Célébrités: Maître Jan Hus

Après vous avoir mis une glorieuse tartinée de belles photos du château de "Vyšehrad" dans mon blog précédent, je me suis rendu compte en faisant le ménage sous le lit, qu'il m'en restait quelques unes en rab, de jolies photos.
Alors comme je me suis rappelé que je vous avais promis l'autre jours, de vous parler de maître Jan Hus, je me suis dit (la tête sous le lit) que tiens, ben je vais vous y mettre les photos qui restent, d'abord pour pas gâcher, pis en plus ça ira bien avec le sujet, parce que j'ai rien d'autre de plus assorti. Je vais donc vous parler de maître Jan Hus, né à la louche (et moulé aussi :-) en 1369 (mais pas sûr du tout), ou 1371 selon d'autres sources, et même 1367 selon ma femme de ménage qui prétend que le beau-frère de sa fille dont la nièce est mariée au grand-oncle de la bru du maire de "Husinec" (près de "Prachatice", où est né le maître) aurait (le maire) en sa possession un document original prouvant la date exacte de la naissance de Jan. Bref c'est le foin, et c'est même pas important quand il est né. Mais ce qui est sûr et certain par contre, comme vous le lirez dans la suite, c'est que maître Jan Hus est mort le 6 juillet 1415 à Constance, et ça c'est vachement important. Mais avant d'attaquer le vif du sujet, il faut que je vous précise certains faits historiques et éléments contextuels fichtrement importants pour bien comprendre comment on en est arrivé là où qu'on a atterri.

Le Grand Schisme d'Occident (1378 à 1417): en 1377, alors que les papes résident à Avignon depuis 1309, Grégoire XI (le dernier pape français) s'en retourne à Rome après avoir entendu la voix de Ste Catherine lui expliquer que c'était mieux ainsi, parce qu'un pape c'est fait pour être à Rome, et qu'Avignon, c'est pour les ponts (vous apprécierez au passage l'humour extrêmement fin de Ste Catherine, hein, elle aurait pu être grossière). A peine arrivé, Grégoire XI meurt en 1378 d'une apoplexie du dedans de la tête. Le "mobile vulgus" romain qui avait vu sa ville prospérer exponentiellement à l'arrivée du pape, et craignant que le suivant ne s'en retourne à Avignon (comme un ...), soumet les cardinaux à une pression énorme afin qu'ils élisent un romain, sinon un italien tout du moins, pour augmenter les chances qu'il reste à Rome. Ce sera fait en Avril 1378 avec l'élection du pape Urbain VI.
Ben oui, sauf que le pouvoir lui montant au cerveau rapidement et gravement, notre bon Urbain pas urbain devint dément, gravement. Les cardinaux se sentant menacés, décident alors d'invalider l'élection en août, prétextant qu'ils furent victimes des pressions de la plèbe, qu'ils regrettent beaucoup mais que non, que ça ne va pas le faire, que c'est pas possible avec Urbain, et hop, élisent dans la foulée un nouveau pape, Clément VII. Ouais, sauf que soutenu par les romains, Urbain VI refuse de passer la mitre, s'enferme au Vatican à double tour et avale la clé. Pas grave se dit Clément VII, il reste des meubles en Avignon, et hop, aussitôt s'en va prendre ses quartiers en France. Du coup on se retrouva donc avec 2 équipes de papes, à ma droite et en rouge, les romains dits Urbanistes (Urbain VI, Boniface IX, Innocent VII, puis Grégoire XII), à ma gauche et en bleu, les avignonnais dits Clémentins (Clément VII puis Benoît XIII). Inutile de vous dire que plus personne ne savait qui était le vrai pape, à qui on devait se fier, et lequel avait le téléphone rouge avec le seigneur, enfin une foire sans nom vit le jour à partir de 1378. Pis un jour quand même, des théologiens bougrement illuminés annoncèrent à la terre entière que c'est pas vrai, que c'est pas ainsi que ça marche, que pour être pape il faut avoir été élu par un concile et pas par une bande de cardinaux séniles.
Et paf, tiens, v'là que celui de Pise (de concile) est convoqué en 1409. On décide donc que ni le romain, ni l'avignonnais n'est pape, et on s'en invente un nouveau, un seul et vrai, Alexandre V qui sera le pape de Pise (Avignon et Rome étant déjà occupés, et les clés ayant été avalées par les résidents). Le pauvre bougre ne va pas tenir le coup longtemps, il décède l'année suivante et Jean XXIII lui succède (ils en ont plein en stock du pape, en veux-tu en voilà, de l'interchangeable. Plouf-plouf-ca-se-ra-toi-qui-se-ra-le-pa-pe...). Alors attention à ne pas confondre les 2 Jean XXIII (46 en tout), celui dont je parle c'est le Jean XXIII "Baldassare Cossa". L'autre Jean XXIII, celui du XXème siècle, c'est "Angelo Giuseppe Roncalli", rien à voir, d'ailleurs celui dont je parle moi, le "Baldassare Cossa" n'était pas pape, mais antipape. Enfin si, il était pape au moment où il l'était (pape), mais historiquement par la suite, quand on a mis de l'ordre dans tout ce foutoir, alors il est devenu antipape, c'est à dire pape non officiel, enfin non reconnu, après, par la suite. Bien, retour au grand bor... au Grand Schisme. Bon, imaginez quand même, qu'à cette époque, on se retrouve donc avec 3 papes (entre 1409 et 1415), Benoît XIII, Grégoire XII et Jean XXIII... "bingo!"... "bravo mémé, c'est gagné". Ce dernier (le XXIII) commença alors à faire ami-ami avec Sigismond (grand électeur de Brandebourg, devenu empereur du St Empire Romain Germanique grâce au soutien de Jean en 1410, fils de notre bon roi tchèque Charles IV) afin d'évincer les 2 autres pauvres cloches. Pis de manigances en manigances, de combines en combines, les 2 bougres (Jean et Sigismond) réunirent le concile de Constance (entre 1414 et 1418) afin de clarifier la situation, et surtout se débarrasser des 2 autres papes qui, somme toute, n'avaient pas plus ni moins de légitimité que notre magouilleur.
Mais les choses ne se passèrent pas vraiment comme prévu. En fait le concile était principalement gouverné par des théologiens et ressemblait plus à une assemblée de représentants d'états qu'à un consistoire. Et du coup, ces braves érudits "es religieuserie" décidèrent de faire le grand ménage une fois pour toute. Grégoire XII qui en avait assez de ces couillonneries jeta sa démission d'entrée de jeu, et les 2 papes restants qui continuaient à s'accrocher au pouvoir furent déchus de leur fonction (et durent rendre les clés). En 1417 on nomma donc à l'unanimité Martin V comme seul et unique pape, et s'en était fini du foin sans nom. Sans blague!

Les indulgences: bon, on va commencer par la définition, mais je vous préviens de suite, que ceux qui n'auraient pas fait catéchisme+5 n'ont pas beaucoup de chances de comprendre, enfin je vous expliquerai après, rassurez-vous. L'indulgence dans le "Code de Droit canonique" (can. 992) et dans le "Catéchisme de l'Église catholique" (n. 1471) "est la rémission devant Dieu de la peine temporelle due pour les péchés dont la faute est déjà effacée, rémission que le fidèle bien disposé obtient à certaines conditions déterminées, par l'action de l'Église, laquelle, en tant que dispensatrice de la rédemption, distribue et applique par son autorité le trésor des satisfactions du Christ et des saints". Bon, c'est clair comme du jus de glands à l'eau de boudin, alors je vous explique en gros. Quand vous êtes fautifs de n'importe quoi, même une connerie, genre, chais pas... tiens, si, vous avez péché en pensée, c'est mal de penser, et de surcroît pécher en même temps, alors d'abord il faut vous faire pardonner (en confession) puis vous achetez une indulgence comme relaxation de la peine temporelle. Alors les papes qui n'étaient pas les dernières des andouilles tirées à la ficelle, avaient tout de suite compris qu'il y avait copieusement moyen de récupérer du beurre à épinard auprès des naïfs nantis, et sans le moindre scrupule d'interférer dans le jugement de Dieu, ils avaient monté tout un commerce bougrement lucratif avec des niveaux d'indulgence qui allaient du droit à consommer de la viande le vendredi, jusqu'à une place 5 étoiles d'avance réservée au paradis près du chauffage et de la fenêtre avec vue sur la mer. En échange, soit le crédule mais aisé abrutit payait comptant, soit participait aux croisades du pape, ou encore lui prêtait des armées, des bateaux, de l'intendance pour ses guerres, des gueux pour ses récoltes, des voix pour ses décisions débiles, bref on s'arrangeait à l'amiable à l'époque. Ben quoi, on ne va pas s'emmerder non plus, hein... Tiens, pour ceux qui veulent en savoir plus sur les indulgences...

La communion sous les deux espèces: au delà de l'anecdote, car il faut bien le dire, les porte-soutane s'arrêtent à de puériles couillonneries (z'allez voir), il y a tout une symbolique derrière: le calice.
Je vous explique, pour les bouffe-curé comme moi qui n'ont pas été au petit séminaire. Au tout début de l'ère chrétienne, les fidèles recevaient la communion sous les deux espèces, le morceau de pain rompu (à la main), hop dans la bouche, première espèce. Puis ils buvaient le vin dans la coupe, deuxième espèce (..."de soiffard, laisse z'en aux autres!"), car comme tout le monde sait, Jésus aurait dit "Prenez et mangez, ceci est mon corps, buvez-en tous, car ceci est mon sang...". Pis peu à peu, l'on ne sait vraiment pourquoi (le vin devenant rare et cher?!), vers le début du nouveau millénaire cette tradition est tombée en désuétude, jusqu'à être totalement interdite par l'église. Et donc à l'époque dont je vous parle (fin du XIVème et début du XVème siècle), les fidèles recevaient juste le croûton, sec, tandis que le prêtre se tapait son croûton copieusement arrosé du bon vin de messe. "Ite, missa est. Y a plus rien à voir! Dehors tout le monde". Ainsi le retour de la coupe aux laïcs, comme c'était le cas originellement, était un des points de divergence entre les hussites et l'église romaine. Le calice deviendra donc vite le symbole de la révolte hussite. Maintenant, il est vrai que si Jésus avait réellement dit "buvez-en tous", bon, chais pas, mais ça me semble clair. Malheureusement on ne saura sans doute jamais quelles étaient les termes exacts. Quoi qu'il en soit, on peut quand même légitiment se poser la question de fond: et tout ça pour ça? Oui, entre autre, mais attendez, ça continue, il a encore la transsubstantiation.

La transsubstantiation: définition, "Par la consécration du pain et du vin s'opère le changement de toute la substance du pain en la substance du corps du Christ notre Seigneur et de toute la substance du vin en la substance de son sang" (encyclique "Ecclesia De Eucharistia", chap.1 §15). Alors pour ceux qui ont du mal à s'endormir le soir, je vous ai trouvé plus de détails, c'est clair et limpide (et soporifique à souhait). Dans la pratique, je vous laisse juger de la pertinence d'une telle transmutation. C'est ainsi que John Wycliffe introduira la notion (hérétique) de rémanence,
à savoir qu'il n'y a pas de miracle après le sacrement de l'eucharistie, le pain reste du pain et le vin reste du vin (et le pécheur reste pécheur), mais cet acte représente un symbole auquel on accorde un sens religieux. "Enfin quoi John, t'as pas honte d'affirmer des trucs pareils?".

John Wycliffe (ou Wyclif, au choix, 132? - 1384): enseignant anglais de théologie et de philosophie à Oxford, traducteur de la bible en Anglais (ou plutôt de la bible en Latin vers l'Anglais), il est le précurseur de la Réforme (de l'Eglise). Réaliste (contrairement à nominaliste, regardez dans le dictionnaire, je ne peux quand même pas tout vous expliquer), il remet en cause la doctrine de la transsubstantiation, l'autorité hiérarchique dans l'Église (et donc l'autorité du pape), dénonce l'esclavage, les guerres (et donc les croisades du pape), les indulgences (du pape), et prêche pour un retour à la pauvreté des princes de l'église (en particulier du pape). Inutile de vous préciser qu'avec des idées subversives pareilles, il ne s'est pas attiré les bonnes grâces des pontifes en particulier de Grégoire XI qui l'accusera d'hérésie (eh zi... eh si). Malgré tous ces déboires, John Wycliffe décédera de mort naturelle (et de son vivant) en 1384. Lors du concile de Constance en 1415, il (et ses thèses) sera à nouveau reconnu hérétique (on ne sait jamais, hein, deux fois vaut mieux qu'une) et confirmé post-mortem dans son hérésie (l'effronté). Son corps sera exhumé et brûlé vers 1428. Maintenant ce qu'il est important de retenir, c'est que sans John Wycliffe, il n'y aurait pas eu de Jan Hus, ni de Martin Luther, ni tout le chambard mondial qui en découla.

Jérôme de Prague (1370 - 1416): théologien et ami de Jan Hus, il fut le premier à rapporter en Bohême les enseignements de John Wycliffe (vers 1401). Ardant défenseur des théories "subversives", il sera excommunié, puis brûlé vif par décision du concile de Constance un an après son ami Jan Hus qu'il était venu défendre.

Bien ceci étant dit, passons à notre sujet, "Jan Husinecký" (il portait le nom de sa ville de naissance, "Husinec", près de "Prachatice", comme Léon de Bruxelles ou Charles de Gaulle, encore que pour ce dernier on n'est pas vraiment sûr de son lieu de naissance exact, enfin quelque part en Gaulle), en Latin "Johannes de Hussinetz".
Et tout d'abord, le contexte historique, parce qu'évidemment, lecteurs curieux, me demanderez-vous "mais alors et comment en est-on arrivé de John Wycliffe en Angleterre à Jan Hus en Bohême"? En fait l'Angleterre devint particulièrement proche d'avec la Bohême lorsqu'en 1382, la soeur du roi de Bohême Václav IV (Venceslas en français), Anne de Luxembourg (fille du bon roi Charles IV) épousa le roi d'Angleterre, Richard II. Ainsi quelques étudiants partirent étudier à Oxford, rapportant avec eux moult idées nouvelles à l'instar de Jérôme de Prague. De ce fait les enseignements de John Wycliffe commencèrent à se répandre en Bohême à partir de 1401, notamment dans les sphères philosophiques de l'université Charles où l'on appréciait d'avantage leur caractère philosophique réaliste (par opposition au nominalisme, hop, dictionnaire...) plutôt que leur approche théologique. Ben oui, mais c'était sans compter avec la politique, inhérente à tout bordel historique, et en particulier à celui qui régnait en ce tout début de XVème siècle. Je vous explique. Premièrement, les 2 papes issus du grand bor… du Grand Schisme (puis les 3 à partir de 1409) se disputaient âprement la mitre à grand renfort d'alliance avec les rois de toute l'Europe. Deuxièmement, Sigismond, roi de Hongrie, frère du roi de Bohême Václav IV lorgnait méchamment sur les possessions de son frère aîné, et apportait son soutien à Grégoire XII, que notre roi de Bohême ne pouvait plus blairer depuis que ce fumier de pape avait reconnu l'attribution de la couronne Germanique à Bob de Bavière au détriment de notre bon Václav IV (en 1400). Troisièmement, l'université Charles, cerveau pensant de l'empire de Bohême (et de toute l'Europe Centrale), était administrativement composée de 4 "nations", tchèque, bavaroise, polonaise et saxonne qui participaient de façon paritaire à l'élection du recteur, à la gestion de l'université
Et tandis que la nation tchèque soutenait sont protégé Jan Hus opposé aux papes corrompus, les autres nations quant à elles penchaient pour Grégoire XII. Le fossé entre nations était accentué de surcroît par le fait que la nation polonaise était principalement constituée d'étudiants de langue germanique. Quatrièmement, les peuples "Allemands" (l'Allemagne n'existait pas du tout en ce temps, mais bon, disons les peuples qui aujourd'hui composent l'Allemagne), depuis le règne (1197-1230) d'Ottokar Premysl Ier, prenaient de l'importance en Bohême, fondant même des villes "Allemandes" et conservant des privilèges issus du droit Germanique. Particulièrement mal vus par la population tchèque car proches du pape Romain, ils occupaient également beaucoup de postes clés dans la ville de Prague (postes économiques, politiques, religieux...). Inutile de vous préciser que nous étions à l'aube des tensions nationalistes entre Tchèques et Allemands qui ne seront définitivement et douloureusement réglées qu'en milieu de XXème siècle. Cinquièmement, en cette fin de Moyen-Age où le fossé reste énorme entre les pauvres et les riches; les instruits et les illettrés, les nobles et les vilains, les beaux et les moches, les qui puent et les qui sentent bon, ceux qui ont une charrette et ceux qui n'en ont pas, un vent d'idées nouvelles, de conceptions du monde inédites soufflait fortement de la Grande-Bretagne à l'Ukraine, de la Baltique à la Mer Noire, et la Bohême était au centre de la bourrasque naissante. Mettez tous ces éléments dans un grand sac, secouez bien, et hop, vous obtenez une situation explosive qui finira par péter à la face de toute la Bohême éclaboussant les frontières aux alentours sur plusieurs siècles. C'est à partir de 1403, alors que le roi Václav IV avait demandé à ses prélats ainsi qu'aux professeurs de l'université de rester neutre dans les tensions papales, que maître Jan Hus prêchait dans sa chapelle Bethléem un retour à la piété originelle, aux doctrines pures des Saintes Ecritures en s'appuyant sur les thèses de John Wycliffe adaptées à la sauce locale. Ses sermons en Tchèque (et non en Latin comme il était coutume en ces temps) rencontraient de plus en plus de succès auprès de la population mais également auprès d'une partie de l'aristocratie et de la bourgeoisie pragoise.
Tout y passait, les princes de l'église corrompus, leur richesse indécente, les indulgences impudiques, les croisades insolentes, le tout uniquement destiné à servir les intérêts des papes et des cardinaux… bref il y en avait velu à dire, et Jan ne s'en privait pas. Il réussit même à faire changer les statuts de l'université Charles au profit de la nation tchèque et au détriment des autres nations, ce qui eu pour conséquence malheureuse le départ des étudiants et des professeurs des autres nations qui fondirent (en 1409) l'université de Leipzig (Karl Marx university sous les con-munistes, Leipzig ayant été du mauvais côté du mur :-) La notoriété et la popularité de Jan Hus grandissantes, l'archevêque de Prague sent la menace sur tout l'empire catholique et interdit le maître de prédication. Mais ce dernier ignore les ordres du prélat, soutenu par le roi Václav IV lui-même (il est également le confesseur de son épouse, la reine Sophie de Bavière), ainsi que par une grande partie de la population pragoise.

Mais tout bascula après le concile de Pise (1409) et la reconnaissance du pape Alexandre V par l'archevêque de Prague qui alla rapidement moucharder au nouveau souverain pontife qu'il se passait des choses fâcheuses à Prague, et qu'il faudrait rapidement penser à y mettre bon ordre pour le grand bien de l'église. La réaction ne se fit point attendre, bulle papale, Wycliffe interdit, livres brûlés, et Jan Hus invité à venir s'expliquer séance tenante devant le pape. Ce à quoi il répondit "Cher Monsieur le pape, je me sens extrêmement flatté par votre invitation à Pise, et considère comme grand honneur que vous ayez pensé à moi alors que vous devez avoir tant à faire. Je suis réellement flatté. Malheureusement mes prêches quotidiennes et mes ouailles abondantes me retiennent à Prague, aussi je suis dans l'impossibilité d'accepter votre offre bienveillante. Cependant n'hésitez pas à me passer un coup de fil dans le cas où vous seriez de passage à Prague, c'est avec grand plaisir que j'échangerai quelques mots avec vous autour d'une chopine de bière. Veuillez agréer...". C'est ainsi que le maître fut déclaré désobéissant et séditieux, il sera excommunié en 1411.
A la mort de l'archevêque délateur, cette même année (comme quoi ça ne paye vraiment pas de cafarder), le maître comme le roi pensaient qu'il serait encore possible d'arriver à une entente à l'amiable propre à contenter toutes les parties. Ils y eu échanges de lettres, arbitrages, compromis... pis arrive le foin de 1412. Jean XXIII qui voulait en finir avec l'un de ses rivaux (Grégoire XII) décida de lancer une croisade contre le roi Ladislas de Naples son allié (à Greg). Ben oui mais les caisses du pape (Jean) étaient vides, et les banques ne voyant pas un réel retour sur investissement, voir un risque direct, lui refusèrent un prêt même à court terme et à taux exorbitants. Pas grave se dit-il, "après tout je suis pape, je vais lancer des indulgences, et hop, tu vas voir le grisbi grassouillet qui va me tomber dans les fouilles comme des poires trop mûres". "Et tiens, et si ça se trouve, il va même m'en rester pour m'acheter des glaces à deux boules cet été en vacances sur la côte" rajouta-t-il. Lorsque la bulle papale arriva à Prague et fut diffusée en grande hâte par l'archevêque dans toute la ville, notre bon maître Jan Hus tourna au rouge vif, fut pris de convulsions, et prononça aussitôt de violentes homélies enflammées, disant en substance que l'archevêque de Prague = âne bâté, pape = escroc, bulle = caca, croisade contre chrétien = péché. S'en suivirent des manifestations dans les rues, des démonstrations de foule comme ils savent les faire ici (hussites tchèques, contre les autres nations catholiques de la ville), et les inévitables heurts avec la police sur "Národní Třída". Tout ça finit par agacer notre bon roi qui avait de quoi faire pour maintenir son royaume dans la Communauté Européenne du St Empire Romain Germanique,
pour montrer qu'il restait fidèle à l'église du pape (lequel?) et surtout Václav IV ne voulait pas s'attirer des ennuis avec ses voisins en particulier avec son frère Sigismond (devenu roi de Germanie en 1410) qui en avait gros à lui reprocher après les affaires de "l'Universitas Carolina" (entres-autres). Et tandis que Jan Hus était à nouveau excommunié, il perdit le soutien de bon nombre de ses amis proches, mais pire, celui du roi. C'est ainsi qu'il quitta Prague pour vivre retiré au sud du royaume. Il continua néanmoins d'écrire, et ses textes étaient régulièrement lus en public dans la chapelle Bethléem, tandis que ses idées commençaient à se répandre au-delà des frontières de la Bohême. Et donc ben voila, la situation n'était guère brillante en cette année 1413. D'un côté notre bon maître Jan, avec le soutien de la population qui voyait en lui un héros de la nation et un libérateur du peuple Tchèque, de l'autre et contre lui, le clergé et Rome soutenus par la plupart des pays d'Europe (la France en particulier avec ses cardinaux et ses théologiens influents), pis au milieu, Václav IV qui essayait d'apaiser les tensions en ménageant la chèvre, le choux, le bébé et le bain.

Pis sous la pression de Sigismond (alors empereur du St Empire Romain Germanique), arriva le fameux concile de Constance (1414), qui avait deux objectifs principaux, mettre de l'ordre dans le schisme (en réformant l'église s'il le fallait), et trouver une solution rapide à la montée de l'hérésie en Bohême qui risquait grandement de contaminer l'ensemble de l'Europe. Ce bougre d'empereur, qui avait quand même un brin de bon sens, se dit qu'après tout, hein, si déjà on forme un concile, pourquoi qu'on irait pas écouter les théories de l'autre hérétique puisqu'elles avaient tellement de succès auprès du peuple, hein, après tout, qui sait? Et
Sigismond d'inviter notre Jan Hus à Constance pour plaider la cause de sa conception de l'église, de l'illégitimité des ecclésiastiques homicides et de la communion sous les deux espèces, l'immunité lui étant garantie par un sauf-conduit rédigé de la propre main de l'empereur. Jan Hus ne se dégonfle pas, et se rend au concile (fin 1414). Au départ serein, il fut maintes fois entendu par les membres du concile, puis jugé, puis emprisonné, puis re-entendu, re-emprisonné... bref, ce fut assez long (8 mois en tout). Mais comme cette partie de l'histoire n'est pas des plus intéressantes, alors je vais vous le faire synthétique pour gagner du temps. Défenseur, et pour ainsi dire disciple de Wycliffe que les prélats et théologiens de l'assemblée avaient définitivement jugé hérétique et dont ils avaient brûlé les écrits quelques années auparavant, ne reconnaissant aucunement l'autorité de l'église qui lui avait plusieurs fois et catégoriquement interdit le prêche, maître réaliste alors que le nominalisme gouvernait les universités de Paris, Leipzig et Oxford, Jan Hus n'avait aucune chance de salut face aux accusations de tout ce que l'Europe comptait à l'époque de soutaneux calottés et d'érudits en bondieusardologie. De surcroît têtu et obstiné comme la bourrique sur laquelle il était arrivé à Constance, Jan Hus, jugé pour hérésie, réfutait toutes les accusations, et excluait la moindre rétractation de ses thèses. Le 6 juillet 1415, il fut donc déclaré manifestement hérétique, défroqué, remis au bailli, et brûlé vif sur le bûcher le jour même du verdict. Pis on allait gaillardement passer au tour de Jérôme de Prague, arrivé à Constance quelques mois avant l'exécution du maître afin de lui porter assistance dans ce semblant de procès. Arrêté pour les mêmes motifs, jugé dans les mêmes conditions, il connaîtra le même sort en mai 1416. Et le sauf-conduit de Sigismond me demanderez-vous? Ah ben oui, mais bon, que voulez-vous, la raison d'état n'a pas d'honneur. Lorsque Sigismond apprit que les membres du concile avaient violés le sauf-conduit qu'il avait personnellement octroyé à Jan Hus, il menaça de les empaler sauvagement sur la plus haute flèche de la cathédrale de Constance préalablement ointe de Tabasco ultra hot pepper sauce (aujourd'hui interdite à la vente), mais ce faisant, il aurait dissous le concile "de facto" et retardé de plusieurs années (voire dizaines d'années) le dénouement du Grand Schisme d'Occident. Il finit par se résoudre à laisser le maître entre les mains non plus du concile mais du tribunal avec les regrettables conséquences que l'on connaît. Car loin d'avoir brûlé un hérétique, le concile avait occis le représentant de tout un peuple à la recherche de son identité nationale, un orateur sans pareil qui s'adressait à tous, dans une langue commune et compréhensible par tous, en Tchèque.
Ses attaques fustigeaient les riches et les puissants, défendaient les pauvres et les miséreux. C'est ainsi que la mort de Jan Hus entraîna la Bohême dans une guerre contre le St Empire Romain Germanique lors des guerres Hussites (1420 - 1434). Le royaume alla même jusqu'à résister aux 5 croisades lancées par le pape contre les hérétiques de Bohême... mais ça fera l'objet (peut-être) d'une autre publication. Et puis signalons aussi quand même qu'en 1999, le pape Jean Paul II a "exprimé son profond regret pour la mort cruelle infligée à Jan Hus". Sympa Jean-Paul, merci, mais tu sais, il est mort depuis une bonne paire de semaines, alors maintenant, hein... mais ça fait quand même plaisir de savoir que l'église reconnaît (parfois) ses torts, malgré un certain retard... Remarque eh, 600 ans terrestres par rapport à la vie éternelle (aux côtés du Seigneur?), qu'est ce c'est?

Bon ok, mais que nous a laissé Jan Hus? Dans l'Europe, il est à l'origine des fractures religieuses d'avec l'église romaine, de la naissance du protestantisme au début du XVIème siècle. En République Tchèque, les apports sont multiples. Le premier par exemple est d'ordre linguistique. Le maître serait à l'origine de l'introduction du "háček",
c'est le signe "ˇ" que vous trouvez sur le "c" du mot "háček". A quoi ça sert? Eh bien dans l'alphabet latin slave, cette diacritique permet de représenter un phonème à l'aide d'un seul et unique caractère, c'est bougrement pratique. Tiens, regardez voir, en Français, les sons "ch" (château) ou "tch" (tchèque), ben en Tchèque on a "š" (šato) et "č" (ček). Ainsi "s" se prononce "s" mais "š" se prononce "ch", "c" se prononce "ts" et "č" se prononce "tch"... Et on en a plein d'autres, mais comme ces phonèmes n'existent pas en Français, je vous en fais grâce. Maintenant imaginez juste un instant qu'en Français justement, l'on remplace les sons "un" (mais aussi "in", "ain"...) par une seule lettre, "ĩ " par exemple, les "en", "an", par "ã", les "oi", "oua" par "õ", les "eu", "oeu" par "ē", les "ou" par "ũ"... Pis on supprime les doubles consonnes qui n'apportent strictement rien à la prononciation mais compliquent inutilement l'orthographe (ok, "pression" et "presion" ça marche pas, encore que "précion", hein... mais "apporter" et "aporter", il n'y a aucune "diférãce"), pis fini les exceptions ("évidemment" qui se prononce "évidamã"), fini le problème du "n" remplacé par "m" devant un "p" ou un "b", puis le son "s" qui restera "s" même entre 2 voyelles... Imaginéz ĩ pē come se serèt fasil d'écrir ã frãcé avec une sēle lètre pũr šak fonèm? Enfin bon, c'est pas pour demain cette histoire, en France.

Pis il nous a aussi laissé la devise de la République. En France vous avez "Travail, famille et roudoudou"... euh non... ça a changé depuis, c'est "Lit berté et gars lité f'ra taire Nité", ou un truc comme ça, alors nous ici on a "La vérité vaincra" (fichtrement copié par l'Inde "La vérité l'emportera", le Népal "La vérité prévaudra toujours", et la Corée du Nord "La vérité, mon cul").
Bon, mais en fait la vraie phrase qu'il aurait dite était un peu autre quand même, "Hledej pravdu, slyš pravdu, uč se pravdē, miluj pravdu, prav pravdu, drž pravdu, braň pravdu až do smrti, neboť pravda tē vysvobodí od hříchu, od ďábla, od smrti duše a konečnē od smrti vēčné" ce qui se traduirait par "Cherche la vérité, écoute la vérité, apprends la vérité, aime la vérité, dis la vérité, attache-toi à la vérité, défend la vérité jusqu'à la mort, car la vérité te sauvera du péché, du diable, de la mort de l'âme et finalement de la mort éternelle". Alors on sent de suite l'empreinte, la teneur religieuse d'une telle affirmation, aussi pour une république laïc, on a du un peu arranger la sauce, forcement...

Pis un peu en marge, on a l'Eglise Hussite Tchécoslovaque, mais bon, c'est plutôt de l'anecdote, parce qu'elle a été fondée en 1920 et qu'elle n'a donc rien à voir avec Jan Hus sinon le nom. En 2001 elle prétendait compter 99.000 membres (chiffre non officiel), soit quelques 1 dixième de la population. Enfin bon, je ne sais dans quelle mesure on peut réellement prendre ces chiffres au sérieux, parce qu'entre ceux, par exemple, qui se déclarent catholiques mais qui n'ont pas franchi le seuil de la maison du seigneur depuis des années, et je ne parle même pas de la confession de leurs péchés... il se peut donc qu'il y ait un sérieux écart entre les inscrits et les votants. Et pis je vais en rester là, parce que me rends compte que je vous en ai mis une bonne pâtée velue à nouveau, et que ça devrait bien vous faire la semaine, au moins...

Commentaires

Anonyme a dit…
votreblog est tres interessant; j apprecie son erudition autant que son humour.BRAVO
Strogoff a dit…
>Marie: ben merci bien pour le compliment. J'espère pouvoir ainsi vous compter parmi mes fidèles lecteurs, alors n'hésitez pas à placer d'autres commentaires, je me ferai un plaisir d'y répondre.

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