'attentionné bienfaiteur et vous êtes subitement pris de remords, la douloureuse contrition vous gagne, vous sentez l'opprobre publique pesez sur vos épaules et vous lâchez péniblement un "oh merci, mais il ne fallait pas" avant de vous dire, "ouf, bon, ben c'est fini pour cette année". Mais au fond de vous-même vous savez que vous n'y échapperez pas l'année suivante, c'est comme ça, récurant, perpétuel et immuable, à moins d'une catastrophe mondiale, d'une crise économique interplanétaire, d'un Armaguédon extraterrestre, vous devrez fatalement affronter les fameux cadeaux (pour les, et des autres) l'année prochaine. Et surtout, mais alors et surtout, ne pas en oublier de votre côté des cadeaux, pour tous, vous casser la caboche en cinq pour trouver un cadeau original et raisonnablement coûteux pour votre famille, vos amis, les connaissances de vos amis, les enfants des connaissances de vos amis, les cousins des beaux-frères des enfants des connaissances de vos amis qui vivent nus sur l'îlot de Nukuteatea à Wallis-et-Futuna mais qui recevront la superbe fourrure polaire Adidike en prévision du réchauffement climatique de la planète qui conduit, comme chacun sait, à un refroidissement global des températures (selon les scientifiques). Et je ne vous parle pas des pauvres miséreux, des nécessiteux crève-la-faim, des démuni-puants dans la rue qui n'ont rien, et à qui il faut penser en cette période de festivité, de bonheur, d'amour du prochain et de liesse collective imposée. On vous y fera penser, ne vous inquiétez pas, les Armées du Salut sont là pour ça, pour vous rappeler à votre devoir de bon chrétien, les vitrines, les affiches, les publicités téloches, les faux Pères Noël sonne-la-cloche avec leur fausse marmite en laiton sur trépied, drelin-drelin, tous vous y feront penser. Donnez à pleine main, c'est pour leur bien, dans les restaurants, donnez braves gens, à la sortie des magasins, donnez en plein, sur les marchés de Noël, donnez à la pelle, ne vous inquiétez pas, vous ne pourrez pas les louper, ils seront tous là pour vous rappeler qu'en novembre-décembre, il faut dépenser. Et dépenser tout, mais alors absolument tout ce que vous aurez pu économiser pendant le reste de l'année. Et si ça ne suffit pas, il y a les crédits, eh oui, allez-y. Prenez maintenant, payez ensuite, un crédit sur le Père Noël de l'année prochaine, et sans frais pendant 3 mois. "Quoi, vous n'avez pas dépensé à Noël?" vous dira-t-on, "mais vous rigolez ou quoi?", c'est sacrilège, c'est hérétique, c'est pisser au bénitier du bon Dieu de l'économie mondiale. Savez-vous seulement combien de milliers d'emplois sont menacés par votre inconséquence?
Bon, pour les loupiots je ne dis pas, c'est l'occasion d'avoir des supers beaux cadeaux d'un coup, hop, tout plein n'en voilà. Pis c'est surtout l'occasion pour eux de passer pour des andouilles bien grasses auprès des p'tits copains de l'école qui n'y croient plus, au Père Noël. Mais pareil, avant, quand les gens étaient pauvres, vraiment bien pauvres, pas comme aujourd'hui, ben les mouflets avaient au moins une occasion dans l'année de recevoir quelque chose, une orange, une poupée en chiffon, une voiture en bois. Mais aujourd'hui, citez-moi ne serait-ce qu'un seul galopin qui ne recevrait rien entre ses 2 Noël? C'est qu'il faut les nourrir velu les Playbox et les Nintendixmegastations à grand renfort de nouveaux jeux encore plus forts que les précédents d'hier, qui sortent tous les 2 mois, incompatibles au bout de 6, et périmés au bout de 12, juste pour Noël, comme par hasard.
Et la bouffe, vous voulez que je vous en parle de la bouffe de luxe bon marché de grande surface discount pas cher, pour que même les très pauvres puissent goûter au vrai bon luxe à bas prix et dépenser leur prime ASSEDIC? Vous voulez que je vous en parle des fois gras d'oie de canard de Pologne, du champagne mousseux de Reims made in CCCP (enfin Russie maintenant), des escargots de Bourgogne de Tchéquie, des dindes de Loué de Roumanie, des chapons de Bresse de Hongrie, des langoustes de Cuba canadiennes, des huîtres d'Arcachon de l'étang de Berre, du caviar de lump d'élevage véritable, des tranches de saumon fumé de truite espagnole et des pinces de crabes en surimi chinois avec de vrais morceaux (de quoi?) dedans?... Sans dec, j'ai vraiment l'impression que je suis décidemment un vieux con. Désolé, je ne voulais pas vous gâcher votre Noël. Non, sérieux, je m'en veux. Oubliez mes propos de pisse vinaigre et de bousilleur d'enthousiasme, c'est Noël après tout, alors oublions, pardonnons, joyeux Noël et bonne année. "Tiens chérie, passe moi encore une bière!".
Allez, hein, hop, un peu de joie et de bonne humeur, alors je vais vous raconter comment se passe une tradition typiquement Tchèque à Noël: la délicate préparation de la carpe panée. Alors signalons pour ceux qui ne le savent pas encore, qu'en Tchéquie, depuis lurette et même encore avant, la carpe panée est à Noël ce que les caisses sont au fût, c'est à dire inséparables. Et fort curieusement, autant les Tchèques à 95% respectent cette tradition, que la même proportion (95%) sera incapable de vous dire exactement d'où qu'elle provient et pourquoi. C'est ainsi que je parlerais au conditionnel, car de nombreuses hypothèses existent, les unes tout autant plausibles que les autres, mais sans plus de certitude que ça. Alors l'une d'elle dit que Jésus est Poisson (poisson en grec se dit ICHTHYS, et I = Iessous = Jésus, CH = Christos = Christ, TH = Theou = Dieu, Y = hYios = Fils S = Soter = Sauveur... Bref vous voyez le truc. Info ou intox?), et comme déjà la religion est cannibale ("mangez, c'est mon corps. Buvez...", et ça c'est pas de l'intox), l'introduction du poisson dans les assiettes à l'occasion de Noël serait donc dans la droite lignée des préceptes du Christ. D'autres mettraient ça au crédit d'une tradition juive. Oui, why not, sauf qu'il s'agit dans ce cas d'une carpe farcie et non panée et qu'elle se mangeait à nouvel an (me semble-t-il), sur la base du calendrier hébreux (ça j'en suis sûr) et non à Noël (chrétien). Puis encore d'autres prétendent qu'il s'agirait tout simplement d'une raison économico-religieuse, puisqu'il serait interdit de manger de la viande le soir de Noël (ah bon?!), pis comme la carpe est répandue, bon marché, genre mauvaise herbe, alors c'est devenu comme ça, un jour, plat de rigueur à Noël. Ca donne d'autant plus de sens, lorsqu'on sait qu'en Tchéquie, et tout particulièrement en Bohême du sud où les étangs sont légions, la pisciculture de la carpe remonte au XIV ème siècle (les étangs de "Třeboň" pour ne citer que le plus connu des coins). Il suffit donc de se baisser pour n'en trouver sous le sabot d'un cheval, de la carpe en Tchéquie. Pis l'y a aussi ma femme de ménage qui prétend qu'on aurait commencé à manger de la carpe parce que c'est con et moche comme animal, sans poil ni plume, pas comme des petits lapins, ou des petits canards, et que ça tombait bien parce que ça ne faisait de la peine à personne, même pas à Brigitte Bardot. Bon, ben voilà, allez savoir?
Ce qui par contre est sûr, c'est qu'aujourd'hui la tradition se perpétue grave. A partir de mi-décembre, les rues de toutes les villes, villages, Prague y compris, se remplissent de vendeurs de carpes vivantes car le bestiau doit être acheté vivant, eh ouais. Des centaines de carpes battent de la queue dans chacun des bacs de 2 m de diamètre posés à même le trottoir. Rien que pour Prague, on estime quelques 250.000 pièces vendues chaque année, soit 600 à 700 tonnes, ou 1 poisson pour 4 habitants. Evidemment, ça fait hurler les ligues de protection des animaux, mais bon, hein, en France, les dindes, les chapons, et les huîtres ne s'en sortent pas mieux. Bon, alors une carpe c'est quoi, c'est un poisson dont le nom officiel est "cyprinus carpio" de la classe "ostéichthyens", de l'ordre des "cypriniformes" et de la famille des "cyprinidés". Pour ceux qui n'auraient jamais vu à quoi ça ressemble, je vous en trouvé un beau morceau de carpe là, mais celles qu'on mange sont plus petites, entre 1,5 et 3 kg maximum, parce qu'après c'est gros, gras et pas bon (pis ça ne rentre pas dans la poêle). D'ailleurs globalement la carpe, c'est pas vraiment exceptionnel, pour tout dire c'est moyen, parfois avec un goût de vase, et une viande somme toute mole. Rien à voir avec une bonne truite à la meunière sur du beurre noir ou une darne de saumon au vin rouge et au four. Pis je ne vous parle pas des arêtes, une vraie pelote d'épingles, et vicieuse la pelote, pas des arêtes normales, genre qui peuvent éventuellement se croquer et s'avaler, non, des arêtes en forme de Y, pour être bien sûr qu'elles vont bien se coincer dans la gorge afin que vous passiez votre Noël à l'hôpital. C'est fait pour, et chaque année de nombreux Tchèques y ont droit, à la bouche ouverte comme une carpe à l'air et la pince fine du toubib jusqu'au fond, bien profond dans le gosier pour éviter l'étouffement du pauvre bougre qui n'a pas fait gaffe.
Bon, alors la recette de la carpe panée de Noël façon "à la Tchèque", parce que j'avais dit au départ que j'allais vous en parler quand même. La recette donc, c'est vachement simple, ça demande juste un peu de préparation, z'allez voir, mais c'est pas vraiment compliqué, du tout. Une semaine avant le 24 décembre... ah oui je ne vous avais peut être pas dit, mais en République Tchèque, les cadeaux, la carpe et l'hôpital, c'est le 24 au soir et pas le 25. Bon ça ne change pas grand-chose à la recette, par contre ça change pas mal au niveau de l'hôpital, parce que le soir c'est les urgences et il y a moins de monde pour vous accueillir, en France tout au moins. Ici c'est le contraire, le 24 décembre au soir il y a renfort de toubibs pour répondre justement à l'afflux des andouilles maladroites. On prend même des étudiants, hop, une formation d'une demi-journée, et ils sont opérationnels. De toute façon les patients arrivent tous avec le même symptôme, donc pas besoin d'avoir fait médecine, si vous savez arracher une dent de sagesse à un hippopotame, vous saurez retirer une arête de carpe d'une gorge de belle-mère. Bref, donc la recette. Une semaine avant le 24 décembre, vous remplissez généreusement votre baignoire d'eau froide, bien comme il faut, au 3/4 minimum. Puis régulièrement, c'est à dire toutes les 2 heures, la nuit y compris, vous battez l'eau à l'aide d'un fouet pendant un bon 1/4 d'heure afin d'en éliminer le chlore. Généralement, monsieur s'occupe de la rotation du matin (1 fois) avant d'aller au bureau, du soir (1 fois) en rentrant du bureau, et éventuellement du "plus tard le soir", en rentrant du bistrot, mais ça dépend beaucoup de la fraîcheur qu'il affiche en rentrant du bistrot, le monsieur, parce que s'il tombe dedans, la baignoire et les carpes, il est foutu d'aller se noyer (l'andouille) avant même de s'être étouffé avec les arêtes, alors gaffe. Quant à madame, elle prend le relais durant la journée puisque monsieur travaille, et dans la nuit puisque monsieur dort pour être en forme au travail le lendemain, ben tiens.
Au bout de 3 jours, votre eau dans la baignoire est prête, et monsieur se rend donc dans la rue d'en dessous de chez lui pour acheter les fameuses carpes. Prenez-en au moins 2, sinon vous allez en manquer, entre 1,5 kg et 3 kg, et surtout bien vivants les poiscailles. Les faignants et les niais les font tuer, vider et nettoyer sur place par le vendeur, mais c'est totalement couillon. Si vous avez de la chance, le poissonnier vous vendra également les oeufs et la laitance que les sots n'auront pas voulus, allez-y, achetez pour la soupe, c'est la seule chose qui est vraiment bonne, z'allez voir. Bon, alors avec vos 2 carpes dans un sac plastique, vous filez rapidement à votre bistrot local, vous vous jetez 2 bières pressions sur le pouce, au comptoir et vous rentrez dare-dare chez vous déposer les carpes dans la baignoire préparée à cet effet. Les bestiaux vont commencer par récupérer du choc psychologique du dedans le sac plastique, tourner en rond, battre de la queue et éclabousser partout, mais c'est pas grave, madame passera un coup de serpillière après, quand vous serez redescendu au bistrot. Au bout de quelques minutes, les bêtes vont s'habituer, cesser d'éclabousser partout, et vos gnafrons pourront jouer avec, les caresser, leur mettre les doigts dans la bouche, les nourrir avec toutes sortes de matières que les carpes mangent (corn flakes, mie de pain, M&M's...) ou ne mangent pas (legos, pantoufles, savon...). Les plus audacieux essayeront même vainement de les attraper à main nue, alors madame, inutile de ranger le seau et la serpillière tant que les poissons seront vivants, vous en aurez régulièrement besoin. Une fois que les bêtes sont dans la baignoire, n'oubliez pas encore de battre l'eau, non pour en éliminer le chlore, mais pour apporter de l'oxygène dans l'eau, pour les 2 carpes "Karel" et "Pepa". Une demi-heure de battage toutes les 4 heures, la nuit y compris si vous ne voulez pas retrouver le matin vos chéries flottant le ventre en l'air au grand désespoir des bambins qui commençaient à s'y habituer. Avec un peu de chance, monsieur, et si vous savez vous y prendre, vous arriverez même à éviter les corvées d'oxygénation du matin et du soir. Les 2 gaillards à écailles vont ainsi passer 3 jours complets dans votre baignoire, et donc le 23 décembre, un jour avant l'hôpi... le repas, vous devrez exécuter les 2 malheureux. Ben ouais, désolé, mais c'est un travail d'homme, et puis faut bien que quelqu'un le fasse si vous n'avez pas votre belle-mère sous le coude (jamais là quand on en a besoin, mais pour emmerder le monde…). Alors un conseil pour mener à bien cette tâche, jetez-vous quelques bonnes bières auparavant, et surtout, oeuvrez en dehors de la présence des loupiots qui se seront réellement attachés aux poiscailles grâce auxquels ils ont évités pendant une semaine le bain quotidien, le savon et le champoing dans les yeux. L'heure de l'exécution ayant sonné, disons 22h, commencez par vider la baignoire. Certes, "Karel" et "Pepa" sentant venir la fin vont battre de la queue comme des dératés, mais vous aurez plus de facilité pour les attraper ainsi, la baignoire vide. De toute façon madame n'aura pas encore rangé son seau, alors hein, autant en profiter vu qu'il est à proximité. Pendant que l'eau s'écoule, allez chercher une planche à découper (à défaut un sac en papier style "courses chez l'épicier"), un maillet à piquets de tente, vous savez, bien gros avec la tête en caoutchouc noir (à défaut un marteau, mais c'est de la boucherie), un linge à vaisselle (à défaut des essuie-tout, mais c'est de l'amateurisme) et un plat (y a pas de défaut cette fois-ci, vous avez bien un plat chez vous non? Z'habitez pas dans une caverne?). Saisissez un poisson fermement entre vos 2 mains à l'aide du linge (essuie-tout) puis portez-le à la cuisine. Si vous faites ça pour la première fois, (ou que vous vous êtes, selon mon conseil, jeté quelques bières) il devrait vous échapper au moins une fois. Ce n'est pas grave, vous verrez, avec l'habitude... reprenez le bestiau gesticulant sur le carrelage, appelez madame et son seau afin d'éviter de vous croûter au retour, puis filez rapidement à la cuisine. Posez la carpe verticalement sur la planche à découper (la tête à droite pour les droitiers), le ventre bien sur la planche, et maintenez-la fermement d'une main (gauche pour les droitiers) sur le haut du dos toujours à l'aide du linge. Attrapez le maillet de l'autre main (droite pour les droitiers), et assénez violemment le coup fatal sur le haut de la tête au niveau des yeux, comme vous le feriez avec votre fumier de voisin qui tond sa pelouse le dimanche matin au lever du soleil. Si vous êtes vraiment maladroit, vous devrez vous y reprendre à plusieurs reprises, et parfois même ramasser le voisin... euh… la carpe au sol. Mais comme dit, rassurez-vous, ça viendra avec l'habitude. Une fois trépassé, posez le poisson sur le plat, et répétez l'opération avec l'autre lascar (de poisson, pas de voisin) resté dans la baignoire, vous verrez, ça devrait être plus facile. Pis c'est tout, rendez-vous compte bienheureux veinard que c'est tout, en ce qui vous concerne. Vous pouvez donc non seulement aller retrouver vos bons-à-rien de potes dans votre bistrot habituel, mais de surcroît vous serez totalement libéré de toute tâche le jour du 24. Vraiment trop fortes les recettes "à la Tchèque"!
Bien, madame c'est à vous, enfin. Une fois que vous aurez nettoyé la baignoire, l'eau qui a giclé de partout, les écailles et le mucus sur le sol de la cuisine puis rangé le seau et la serpillière, nous allons passer à la découpe. Attrapez fermement une bête par la queue (un poisson j'entends) à l'aide du linge, posez-la (la bête, pas la queue) à plat sur la planche de travail, et avec un grand couteau, enlevez les écailles dans le sens queue-tête. Si les carpes possèdent vraiment trop d'écailles, vous pouvez les tremper une petite minute (mais pas plus de 2 minutes) dans de l'eau bouillante, l'écaillage n'en sera que plus facile. Déposez un poiscaille sur la planche de travail le ventre vers vous, et ouvrez-le lui (le ventre) prudemment toujours dans le sens queue-tête. Attention, surtout n'enfoncez pas trop le couteau dans l'abdomen, vous risqueriez d'abord de percer la vésicule biliaire située sous la gorge, et votre carpe serait alors foutue car la bile donne un goût très amer à la viande, beurk. Pis aussi vous risqueriez d'endommager la laitance et les oeufs, alors faites hyper top attention, pas trop loin le couteau. Videz les bêtes, séparez délicatement la laitance et les oeufs du reste des viscères, puis réservez-les au frigidaire (la laitance et les oeufs, pas les viscères, évidemment, encore que...). Alors tiens, je signale juste que certains, mais pas tous, donc certains rajoutent dans la soupe les intérieurs (viscères) des bestiaux. Chais pas trop quoi des viscères, mais ce qu'il y a dedans le bide. Bon, moi personnellement, le "ce qu'il y a dedans le bide" et le beurk c'est du pouah, alors je ne le mets pas, mais si jamais vous voulez le mettre, alors triez, et réservez. Bon, ensuite séparez la tête et la queue des poissons, réservez également au frigidaire, puis découpez le reste des carpes en darnes (fer à cheval) d'environ 4 à 5 cm d'épaisseur. Ensuite séparez chaque darne en 2 parties égales (demis darnes), déposez les morceaux sur le plat, peau en dessous, viande vers le haut, salez sans poivrer et hop, frigidaire jusqu'à demain.
Passons à la soupe. Alors vous pouvez la préparer le jour même (le 24), mais moi perso, c'est le lendemain que je la préfère, comme le "guláš" (goulache en Français), une fois bien trempée, bien macérée. Pis ça vous évitera aussi du boulot le 24, car vous aurez déjà assez de quoi faire comme ça, croyez-moi. Préparez donc sous la main les 2 têtes et queues des carpes, la laitance et les oeufs, 1 oignon, 1 tranche de beurre de 4 cm d'épaisseur, 3 cuillères à soupe de légumes secs à cuire (vous savez, les trucs pour donner du goût dans la soupe, épices, carottes, céleris, persil...), 2 cuillères à soupe de farine, du persil en branche, une feuille de laurier, de la noix de muscade, sel et poivre. Prenez les 2 têtes, et séparez les des branchies, des yeux, des oreilles et des poils. Mettez-les à cuire dans de l'eau salée (raisonnablement) avec les queues, la feuille de laurier et l'oignon coupé en tranches moyennes. Si les morceaux de viande dépassent, rajouter de l'eau pour couvrir, puis couvrez la casserole d'un couvercle, genre. A ébullition, baissez le feu et laissez mijoter 10 à 20 minutes, selon la taille des têtes et la longueur des queues (ben ouais, comme d'hab.). Entre-temps, dans une autre casserole, faites fondre le beurre, ajoutez les légumes secs finement hachés s'ils ne le sont pas déjà, rajoutez la farine, et dorez tout en touillant touillant régulièrement. Lorsque le mélange prend une couleur brune, ajoutez un demi-litre d'eau, et laissez mijoter doucettement. Passez la viande (tête et queue) au chinois mais conservez le bouillon (dans une cuvette, contrepet, le bouillon dans une cuvette, ha ha ha :-), et posez les morceaux sur un plat pour refroidir (vous pouvez mettre à la fenêtre, mais faites gaffe aux chats, ces sales bêtes). Rajoutez le bouillon dans la seconde casserole, celle d'avec les légumes et la farine. Comme dit, certains rajoutent les intérieurs des bestiaux, chais pas trop quoi comme intérieurs, mais ce qu'il y a dedans le bide, les viscères. Bon, moi personnellement non, mais si jamais vous voulez les mettre parce que vous les avez remisées par devers vous, alors c'est le moment (de les mettre, les viscères). Arrive alors la partie de plaisir et de patience, le désossage des têtes et des queues. Commencez par peler les morceaux de viande, enlevez la peau, puis séparez la chair, toute la chair des arêtes, cartilages, et autres pas bons beurk pouah. Faites particulièrement attention, car les loupiots (comme moi d'ailleurs) vont se goinfrer sans faire gaffe, alors si vous ne voulez pas partir pour l'hôpital avant même d'avoir entamé la carpe, nettoyez bien consciencieusement. De toute façon vous avez le temps, monsieur est au bistrot et les enfants dorment, alors, hein? Rajoutez ensuite les morceaux de viande à la soupe en ébullition. Passez la laitance et les oeufs délicatement sous l'eau froide, retirez les résidus (les poils du…), et placez dans une petite casserole. Mouillez légèrement, enfin mettez un fond d'eau dans la casserole, salez, et cuisez à feu doux pendant environ 15 minutes. Passez au chinois, le bouillon dans la soupe, puis découpez en petits morceaux la laitance et les oeufs. Et c'est tout pour aujourd'hui, hourra, youpi, c'est fini pour la soirée. C'est pas cool ça? Bon, demain il faudra terminer la soupe, préparer la carpe et la salade de pommes de terres, mais c'est demain, donc ce soir douche, et hop, au lit car demain c'est réveillon (de Noël). Ah oui, et n'attendez pas votre mari, parce que c'est férié (demain), alors il n'est pas prêt de rentrer du bistrot, d'autant plus que plus rien ne l'attend, lui, vu que c'est férié et que les carpes ont déjà été occises. Ah puis allez, hop, je vous termine la recette de la soupe de carpe, hein, tant qu'à faire et vu qu'il ne reste plus grand chose. Donc une fois la soupe bouillie de nouveau, et au dernier moment, juste avant de servir, coupez en morceaux fins le persil en branche (lavé au préalable), puis ajoutez le, râpez toujours dedans la soupe un peu de noix de muscade et salez selon votre convenance, pis c'est tout. N'oubliez pas de préparer quelques croûtons avec la soupe, elle se mange avec des morceaux de "housky" ("houska", sorte de petit pain blanc sans équivalent en France) coupés en cubes d'un centimètre et reviendus sur une poêle avec un peu d'huile jusqu'à doration brune.
Et voilà le jour tant attendu pendant toute l'année, le fameux 24 décembre pour lequel la population tchèque (tout au moins) a été prise de frénésie hystérique pendant 2 mois, youpi hourra alléluia, "il est né le divin enfant, jouez au bois, revenez pompettes..."(?!) Maman est déjà levée depuis longtemps, tandis que papa se remet de sa biture tardive d'hier. Les moutards sont surexcités à l'idée des cadeaux, mais assez perplexes devant la baignoire vide, se demandant mais où c'est-il donc que ces bougres de "Karel" et de "Pepa" ont bien pu aller se fourrer pendant la nuit? C'est ainsi qu'il vous appartiendra, dès le réveil (et avec la gueule de bois), d'informer vos mignards curieux du sort des poiscailles puisque maman se sera fendue d'une réponse évasive, style "demandez à papa quand il se réveillera, il s'est couché après moi alors il doit savoir, lui". Oh ben pour sûr, vous pouvez leur inventer une histoire sympa, genre pour éviter la tragédie des larmes, mais si vous n'avez pas prévu le scénario un peu à l'avance, alors avec votre tête blindée, le cerveau encore farci des effluves d'éthyle, z'êtes cuits. Lors pour éviter d'être pris au dépourvu, quand les gnafrons s'ront viendus, préparez leur une histoire, genre que vous avez vidé la baignoire (ce qui, jusque là, est vrai) pour enfin pouvoir prendre un bain (le mensonge commence, alors faites gaffe, concentrez-vous), et qu'ils sont partis par la tuyauterie jusqu'à la rivière où qu'ils vont se marier, avoir beaucoup d'enfants et vivre heureux jusqu'à la fin de leurs jours. Et suivez mon conseil, préparez une argumentation bétonnée aux objections, parce qu'il va y en avoir à coup sûr. Puis si vous êtes vraiment dans l'impasse, lancez-leur un "ou ben dis-donc, mais j'ai entendu un truc moi hier soir en rentrant, est-ce que le Père Noël ne serait pas venu un peu en avance?" ce qui devrait normalement faire décamper les chérubins dans le salon afin de vérifier illico cette éventualité, et vous donner quelques secondes de réflexion si toutefois madame, de la cuisine, ne va pas vous plomber l'effet par un "mais non mes chéris, ce n'était sûrement pas le Père Noël, il ne rentre pas chez les gens à 3h du matin ivre comme un cochon, lui".
Traditionnellement, et pour ne pas encombrer inutilement les lieux, monsieur s'en va en fin de matinée pratiquer avec ses meilleurs potes un sport bien populaire chez nous, le hockey sur glace. Vers 14h - 15h c'est le rendez-vous obligé à la taverne locale, et retour à la maison vers 17h pour enfin commencer le réveillon de Noël en famille.
Vers 14h -15h, madame, elle, s'en va préparer la fameuse carpe panée de Noël. Dans une première assiette à soupe, versez de la farine. Dans une seconde assiette à soupe aussi, cassez 4 oeufs, ajoutez du sel et du poivre, puis battez bien le tout pendant au moins 5 minutes afin de bien mélanger les jaunes, les blancs et les noirs (poivre). Dans une troisième (assiette à soupe), mettez de la chapelure. Sortez les morceaux de carpes du frigidaire, puis emballez chaque morceau (demi darne) dans la farine, puis dans les oeufs battus, et enfin dans la chapelure (comme une escalope panée). Certains arrosent encore les darnes d'un filet de citron avant d'emballer dans la panure, ça donne un petit goût, genre sympa. Laissez reposer les morceaux ainsi emballés pendant une bonne heure afin que la panure prenne bien. Bon, pis pour paner je ne vais pas vous expliquer, vous savez comment ça marche non? Une grande poêle, beaucoup d'huile, chauffez très fort mais pas trop... bref comme une escalope panée. Et tiens, puisqu'on en parle, alors je vous conseille (et beaucoup de gens ici le font également) de préparer parallèlement avec les carpes, des escalopes à la viennoise (dites "wienerschnitzel"). C'est comme la carpe, mais au lieu des carpes, vous mettez soit des escalopes de veaux ("wienerschnitzel"), soit des escalopes de porcs (escalopes panées). Evidemment, n'oubliez pas dans ce cas de les faire frire dans une seconde poêle si vous ne voulez pas avoir des escalopes saveur poisson (pas bon), mais je ne vous apprends rien, tout le monde sait ça. L'avantage des escalopes, c'est que vous ne risquez pas d'étouffer vos loupiots en bas âge, ni votre mari décomposé comme un coing faisandé au retour du bistrot. Personnellement, je préfère largement les escalopes (de porcs comme de veaux) et j'ai comme l'impression que bon nombre de gens commencent également à prendre cette direction. Ben ouais, me direz-vous, mais et qu'est-ce qu'on fait des carpes alors? Ah ben ça, c'est une autre histoire, hein, moi je vous ai dit ce qui se passe ici à Noël, et comment ça se prépare, une carpe, genre, mais pour le reste, ben c'est à vous de vous organiser. C'est comme pour la salade de pommes de terre, là je vous laisse regarder dans un livre de cuisine si vous ne savez pas comment ça se prépare, mais il n'y a rien de secret, et toute bonne ménagère devrait savoir faire une salade de pommes de terre.
Et donc pour terminer, et je m'adresse à vous madame puisque vous êtes inévitablement le chef d'orchestre de cette glorieuse soirée... et donc pour terminer, généralement, monsieur rentrera du bistrot vers 17h. Tout le monde passera à table vers 18h, et vous attaquerez la soupe, les carpes et les escalopes. A partir de 19h, et si vous n'êtes toujours pas en route pour l'hôpital, les gnafrons commenceront à s'impatienter grave, "les cadeaux, les cadeaux..." vont-ils s'exclamer tandis que vous aurez tout juste jeté à la poubelle la première assiette d'arêtes correspondant à la moitié de votre première darne de carpe. Puis vers 22h, alors que les enfants se seront endormis devant la télévision et votre mari devant son assiette, vous annoncerez joyeusement l'ouverture (enfin) des cadeaux. Ainsi vous attendra la seconde opération délicate de ces festivités, toujours dans la droite lignée des traditions tchèques: allumer la trentaine de bougies véritables disséminées sur le conifère ultra sec, tout en évitant de priver votre descendance de son héritage foncier en pleine veillée de Noël. Une fois fait, les bougies allumées, suivront les chants appropriés, les photos de famille, les youpi hourra alléluia, "il est né le divin enfant..." puis si tout se passe bien, alors extinction des bougies, ouverture des cadeaux, allégresse, joie, chagrin, déception... et "au lit tout le monde car il se fait tard, et vous aurez tout le loisir de jouer avec vos nouveaux joujoux demain". Une fois tout le monde couché, il ne vous restera plus qu'à débarrasser tout le foin engendré par ces plusieurs jours d'intenses préparatifs, trouver de la place au frigidaire pour y caser les carpes que de toute façon personne ne voudra plus manger, et vers 1h du matin, le 25 décembre, vous pourrez enfin vous mettre au lit avec la satisfaction d'avoir suivi et fait perdurer la tradition de la veillée de Noël. Eh oui, tout ça pour ça. Bon, remarquez bien que le scénario que je viens de vous dépeindre est encore relativement heureux et peinard, car dans bon nombre de cas, le groupe de joyeux fêtards se compose d'une pléiade de nuisibles familiaux comme des belles-mères médisantes, des beaufs lourdingues, des courges blondes d'avec les beaufs, des sales chiards d'avec les beaufs et les courges… enfin que du beau monde pour égayer ineffablement cette désopilante réjouissance. Alors estimez-vous heureuse pour cette fois, hein, mais comme dit, l'année prochaine on remet le couvert, et qui sait avec quels convives?
En ce qui me concerne, je hais réellement cette période. D'abord parce que plus je vieillis, et plus je dois devenir un vieux con (c'est une règle infrangible), ensuite parce que la grande majorité des gens que je connais n'ont (comme moi) besoin de rien (s'il y a besoin, on achète, et on n'attend pas la fin de l'année pour se le faire offrir), et in fine, parce que c'est récurant, perpétuel et immuable, chaque année le même foin affligeant, à partir de novembre (bientôt au retour des grandes vacances, début septembre, ben tiens, à la vitesse où ça va). Souvenez-vous, quand vous recevez une somptueuse stupidité offerte avec amour et sincérité, mais dont vous n'avez strictement aucun besoin, d'autant plus qu'elle est très moche la stupidité, et que vous avez même des hésitations ne serait-ce que de la montrer aux rats dans la cave, alors vous vous imaginez honteusement le temps, l'argent et les soucis qu'a dû affronter l'attentionné bienfaiteur et vous êtes subitement pris de remords, la douloureuse contrition vous gagne, vous sentez l'opprobre publique pesez sur vos épaules et vous lâchez péniblement un "oh merci, mais il ne fallait pas" avant de vous dire, "ouf, bon, ben c'est fini pour cette année". Mais au fond de vous-même vous savez que vous n'y échapperez pas l'année suivante, c'est comme ça, récurant, perpétuel et immuable, à moins d'une catastrophe mondiale, d'une crise économique interplanétaire, d'un Armaguédon extraterrestre, vous devrez fatalement affronter les fameux cadeaux (pour les, et des autres) l'année prochaine. Et surtout, mais alors et surtout, ne pas en oublier de votre côté des cadeaux, pour tous, vous casser la caboche en cinq pour trouver un cadeau original et raisonnablement coûteux pour votre famille, vos amis, les connaissances de vos amis, les enfants des connaissances de vos amis, les cousins des beaux-frères des enfants des connaissances de vos amis qui vivent nus sur l'îlot de Nukuteatea à Wallis-et-Futuna mais qui recevront la superbe fourrure polaire Adidike en prévision du réchauffement climatique de la planète qui conduit, comme chacun sait, à un refroidissement global des températures (selon les scientifiques). Et je ne vous parle pas des pauvres miséreux, des nécessiteux crève-la-faim, des démuni-puants dans la rue qui n'ont rien, et à qui il faut penser en cette période de festivité, de bonheur, d'amour du prochain et de liesse collective imposée. On vous y fera penser, ne vous inquiétez pas, les Armées du Salut sont là pour ça, pour vous rappeler à votre devoir de bon chrétien, les vitrines, les affiches, les publicités téloches, les faux Pères Noël sonne-la-cloche avec leur fausse marmite en laiton sur trépied, drelin-drelin, tous vous y feront penser. Donnez à pleine main, c'est pour leur bien, dans les restaurants, donnez braves gens, à la sortie des magasins, donnez en plein, sur les marchés de Noël, donnez à la pelle, ne vous inquiétez pas, vous ne pourrez pas les louper, ils seront tous là pour vous rappeler qu'en novembre-décembre, il faut dépenser. Et dépenser tout, mais alors absolument tout ce que vous aurez pu économiser pendant le reste de l'année. Et si ça ne suffit pas, il y a les crédits, eh oui, allez-y. Prenez maintenant, payez ensuite, un crédit sur le Père Noël de l'année prochaine, et sans frais pendant 3 mois. "Quoi, vous n'avez pas dépensé à Noël?" vous dira-t-on, "mais vous rigolez ou quoi?", c'est sacrilège, c'est hérétique, c'est pisser au bénitier du bon Dieu de l'économie mondiale. Savez-vous seulement combien de milliers d'emplois sont menacés par votre inconséquence?
Bon, pour les loupiots je ne dis pas, c'est l'occasion d'avoir des supers beaux cadeaux d'un coup, hop, tout plein n'en voilà. Pis c'est surtout l'occasion pour eux de passer pour des andouilles bien grasses auprès des p'tits copains de l'école qui n'y croient plus, au Père Noël. Mais pareil, avant, quand les gens étaient pauvres, vraiment bien pauvres, pas comme aujourd'hui, ben les mouflets avaient au moins une occasion dans l'année de recevoir quelque chose, une orange, une poupée en chiffon, une voiture en bois. Mais aujourd'hui, citez-moi ne serait-ce qu'un seul galopin qui ne recevrait rien entre ses 2 Noël? C'est qu'il faut les nourrir velu les Playbox et les Nintendixmegastations à grand renfort de nouveaux jeux encore plus forts que les précédents d'hier, qui sortent tous les 2 mois, incompatibles au bout de 6, et périmés au bout de 12, juste pour Noël, comme par hasard.
Et la bouffe, vous voulez que je vous en parle de la bouffe de luxe bon marché de grande surface discount pas cher, pour que même les très pauvres puissent goûter au vrai bon luxe à bas prix et dépenser leur prime ASSEDIC? Vous voulez que je vous en parle des fois gras d'oie de canard de Pologne, du champagne mousseux de Reims made in CCCP (enfin Russie maintenant), des escargots de Bourgogne de Tchéquie, des dindes de Loué de Roumanie, des chapons de Bresse de Hongrie, des langoustes de Cuba canadiennes, des huîtres d'Arcachon de l'étang de Berre, du caviar de lump d'élevage véritable, des tranches de saumon fumé de truite espagnole et des pinces de crabes en surimi chinois avec de vrais morceaux (de quoi?) dedans?... Sans dec, j'ai vraiment l'impression que je suis décidemment un vieux con. Désolé, je ne voulais pas vous gâcher votre Noël. Non, sérieux, je m'en veux. Oubliez mes propos de pisse vinaigre et de bousilleur d'enthousiasme, c'est Noël après tout, alors oublions, pardonnons, joyeux Noël et bonne année. "Tiens chérie, passe moi encore une bière!".
Allez, hein, hop, un peu de joie et de bonne humeur, alors je vais vous raconter comment se passe une tradition typiquement Tchèque à Noël: la délicate préparation de la carpe panée. Alors signalons pour ceux qui ne le savent pas encore, qu'en Tchéquie, depuis lurette et même encore avant, la carpe panée est à Noël ce que les caisses sont au fût, c'est à dire inséparables. Et fort curieusement, autant les Tchèques à 95% respectent cette tradition, que la même proportion (95%) sera incapable de vous dire exactement d'où qu'elle provient et pourquoi. C'est ainsi que je parlerais au conditionnel, car de nombreuses hypothèses existent, les unes tout autant plausibles que les autres, mais sans plus de certitude que ça. Alors l'une d'elle dit que Jésus est Poisson (poisson en grec se dit ICHTHYS, et I = Iessous = Jésus, CH = Christos = Christ, TH = Theou = Dieu, Y = hYios = Fils S = Soter = Sauveur... Bref vous voyez le truc. Info ou intox?), et comme déjà la religion est cannibale ("mangez, c'est mon corps. Buvez...", et ça c'est pas de l'intox), l'introduction du poisson dans les assiettes à l'occasion de Noël serait donc dans la droite lignée des préceptes du Christ. D'autres mettraient ça au crédit d'une tradition juive. Oui, why not, sauf qu'il s'agit dans ce cas d'une carpe farcie et non panée et qu'elle se mangeait à nouvel an (me semble-t-il), sur la base du calendrier hébreux (ça j'en suis sûr) et non à Noël (chrétien). Puis encore d'autres prétendent qu'il s'agirait tout simplement d'une raison économico-religieuse, puisqu'il serait interdit de manger de la viande le soir de Noël (ah bon?!), pis comme la carpe est répandue, bon marché, genre mauvaise herbe, alors c'est devenu comme ça, un jour, plat de rigueur à Noël. Ca donne d'autant plus de sens, lorsqu'on sait qu'en Tchéquie, et tout particulièrement en Bohême du sud où les étangs sont légions, la pisciculture de la carpe remonte au XIV ème siècle (les étangs de "Třeboň" pour ne citer que le plus connu des coins). Il suffit donc de se baisser pour n'en trouver sous le sabot d'un cheval, de la carpe en Tchéquie. Pis l'y a aussi ma femme de ménage qui prétend qu'on aurait commencé à manger de la carpe parce que c'est con et moche comme animal, sans poil ni plume, pas comme des petits lapins, ou des petits canards, et que ça tombait bien parce que ça ne faisait de la peine à personne, même pas à Brigitte Bardot. Bon, ben voilà, allez savoir?
Ce qui par contre est sûr, c'est qu'aujourd'hui la tradition se perpétue grave. A partir de mi-décembre, les rues de toutes les villes, villages, Prague y compris, se remplissent de vendeurs de carpes vivantes car le bestiau doit être acheté vivant, eh ouais. Des centaines de carpes battent de la queue dans chacun des bacs de 2 m de diamètre posés à même le trottoir. Rien que pour Prague, on estime quelques 250.000 pièces vendues chaque année, soit 600 à 700 tonnes, ou 1 poisson pour 4 habitants. Evidemment, ça fait hurler les ligues de protection des animaux, mais bon, hein, en France, les dindes, les chapons, et les huîtres ne s'en sortent pas mieux. Bon, alors une carpe c'est quoi, c'est un poisson dont le nom officiel est "cyprinus carpio" de la classe "ostéichthyens", de l'ordre des "cypriniformes" et de la famille des "cyprinidés". Pour ceux qui n'auraient jamais vu à quoi ça ressemble, je vous en trouvé un beau morceau de carpe là, mais celles qu'on mange sont plus petites, entre 1,5 et 3 kg maximum, parce qu'après c'est gros, gras et pas bon (pis ça ne rentre pas dans la poêle). D'ailleurs globalement la carpe, c'est pas vraiment exceptionnel, pour tout dire c'est moyen, parfois avec un goût de vase, et une viande somme toute mole. Rien à voir avec une bonne truite à la meunière sur du beurre noir ou une darne de saumon au vin rouge et au four. Pis je ne vous parle pas des arêtes, une vraie pelote d'épingles, et vicieuse la pelote, pas des arêtes normales, genre qui peuvent éventuellement se croquer et s'avaler, non, des arêtes en forme de Y, pour être bien sûr qu'elles vont bien se coincer dans la gorge afin que vous passiez votre Noël à l'hôpital. C'est fait pour, et chaque année de nombreux Tchèques y ont droit, à la bouche ouverte comme une carpe à l'air et la pince fine du toubib jusqu'au fond, bien profond dans le gosier pour éviter l'étouffement du pauvre bougre qui n'a pas fait gaffe.
Bon, alors la recette de la carpe panée de Noël façon "à la Tchèque", parce que j'avais dit au départ que j'allais vous en parler quand même. La recette donc, c'est vachement simple, ça demande juste un peu de préparation, z'allez voir, mais c'est pas vraiment compliqué, du tout. Une semaine avant le 24 décembre... ah oui je ne vous avais peut être pas dit, mais en République Tchèque, les cadeaux, la carpe et l'hôpital, c'est le 24 au soir et pas le 25. Bon ça ne change pas grand-chose à la recette, par contre ça change pas mal au niveau de l'hôpital, parce que le soir c'est les urgences et il y a moins de monde pour vous accueillir, en France tout au moins. Ici c'est le contraire, le 24 décembre au soir il y a renfort de toubibs pour répondre justement à l'afflux des andouilles maladroites. On prend même des étudiants, hop, une formation d'une demi-journée, et ils sont opérationnels. De toute façon les patients arrivent tous avec le même symptôme, donc pas besoin d'avoir fait médecine, si vous savez arracher une dent de sagesse à un hippopotame, vous saurez retirer une arête de carpe d'une gorge de belle-mère. Bref, donc la recette. Une semaine avant le 24 décembre, vous remplissez généreusement votre baignoire d'eau froide, bien comme il faut, au 3/4 minimum. Puis régulièrement, c'est à dire toutes les 2 heures, la nuit y compris, vous battez l'eau à l'aide d'un fouet pendant un bon 1/4 d'heure afin d'en éliminer le chlore. Généralement, monsieur s'occupe de la rotation du matin (1 fois) avant d'aller au bureau, du soir (1 fois) en rentrant du bureau, et éventuellement du "plus tard le soir", en rentrant du bistrot, mais ça dépend beaucoup de la fraîcheur qu'il affiche en rentrant du bistrot, le monsieur, parce que s'il tombe dedans, la baignoire et les carpes, il est foutu d'aller se noyer (l'andouille) avant même de s'être étouffé avec les arêtes, alors gaffe. Quant à madame, elle prend le relais durant la journée puisque monsieur travaille, et dans la nuit puisque monsieur dort pour être en forme au travail le lendemain, ben tiens.
Au bout de 3 jours, votre eau dans la baignoire est prête, et monsieur se rend donc dans la rue d'en dessous de chez lui pour acheter les fameuses carpes. Prenez-en au moins 2, sinon vous allez en manquer, entre 1,5 kg et 3 kg, et surtout bien vivants les poiscailles. Les faignants et les niais les font tuer, vider et nettoyer sur place par le vendeur, mais c'est totalement couillon. Si vous avez de la chance, le poissonnier vous vendra également les oeufs et la laitance que les sots n'auront pas voulus, allez-y, achetez pour la soupe, c'est la seule chose qui est vraiment bonne, z'allez voir. Bon, alors avec vos 2 carpes dans un sac plastique, vous filez rapidement à votre bistrot local, vous vous jetez 2 bières pressions sur le pouce, au comptoir et vous rentrez dare-dare chez vous déposer les carpes dans la baignoire préparée à cet effet. Les bestiaux vont commencer par récupérer du choc psychologique du dedans le sac plastique, tourner en rond, battre de la queue et éclabousser partout, mais c'est pas grave, madame passera un coup de serpillière après, quand vous serez redescendu au bistrot. Au bout de quelques minutes, les bêtes vont s'habituer, cesser d'éclabousser partout, et vos gnafrons pourront jouer avec, les caresser, leur mettre les doigts dans la bouche, les nourrir avec toutes sortes de matières que les carpes mangent (corn flakes, mie de pain, M&M's...) ou ne mangent pas (legos, pantoufles, savon...). Les plus audacieux essayeront même vainement de les attraper à main nue, alors madame, inutile de ranger le seau et la serpillière tant que les poissons seront vivants, vous en aurez régulièrement besoin. Une fois que les bêtes sont dans la baignoire, n'oubliez pas encore de battre l'eau, non pour en éliminer le chlore, mais pour apporter de l'oxygène dans l'eau, pour les 2 carpes "Karel" et "Pepa". Une demi-heure de battage toutes les 4 heures, la nuit y compris si vous ne voulez pas retrouver le matin vos chéries flottant le ventre en l'air au grand désespoir des bambins qui commençaient à s'y habituer. Avec un peu de chance, monsieur, et si vous savez vous y prendre, vous arriverez même à éviter les corvées d'oxygénation du matin et du soir. Les 2 gaillards à écailles vont ainsi passer 3 jours complets dans votre baignoire, et donc le 23 décembre, un jour avant l'hôpi... le repas, vous devrez exécuter les 2 malheureux. Ben ouais, désolé, mais c'est un travail d'homme, et puis faut bien que quelqu'un le fasse si vous n'avez pas votre belle-mère sous le coude (jamais là quand on en a besoin, mais pour emmerder le monde…). Alors un conseil pour mener à bien cette tâche, jetez-vous quelques bonnes bières auparavant, et surtout, oeuvrez en dehors de la présence des loupiots qui se seront réellement attachés aux poiscailles grâce auxquels ils ont évités pendant une semaine le bain quotidien, le savon et le champoing dans les yeux. L'heure de l'exécution ayant sonné, disons 22h, commencez par vider la baignoire. Certes, "Karel" et "Pepa" sentant venir la fin vont battre de la queue comme des dératés, mais vous aurez plus de facilité pour les attraper ainsi, la baignoire vide. De toute façon madame n'aura pas encore rangé son seau, alors hein, autant en profiter vu qu'il est à proximité. Pendant que l'eau s'écoule, allez chercher une planche à découper (à défaut un sac en papier style "courses chez l'épicier"), un maillet à piquets de tente, vous savez, bien gros avec la tête en caoutchouc noir (à défaut un marteau, mais c'est de la boucherie), un linge à vaisselle (à défaut des essuie-tout, mais c'est de l'amateurisme) et un plat (y a pas de défaut cette fois-ci, vous avez bien un plat chez vous non? Z'habitez pas dans une caverne?). Saisissez un poisson fermement entre vos 2 mains à l'aide du linge (essuie-tout) puis portez-le à la cuisine. Si vous faites ça pour la première fois, (ou que vous vous êtes, selon mon conseil, jeté quelques bières) il devrait vous échapper au moins une fois. Ce n'est pas grave, vous verrez, avec l'habitude... reprenez le bestiau gesticulant sur le carrelage, appelez madame et son seau afin d'éviter de vous croûter au retour, puis filez rapidement à la cuisine. Posez la carpe verticalement sur la planche à découper (la tête à droite pour les droitiers), le ventre bien sur la planche, et maintenez-la fermement d'une main (gauche pour les droitiers) sur le haut du dos toujours à l'aide du linge. Attrapez le maillet de l'autre main (droite pour les droitiers), et assénez violemment le coup fatal sur le haut de la tête au niveau des yeux, comme vous le feriez avec votre fumier de voisin qui tond sa pelouse le dimanche matin au lever du soleil. Si vous êtes vraiment maladroit, vous devrez vous y reprendre à plusieurs reprises, et parfois même ramasser le voisin... euh… la carpe au sol. Mais comme dit, rassurez-vous, ça viendra avec l'habitude. Une fois trépassé, posez le poisson sur le plat, et répétez l'opération avec l'autre lascar (de poisson, pas de voisin) resté dans la baignoire, vous verrez, ça devrait être plus facile. Pis c'est tout, rendez-vous compte bienheureux veinard que c'est tout, en ce qui vous concerne. Vous pouvez donc non seulement aller retrouver vos bons-à-rien de potes dans votre bistrot habituel, mais de surcroît vous serez totalement libéré de toute tâche le jour du 24. Vraiment trop fortes les recettes "à la Tchèque"!
Bien, madame c'est à vous, enfin. Une fois que vous aurez nettoyé la baignoire, l'eau qui a giclé de partout, les écailles et le mucus sur le sol de la cuisine puis rangé le seau et la serpillière, nous allons passer à la découpe. Attrapez fermement une bête par la queue (un poisson j'entends) à l'aide du linge, posez-la (la bête, pas la queue) à plat sur la planche de travail, et avec un grand couteau, enlevez les écailles dans le sens queue-tête. Si les carpes possèdent vraiment trop d'écailles, vous pouvez les tremper une petite minute (mais pas plus de 2 minutes) dans de l'eau bouillante, l'écaillage n'en sera que plus facile. Déposez un poiscaille sur la planche de travail le ventre vers vous, et ouvrez-le lui (le ventre) prudemment toujours dans le sens queue-tête. Attention, surtout n'enfoncez pas trop le couteau dans l'abdomen, vous risqueriez d'abord de percer la vésicule biliaire située sous la gorge, et votre carpe serait alors foutue car la bile donne un goût très amer à la viande, beurk. Pis aussi vous risqueriez d'endommager la laitance et les oeufs, alors faites hyper top attention, pas trop loin le couteau. Videz les bêtes, séparez délicatement la laitance et les oeufs du reste des viscères, puis réservez-les au frigidaire (la laitance et les oeufs, pas les viscères, évidemment, encore que...). Alors tiens, je signale juste que certains, mais pas tous, donc certains rajoutent dans la soupe les intérieurs (viscères) des bestiaux. Chais pas trop quoi des viscères, mais ce qu'il y a dedans le bide. Bon, moi personnellement, le "ce qu'il y a dedans le bide" et le beurk c'est du pouah, alors je ne le mets pas, mais si jamais vous voulez le mettre, alors triez, et réservez. Bon, ensuite séparez la tête et la queue des poissons, réservez également au frigidaire, puis découpez le reste des carpes en darnes (fer à cheval) d'environ 4 à 5 cm d'épaisseur. Ensuite séparez chaque darne en 2 parties égales (demis darnes), déposez les morceaux sur le plat, peau en dessous, viande vers le haut, salez sans poivrer et hop, frigidaire jusqu'à demain.
Passons à la soupe. Alors vous pouvez la préparer le jour même (le 24), mais moi perso, c'est le lendemain que je la préfère, comme le "guláš" (goulache en Français), une fois bien trempée, bien macérée. Pis ça vous évitera aussi du boulot le 24, car vous aurez déjà assez de quoi faire comme ça, croyez-moi. Préparez donc sous la main les 2 têtes et queues des carpes, la laitance et les oeufs, 1 oignon, 1 tranche de beurre de 4 cm d'épaisseur, 3 cuillères à soupe de légumes secs à cuire (vous savez, les trucs pour donner du goût dans la soupe, épices, carottes, céleris, persil...), 2 cuillères à soupe de farine, du persil en branche, une feuille de laurier, de la noix de muscade, sel et poivre. Prenez les 2 têtes, et séparez les des branchies, des yeux, des oreilles et des poils. Mettez-les à cuire dans de l'eau salée (raisonnablement) avec les queues, la feuille de laurier et l'oignon coupé en tranches moyennes. Si les morceaux de viande dépassent, rajouter de l'eau pour couvrir, puis couvrez la casserole d'un couvercle, genre. A ébullition, baissez le feu et laissez mijoter 10 à 20 minutes, selon la taille des têtes et la longueur des queues (ben ouais, comme d'hab.). Entre-temps, dans une autre casserole, faites fondre le beurre, ajoutez les légumes secs finement hachés s'ils ne le sont pas déjà, rajoutez la farine, et dorez tout en touillant touillant régulièrement. Lorsque le mélange prend une couleur brune, ajoutez un demi-litre d'eau, et laissez mijoter doucettement. Passez la viande (tête et queue) au chinois mais conservez le bouillon (dans une cuvette, contrepet, le bouillon dans une cuvette, ha ha ha :-), et posez les morceaux sur un plat pour refroidir (vous pouvez mettre à la fenêtre, mais faites gaffe aux chats, ces sales bêtes). Rajoutez le bouillon dans la seconde casserole, celle d'avec les légumes et la farine. Comme dit, certains rajoutent les intérieurs des bestiaux, chais pas trop quoi comme intérieurs, mais ce qu'il y a dedans le bide, les viscères. Bon, moi personnellement non, mais si jamais vous voulez les mettre parce que vous les avez remisées par devers vous, alors c'est le moment (de les mettre, les viscères). Arrive alors la partie de plaisir et de patience, le désossage des têtes et des queues. Commencez par peler les morceaux de viande, enlevez la peau, puis séparez la chair, toute la chair des arêtes, cartilages, et autres pas bons beurk pouah. Faites particulièrement attention, car les loupiots (comme moi d'ailleurs) vont se goinfrer sans faire gaffe, alors si vous ne voulez pas partir pour l'hôpital avant même d'avoir entamé la carpe, nettoyez bien consciencieusement. De toute façon vous avez le temps, monsieur est au bistrot et les enfants dorment, alors, hein? Rajoutez ensuite les morceaux de viande à la soupe en ébullition. Passez la laitance et les oeufs délicatement sous l'eau froide, retirez les résidus (les poils du…), et placez dans une petite casserole. Mouillez légèrement, enfin mettez un fond d'eau dans la casserole, salez, et cuisez à feu doux pendant environ 15 minutes. Passez au chinois, le bouillon dans la soupe, puis découpez en petits morceaux la laitance et les oeufs. Et c'est tout pour aujourd'hui, hourra, youpi, c'est fini pour la soirée. C'est pas cool ça? Bon, demain il faudra terminer la soupe, préparer la carpe et la salade de pommes de terres, mais c'est demain, donc ce soir douche, et hop, au lit car demain c'est réveillon (de Noël). Ah oui, et n'attendez pas votre mari, parce que c'est férié (demain), alors il n'est pas prêt de rentrer du bistrot, d'autant plus que plus rien ne l'attend, lui, vu que c'est férié et que les carpes ont déjà été occises. Ah puis allez, hop, je vous termine la recette de la soupe de carpe, hein, tant qu'à faire et vu qu'il ne reste plus grand chose. Donc une fois la soupe bouillie de nouveau, et au dernier moment, juste avant de servir, coupez en morceaux fins le persil en branche (lavé au préalable), puis ajoutez le, râpez toujours dedans la soupe un peu de noix de muscade et salez selon votre convenance, pis c'est tout. N'oubliez pas de préparer quelques croûtons avec la soupe, elle se mange avec des morceaux de "housky" ("houska", sorte de petit pain blanc sans équivalent en France) coupés en cubes d'un centimètre et reviendus sur une poêle avec un peu d'huile jusqu'à doration brune.
Et voilà le jour tant attendu pendant toute l'année, le fameux 24 décembre pour lequel la population tchèque (tout au moins) a été prise de frénésie hystérique pendant 2 mois, youpi hourra alléluia, "il est né le divin enfant, jouez au bois, revenez pompettes..."(?!) Maman est déjà levée depuis longtemps, tandis que papa se remet de sa biture tardive d'hier. Les moutards sont surexcités à l'idée des cadeaux, mais assez perplexes devant la baignoire vide, se demandant mais où c'est-il donc que ces bougres de "Karel" et de "Pepa" ont bien pu aller se fourrer pendant la nuit? C'est ainsi qu'il vous appartiendra, dès le réveil (et avec la gueule de bois), d'informer vos mignards curieux du sort des poiscailles puisque maman se sera fendue d'une réponse évasive, style "demandez à papa quand il se réveillera, il s'est couché après moi alors il doit savoir, lui". Oh ben pour sûr, vous pouvez leur inventer une histoire sympa, genre pour éviter la tragédie des larmes, mais si vous n'avez pas prévu le scénario un peu à l'avance, alors avec votre tête blindée, le cerveau encore farci des effluves d'éthyle, z'êtes cuits. Lors pour éviter d'être pris au dépourvu, quand les gnafrons s'ront viendus, préparez leur une histoire, genre que vous avez vidé la baignoire (ce qui, jusque là, est vrai) pour enfin pouvoir prendre un bain (le mensonge commence, alors faites gaffe, concentrez-vous), et qu'ils sont partis par la tuyauterie jusqu'à la rivière où qu'ils vont se marier, avoir beaucoup d'enfants et vivre heureux jusqu'à la fin de leurs jours. Et suivez mon conseil, préparez une argumentation bétonnée aux objections, parce qu'il va y en avoir à coup sûr. Puis si vous êtes vraiment dans l'impasse, lancez-leur un "ou ben dis-donc, mais j'ai entendu un truc moi hier soir en rentrant, est-ce que le Père Noël ne serait pas venu un peu en avance?" ce qui devrait normalement faire décamper les chérubins dans le salon afin de vérifier illico cette éventualité, et vous donner quelques secondes de réflexion si toutefois madame, de la cuisine, ne va pas vous plomber l'effet par un "mais non mes chéris, ce n'était sûrement pas le Père Noël, il ne rentre pas chez les gens à 3h du matin ivre comme un cochon, lui".
Traditionnellement, et pour ne pas encombrer inutilement les lieux, monsieur s'en va en fin de matinée pratiquer avec ses meilleurs potes un sport bien populaire chez nous, le hockey sur glace. Vers 14h - 15h c'est le rendez-vous obligé à la taverne locale, et retour à la maison vers 17h pour enfin commencer le réveillon de Noël en famille.
Vers 14h -15h, madame, elle, s'en va préparer la fameuse carpe panée de Noël. Dans une première assiette à soupe, versez de la farine. Dans une seconde assiette à soupe aussi, cassez 4 oeufs, ajoutez du sel et du poivre, puis battez bien le tout pendant au moins 5 minutes afin de bien mélanger les jaunes, les blancs et les noirs (poivre). Dans une troisième (assiette à soupe), mettez de la chapelure. Sortez les morceaux de carpes du frigidaire, puis emballez chaque morceau (demi darne) dans la farine, puis dans les oeufs battus, et enfin dans la chapelure (comme une escalope panée). Certains arrosent encore les darnes d'un filet de citron avant d'emballer dans la panure, ça donne un petit goût, genre sympa. Laissez reposer les morceaux ainsi emballés pendant une bonne heure afin que la panure prenne bien. Bon, pis pour paner je ne vais pas vous expliquer, vous savez comment ça marche non? Une grande poêle, beaucoup d'huile, chauffez très fort mais pas trop... bref comme une escalope panée. Et tiens, puisqu'on en parle, alors je vous conseille (et beaucoup de gens ici le font également) de préparer parallèlement avec les carpes, des escalopes à la viennoise (dites "wienerschnitzel"). C'est comme la carpe, mais au lieu des carpes, vous mettez soit des escalopes de veaux ("wienerschnitzel"), soit des escalopes de porcs (escalopes panées). Evidemment, n'oubliez pas dans ce cas de les faire frire dans une seconde poêle si vous ne voulez pas avoir des escalopes saveur poisson (pas bon), mais je ne vous apprends rien, tout le monde sait ça. L'avantage des escalopes, c'est que vous ne risquez pas d'étouffer vos loupiots en bas âge, ni votre mari décomposé comme un coing faisandé au retour du bistrot. Personnellement, je préfère largement les escalopes (de porcs comme de veaux) et j'ai comme l'impression que bon nombre de gens commencent également à prendre cette direction. Ben ouais, me direz-vous, mais et qu'est-ce qu'on fait des carpes alors? Ah ben ça, c'est une autre histoire, hein, moi je vous ai dit ce qui se passe ici à Noël, et comment ça se prépare, une carpe, genre, mais pour le reste, ben c'est à vous de vous organiser. C'est comme pour la salade de pommes de terre, là je vous laisse regarder dans un livre de cuisine si vous ne savez pas comment ça se prépare, mais il n'y a rien de secret, et toute bonne ménagère devrait savoir faire une salade de pommes de terre.
Et donc pour terminer, et je m'adresse à vous madame puisque vous êtes inévitablement le chef d'orchestre de cette glorieuse soirée... et donc pour terminer, généralement, monsieur rentrera du bistrot vers 17h. Tout le monde passera à table vers 18h, et vous attaquerez la soupe, les carpes et les escalopes. A partir de 19h, et si vous n'êtes toujours pas en route pour l'hôpital, les gnafrons commenceront à s'impatienter grave, "les cadeaux, les cadeaux..." vont-ils s'exclamer tandis que vous aurez tout juste jeté à la poubelle la première assiette d'arêtes correspondant à la moitié de votre première darne de carpe. Puis vers 22h, alors que les enfants se seront endormis devant la télévision et votre mari devant son assiette, vous annoncerez joyeusement l'ouverture (enfin) des cadeaux. Ainsi vous attendra la seconde opération délicate de ces festivités, toujours dans la droite lignée des traditions tchèques: allumer la trentaine de bougies véritables disséminées sur le conifère ultra sec, tout en évitant de priver votre descendance de son héritage foncier en pleine veillée de Noël. Une fois fait, les bougies allumées, suivront les chants appropriés, les photos de famille, les youpi hourra alléluia, "il est né le divin enfant..." puis si tout se passe bien, alors extinction des bougies, ouverture des cadeaux, allégresse, joie, chagrin, déception... et "au lit tout le monde car il se fait tard, et vous aurez tout le loisir de jouer avec vos nouveaux joujoux demain". Une fois tout le monde couché, il ne vous restera plus qu'à débarrasser tout le foin engendré par ces plusieurs jours d'intenses préparatifs, trouver de la place au frigidaire pour y caser les carpes que de toute façon personne ne voudra plus manger, et vers 1h du matin, le 25 décembre, vous pourrez enfin vous mettre au lit avec la satisfaction d'avoir suivi et fait perdurer la tradition de la veillée de Noël. Eh oui, tout ça pour ça. Bon, remarquez bien que le scénario que je viens de vous dépeindre est encore relativement heureux et peinard, car dans bon nombre de cas, le groupe de joyeux fêtards se compose d'une pléiade de nuisibles familiaux comme des belles-mères médisantes, des beaufs lourdingues, des courges blondes d'avec les beaufs, des sales chiards d'avec les beaufs et les courges… enfin que du beau monde pour égayer ineffablement cette désopilante réjouissance. Alors estimez-vous heureuse pour cette fois, hein, mais comme dit, l'année prochaine on remet le couvert, et qui sait avec quels convives?
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