Ville: St Philippe et St Jacques de Zlíchov

Revenons à Prague, enfin presque, parce que le bout de Prague dont je vais vous parler aujourd'hui est, certes, dans Prague, mais loin loin des sentiers battus par les touristes, et même assez loin des sentiers battus par les praguois. Pour vous dire. Et même mieux, j'offre une tournée à toute personne qui trouvera son chemin jusqu'à l'église sans se planter, du premier coup qu'il le trouvera (son chemin). Donc aujourd'hui, la petite église "svatého Filipa a Jakuba" (soit St Philippe et St Jaques). Alors déjà, personnellement j'aurais traduit "Jakub" par Jacob, mais il semblerait que Jacob et Jacques soient exactement la même chose, car Jacob aurait donné Jacobus en latin, puis Jacques en Français.
Et même que Jacob c'est James en Anglais, Diego et Santiago en Espagnol, et Xanti en Basque. Sans dec, chuis scié! Pis sinon sachez encore que ces 2 là font la paire, que c'est pas le fruit du hasard qu'ils sont ensemble Philippe et Jacques, comme Pierre et Paul ou Dupont et Dupond. Bref, donc cette petite église est perchée sur le sommet d'un pic rocheux entre les autoroutes, les voies ferrées et le fleuve "Vltava".
C'est à se demander qu'elle est l'inconséquent qui est allé te me fiche une église à cet endroit. Et c'est exactement ce que je me suis longtemps demandé, chaque matin en allant au bureau, dans l'embouteillage qui mène des milliers de personnes en direction du sud ("České Budějovice"), de l'ouest ("Plzeň") ou de l'est ("Hradec Králové"). Car sous ce pic rocheux passe l'un des contournements de Prague des plus fréquentés et sans doute le plus encombré qui puisse être. Et c'est la faute aux Français. Ben ouais, avant, l'ancienne route qui descendait du nord au sud de Prague passait par "Smíchov", "Hlubočepy", la crête des studios "Barrandov", "Radotín" et "Zbraslav" parce que justement, le massif rocheux connu sous le nom de "Barrandovské skály" s'étendait jusqu'au lit du fleuve "Vltava"
(je ne sais toujours pas si on doit dire fleuve ou rivière en parlant de la "Vltava", mais fleuve ça fait mieux). On passait donc naturellement par le sommet du massif, avant. Mais en 1742, lors de la guerre de succession de la maison d'Autriche, les armées françaises établirent leur quartier général dans le couvent de "Zbraslav", et pour rejoindre Prague, les trouffions devaient donc se taper la route passant par les crêtes, les buttes et autres monticules à l'ouest du fleuve. Un jour, ils en eurent marre ces faignants, de monter descendre puis redescendre et remonter, alors ils se mirent en grève comme c'est l'habitude nationale. Et comme leurs revendications n'aboutissaient pas auprès de l'état-major, ils finirent par bloquer les dépôts d'essence, les barrières de péages sur les autoroutes lors des grands départs en vacances, se coucher sur les voies ferrées et envahir les pistes d'atterrissage aéronautiques.
Sous la pression, le commandement dut céder et décida la création d'une nouvelle route le long du fleuve, en faisant péter à la poudre à canon la roche qui se trouvait sur le passage. Ainsi naquit la nouvelle route dite "Strakonická", qui, au niveau du pont de Barrande, bouchonne tout ce qu'elle peut, dans tous les sens de n'importe quelle direction, afin de rappeler nostalgiquement aux Français (qui depuis longtemps ont quitté les environs) les joies du périphérique parisien. Bon, retour au sujet.

Bien que le quartier dans lequel se trouve notre église se nomme "Zlíchov", elle (l'église) appartient administrativement à la localité de "Hlubočepy", quelques 2 km au sud du château de "Vyšehrad". Et ce n'est pas anodin la proximité d'avec "Vyšehrad", car selon la légende de "Horymír a Šemík" par "August Sedláček", c'est à cet endroit exact que la mythique bourrique "Šemík" planta ses sabots après avoir sauté le fleuve ("Vltava") depuis les remparts de la forteresse ("Vyšehrad"): "[...] a již udělal skok s hradeb přes celou Vltavu až na skálu, kde stojí kostel zlíchovský [...]".
Au tout début, avant même que ne s'y trouve notre église, il y avait une chapelle romane consacrée à St Etienne (le patron des verts), et le monticule rocheux portait ce même nom, la butte de St Etienne (et pas le but de St Etienne). Première mention de la chapelle fut faite en février 1257, lorsque "Přemysl Otakar II" en fit cadeau à Bartholomé, chanoine du chapitre de "Vyšehrad" qui en avait, auparavant et de nombreuses années durant, la gérance en qualité de curé. "Ah ouais, alors là super, merci monseigneur. T'es bon comme le pain du matin, tiens, touche-voir ma bosse... pendant des années je me suis esquinté les varices à grimper sur ce foutu rocher où même les chèvres ne vont plus, et maintenant que je suis peinard comme Baptiste au chapitre de Vyšehrad, tu m'offres en cadeau cette foutue chapelle qui me sort par tous les orifices. Tu le fais exprès ou quoi?"
Et Bartholomé d'ourdir un sacré bon plan machiavélique afin d'échapper au cadeau empoisonné: il suffisait de transporter les reliques de St Etienne quelque part ailleurs, et démolir l'église sous un prétexte quelconque. Cool, en 1258 les papiers du saint déménagement étaient signés par l'évêque de Prague "Jan III z Dražic", il ne restait plus qu'à appeler les démolisseurs, et hop, le tour était joué. Mais c'était sans compter avec le curé du village voisin, (minori Cuhlea, "Malá Chuchle"), qui officiait en la chapelle et recevait paiement pour ses messes. "Mais tu veux m'ôter l'hostie de la bouche ou quoi, c'est mon gagne croûte c'te chapelle, rien du tout de la démolir, t'as choppé la polio ou quoi?" On ne connait pas le détail du quoi que donc alors, mais l'on sait que la chapelle ne fut pas démolie ("laissons ça aux Suédois" aurait rajouté le curé).
En 1319, elle était sous l'administration du décanat de "Ořech", l'un des plus importants des 9 décanats de Prague puisqu'il s'étendait de "Slapy" au sud, à "Roztoky" au nord, en passant par "Buštěhrad" à l'est. Fin du XIV ème siècle, "Zlíchov" passa sous le contrôle du couvent des chartreux de "Smíchov" ("klášter kartuziánů na Smíchově" parfois "Na Újezdě"), qui transformèrent (les chartreux) l'édifice à l'aube du XV ème siècle en église de style gothique. En 1419, les primitifs hussites foutirent (ou fouturent?) le feu de partout, le couvent des chartreux fut à terre pour toujours, "Zlíchov" passa de mauvais moments, mais notre église survécut tant bien que mal (d'ailleurs plutôt mal).
Evidemment, après les guerres hussites, ce sont les moines calixtins qui eurent la jouissance du bâtiment, et ce jusqu'en 1624 (après la bataille de la montagne blanche), lorsque l'ordre fut dissous. L'église était alors dans un état pitoyable. Vers 1660 on essaya bien de la rafistoler histoire qu'elle serve encore un peu, et les ouailles apportèrent bien leurs vieux bouts d'scotch, mais en 1713 on laissa tomber définitivement. Démolition complète de haut en bas, hop, et donc ce que vous voyez aujourd'hui n'a plus rien à voir avec ce que vous ne voyez plus, enfin il n'en reste plus rien de la chapelle romane ni de l'église gothique d'avant 1713.

Les jésuites décidèrent donc de construire en cet endroit presque désert une nouvelle église de style baroque. La construction eut lieu entre 1713 et 1714, et tellement rapidement qu'on en oublia le nom de l'architecte. Eh ouais, c'est dingue, mais je suis incapable de vous dire qui est à l'origine de cette construction. Dingue non? D'autant plus dommage de ne pas savoir qui c'est, parce que comme je vous le disais dans une de mes précédentes publies sur la cathédrale de Prague,
la grande majorité des églises est orientée d'est en ouest: Olivier Beigbeder "L’orientation des églises vers l’Est est un fait régulier au moins à partir du Ve siècle… Il est assez frappant de noter comment le respect de l’orientation a parfois été aux antipodes de la beauté: il n’est que de contempler, à Lyon, des rives de la Saône, la cathédrale Saint-Jean et l’église de Fourvière, pour constater que l’esthétique ne trouve pas son compte à ce que les églises tournent ainsi le dos à la rivière" (article orientation, Lexique des symboles, 1969). Et ben paf, tiens, la notre dont on se cause là d'église, est orientée nord-sud, paf, tiens, voilà une église réfractaire, séditieuse, et on ne sait même pas qui l'a construite. Ensuite l'architecture du dedans comme du dehors est pour ainsi dire cubiste. La nef unique est rectangulaire, et son plafond comme celui du choeur sont totalement plats, plats comme une crêpe bretonne sans rien, sans la moindre voûte, sans la moindre arche, quelques courbures dans les angles pour éviter de faire vraiment trop cubiste (et donc avant-gardiste), mais en terme de galbe, d'arceau, rien, rien du tout du tout. Au dessus du choeur se trouve une tour (carrée) et dans la tour se trouvent 3 cloches. La plus ancienne est consacrée à St François et date de 1697, les 2 autres sont de 1838 et sont consacrées à St Philippe et St Jacques pour l'une, à St Jean-Baptiste pour l'autre. Anecdote, les 2 cloches "récentes" furent posées là en remplacement des 2 autres qui furent volées dans la nuit du 15 mai 1793.
C'est stupéfiant, des voleurs de cloches, déjà en 1793. Décidément, la connerie n'a pas d'époque.

L'intérieur de l'église, tel que vous le voyez là, fut aménagé en 1875 (restauré en 1901, 1935 et dernièrement en 1991). En entrant, vous voyez sur la droite un St Antoine de Padoue de 1927, tenant dans une main l'enfant Jésus (petit) et dans l'autre... ben chais pas, on dirait... une miche de pain? Enfin ce n'est pas comme d'habitude, avec une mule, un livre, un poisson, un lys ou un coeur enflammé. En face de lui, il y a un Jésus, mais je ne sais rien sur lui... enfin sur la statue je ne sais rien, parce que sur le Jésus je sais comme tout le monde, ce que la rumeur populaire propage et ce que les évangélistes ont écrit. Dans la nef vous avez en opposition 2 autels secondaires consacrés à Ste "Ludmila" (pour l'un) et St Venceslas (pour l'autre). Pour ceux qui ne verraient pas la différence, car les 2 portent sur la tête la barrette des Prémyslides, alors St Venceslas est barbu avec un étendard dans la main, Ste "Ludmila" aussi, mais elle tient un rameau de palme, pas un étendard. Et pour l'anecdote, "Ludmila" s'écrit en bon Français avec 2 L, Ludmilla, ce qui donne phonétiquement Ludmiya, et donc c'est mal, faux, parce qu'on prononce m-i-l-a et pas m-i-y-a.
Les peintures de ces 2 autels, comme les autres tableaux fixés au mur, sont les oeuvres de l'artiste "Vilém Kandler" (église "Povýšení sv. Kříže" à "Františkových Lázních", la chapelle "Sv. Kříže" au château de Prague). Juste avant le choeur à droite, vous pouvez voir une statue baroque en bois de la Vierge-Marie, son Jésus assis sur un bras, une cannapêche tenue dans l'autre main. L'on ignore sont origine, comme la raison de la cannapêche, mais elle fut polychromée dans les années 30 du XX ème siècle (selon la facture). Juste à côté de Marie, il y un font baptismal de 1874. Sur le haut de l'arcade, devant l'entrée du choeur se trouve un cartouche représentant le tétramorphe, avec en son milieu le christogramme I.H.S. (Iesus Hominum Salvator). L'homme (en haut du cartouche, représentant St Matthieu) est plutôt loupé, mais il ne restait plus beaucoup de place jusqu'au plafond, alors l'artiste a tassé au mieux, du coup 1/4 du tétramorphe est amorphe. Au fond du choeur il y a le maître-autel comportant un mix de fourbi renaissance comme baroque. En plein centre, le tableau principal d'encore "Vilém Kandler" montre St Philippe et St Jacques commentant passionnément le discours de l'empereur de toutes les Tchéquie "Václav Klaus" à la dernière conférence de l'ONU
(le 24 sept. 2007) sur le thème du réchauffement climatique, sujet éminemment sensible sur lequel, en tant que président d'un pays et économiste de formation, il maîtrise parfaitement tous les détails lui permettant d'affirmer, comme dans son livre, que le réchauffement climatique n'est ni prouvé, ni une conséquence de l'activité humaine. Sur les cotés, autour du tableau central, sont peints les 4 évangélistes, alors qu'au dessus se trouve un relief en bois représentant le jugement dernier. En haut de la tribune, il y a un orgue de 1883, oeuvre du facteur praguois "Karl Schiffner" (1836-1894), disciple du grand maître "Josef Gartner" troisième. Curiosité: sous la tribune et jusqu'à la fin du XIX ème siècle s'y trouvait un relief en bois du début du XVI ème siècle, dit le relief de "Zlíchov" ("Zlíchovský relief"), ou le Christ et le chevalier ("Kristus a rytíř") de par la scène sculptée. Il aurait été déménagé vers le début du XVIII ème siècle en notre église, probablement de quelque part de Prague (sans certitude), mais on ignore d'où, comme du pourquoi.
Aussi ce relief porte le nom de "Zlíchovský relief", mais ce n'est en aucun cas son nom d'origine. Cette oeuvre est le travail du monogrammiste I.P. (Internetae Protocolis :-) de nom inconnu, bien que l'on présume qu'il s'agirait d'un sculpteur des environs de Linz, Salzburg et Passau qui aurait sévi en Bohême dans les années 1521 à 1525. On lui doit plusieurs oeuvres d'importance (musées de Prague, Vienne et Berlin) faisant la transition entre le haut gothique et la renaissance, en particulier l'autel de St Jean-Baptiste en l'église "Panny Marie před Týnem" (place de la vieille-ville). Son relief de "Zlíchov" se trouve aujourd'hui à la Galerie Nationale, et représente un sieur (sans doute le commanditaire de l'oeuvre) épaulé par St André (on reconnaît sa croix) et tenu (le sieur) par la main par la mort, priant (le sieur toujours) à genoux la Vierge-Marie afin qu'elle plaide sa cause auprès du Jésus se tenant en arrière-plan et essayant de faire lâcher prise à la mort qui ne veut pas
(lâcher prise), car comme dirait feu Raymond Barre, "quand le moment est venu, l’heure est arrivée", et pour bien accentuer ce point, le squelette (la mort) lève en l'air devant l'assemblée le sablier justificatif (ce pauv' bougre de chevalier a frappé à la mauvaise porte, il aurait mieux fait de voir ça avec St Pierre).

En face du derrière de l'église, sur le piton rocheux, se trouve une statue de St Jean de Népomucène de la fin du XVII ème siècle. Elle fut mise là dans la seconde moitié du XVIII ème siècle et comme pour l'église, on en ignore l'auteur (comme la raison de son transfert d'on ne sait d'où). Sur le chemin qui monte de la route vers l'église, vous verrez une colonne mariale en grès du début du XVII ème siècle vouée à la Vierge-Marie de la Montagne Sainte (près de "Příbram"), sans doute mieux que la Vierge-Marie tout court.
Autour de l'église repose en paix un cimetière qui n'est certes plus en fonction depuis 1897, mais sont encore plantées là de nombreuses pierres tombales. Bon, rien d'exceptionnel car la plus ancienne tombe date de 1834, donc n'espérez pas trouver là des prodiges d'architecture mortuaire. Pis voilà ce qu'on peut dire sur cette petite église. Oh pour sûr, elle n'est pas d'un intérêt capital et vous pouvez aisément faire l'impasse sur sa visite pour peu que vous soyez en retard, mais bon, moi j'y suis allé par curiosité, et j'ai pas regretté, alors je vous en parle comme ça, des fois que vous n'ayez rien d'autre de mieux important à faire.

Commentaires

Anonyme a dit…
Quelle érudition !
Strogoff a dit…
Chuis gêné, parce que ce n'est pas de l'érudition, ou un peu, enfin c'est à la portée de tous, rien d'extraordinaire. Mais merci quand même pour l'appréciation, je la montrerai à ma maman :-)

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