Ville: rue Brûlée et Ste trinité

Alors de celle-ci d'église, vous n'en entendrez pas beaucoup parler, ni dans les livres d'histoire, ni par la bouche des gens, parce que d'abord elle est particulièrement récente, pis ensuite elle n'est pas romaine catholique mais gréco-catholique. Elle est de rite oriental (dit russo-grecque, voire byzantin), sans pour autant être orthodoxe, puisqu'elle reconnaît l'autorité pas pâle (du pape).
Alors je ne suis pas un expert des milliers de branches schismatiques (dérivées?) du tronc commun chrétien, aussi je ne vais pas entrer dans les détails. Sachez cependant que la notre d'église sert de lieu de culte au "Pražský gréckokatolícky dekanát" (genre décanat gréco-catholique de Prague, comme St Longin) qui compte seulement quelques 7 700 fans (recensement de 2001). Et c'est peu, vraiment peu. Tiens, parce que les jésuites ont particulièrement bien fait leur boulot en Bohême pendant quelques 3 siècles, la population indigène se déclare plutôt d'obédience romaine-catholique (2,7 millions, 350 fois plus). Maintenant attention. Lors du dernier recensement (en 2001), la question posée n'était pas "êtes-vous de confession..." mais "de quelle obédience vous réclamez-vous" ("uveďte co nejpřesněji, k jaké církvi, náboženské společnosti nebo víře se hlásíte").
Et c'est pour le moins tendancieux comme question me semble-t-il, parce qu'entre "êtes-vous..." et "vous sentez-vous..." y a une grosse différence pour moi. Genre on peut se sentir malade s'en l'être, comme on peut se sentir gras, beau... vous voyez la nuance? Quant à la réponse, il ne s'agissait pas d'une croix à cocher en face d'une religion (courant religieux), mais d'un texte libre (ce qui explique les 9% de réponses indéterminées). Aussi parce que la plupart des Tchèques décorent leur sapin à Noël, qu'ils faignantent le lundi de Pâques et qu'il pleut à la Toussaint, 99% d'entres-eux ont répondu "catholique" sans faire la différence entre romain, grecque et orthodoxe. Du coup l'administration des statistiques obscures a interprété au choix les réponses ambigües. Et je ne parle pas de ceux qui se réclament catholiques comme ils se réclameraient démocrates, parce que ça fait bien, c'est une tradition familiale, genre le chrétien-démocrate passif vert à la droite conservatrice de la gauche populaire. Bref... du coup, notre l'église de la trinité n'est pas spécialement visitée, et donc peu connue, de fait peu documentée.

Alors signalons déjà, que des églises de la Ste trinité (des fois on dit sainte trinité, des fois trinité tout court... mais c'est tout pareil), il en existe plusieurs dans Prague. Il y a tout d'abord la chaplette baroque de la trinité à "Smíchov", datant de 1667, restaurée en 1732, et qui se trouve en plutôt mauvais état (elle l'était la dernière fois que j'y suis passé). A 400 m de là se trouve une église de la trinité, en plein dedans le cimetière mal nommé de "Malá Strana" (mal nommé car "Malá Strana" se trouve dans Prague 1, et pas dans Prague 5). Puis il y a la fameuse Ste trinité de "Podskalí" (anciennement St Antoine, brûlée par les hussites) dont le sol est sous-élevé par rapport au trottoir (à l'instar de l'ancienne douane de "Výtoň") car l'édifice se trouvait là avant le rehaussement du reste des alentours pour parer aux inondations. Enfin il y a l'ancien ossuaire près de l'église "sv. Haštal" (près du couvent/galerie Ste Agnès, cf. mes photos) construit en 1660, transformé en 1712 par le fabuleux "Kilián Ignác Dientzenhofer" en chapelle de la Ste trinité (cf. la peinture murale toujours visible aujourd'hui représentant le trinôme), transformée en 1832 en maison d'habitation (que c'est d'ailleurs toujours aujourd'hui), mais dont personne ne connaît l'histoire
(de cet édifice), et encore moins qu'il s'appelait "trinité", alors que des milliers de touristes passent devant en se rendant à la fantastique galerie nationale en Ste Agnès. Ah, oui, et j'oubliais encore la chaplette de la Ste trinité de "Dejvice". Bon, mais c'est d'aucune de celles-là qu'on se parle de trinité, parce qu'aujourd'hui le sujet c'est la Ste trinité de la rue Brûlée, rue "Spálená".

Tout d'abord quelques mots sur la rue, car la rue Brûlée a été, et reste encore aujourd'hui, une rue importante de la capitale. Au vieux moyen âge, cette rue se trouvait au delà des fortifications de la ville, et représentait la plus importante voie de communication entre le château de Prague et le château de "Vyšehrad", en passant entre le cloître des Maüs (Emmaüs) et l'église St Jean na Skalce.
Elle commençait à la porte dite de "Zderaz" (cf. une précédente publie pour l'origine du mot), près de l'église St Martin dans le mur (car accolée à l'enceinte de la cité) rue "Na Perštýně" où se trouve la bien bonne taverne "Aux oursons" que je recommande non seulement pour son excellente bière "Budvar", mais également pour son hébergement de rapport qualité/prix/centre ville sans concurrence (certaines chambres sont énormes de beauté). Et son ancienneté (de la rue) est prouvée par son tracé. Tiens, remarquez le coude entre "Purkyňova" et "Lazarská". Lorsque le bon roi Charles IV lança la construction de la nouvelle ville (en 1348), il demanda à ses architectes de faire simple et ficace, de prendre exemple sur New-York et de tracer les rues à la règle (cf. les rues autour de "Spálená", droites comme la justice).
Ainsi seules les voies plus anciennes ont été conservées avec leurs irrégularités, quant aux nouvelles, toutes droites qu'elles furent tirées. Ensuite, et parce qu'au temps du bon roi Charles l'industrie mondiale n'avait pas encore été déménagée en Indéchine (ne confondez pas l'Inde et Chine avec l'Indochine, la dernière est au milieu des 2 précédentes), la ville raisonnait d'un boucan infernal, en particulier à cause des ferronniers, chaudronniers, armuriers, couteliers, forgeriers... forgerons, qui cognaient la taule comme des sourds du lever du coq au coucher du soleil. Et donc à cause de tout ce chambard bruyant, le roi fit déménager tout ce monde loin du centre, dans la rue Brûlée, hors de l'enceinte de la ville. Après les bruyants, suivirent (mais encore plus loin) les puants (tanneurs, mégisser...), les encombrants (constructeurs aéronautiques, armateurs pétroliques...), les embarrassants (tortureurs, exécuteurs, prostituteurs...), les souffrants (contagieux, gâteux, débileux...), mais ça c'est une autre histoire. Tiens, faites-moi penser un jour que je vous parle des quartiers de la Prague moyenâgeuse par corps de métier, c'est trop top intéressant. Bref, et parce que les bruyants restèrent dans la rue Brûlée, ben sous le bon roi Charles elle s'appelait rue des Forgerons.
Mais y avait pas que des forgerons dans notre rue. En effet, depuis 1254 (cf. l'édit "Statuta Judaeorum" du roi "Přemysl Otakar II" concernant les droits et la protection des Juifs en terres siennes), il s'y trouvait également un cimetière juif, un très vieux cimetière juif, encore plus vieux que le fameux vieux cimetière juif qui d'ailleurs lui succéda. Le cimetière s'étendait de la rue "Purkyňova" au Nord, par delà de la rue "Vladislavova" à l'Est, et au delà de "Lazarská" au Sud. En 1478, le cimetière fut arrêté par le roi W ("Vladislav II. Jagellonský", 1456-1516), et l'on construisit sur son dessus des habitations. En ce temps, on était loin d'imaginer l'énorme chambard que cela allait provoquer 522 ans plus tard (cf. plus loin).

Le 3 juin 1506 il y eut le feu dans la rue des Forgerons. Quelques 20 habitations brûlèrent, et dès 1518 on eut pu lire dans les archives (qui n'avaient pas brûlé) le nom de rue Brûlée, toujours en vigueur aujourd'hui.
Puis pendant quelques 200 ans, on ne sait plus grand chose ni de la rue, ni du vieux cimetière juif, ni des feux, ni de rien, jusqu'en 1708 lorsque la parcelle fut achetée par les trinitaires, "Ordo Sanctae Trinitatis de Redemptione Captivorum", ou l’Ordre de la Très Sainte Trinité en Françé. Alors remontons un peu le temps en arrière. Sans dépeindre en détail l'ordre des trinitaires dont vous pouvez lire les aventures chez Wikipédia, sachez en gros qu'il s'agit d'un ordre français, né vers la fin du XII ème siècle, et dont la fonction consistait à racheter aux barbares musulmans les esclaves catholiques bêtement tombés entre leurs mains (en ces temps les moines n'avaient pas compris les bénéfices des lois darwiniennes sur l'évolution de l'espèce humaine :-) La légende raconte que Félix de Valois aurait aperçu dans la forêt un cerf avec une croix entre les bois (cornes), lequel lui aurait enjoint d'aller racheter les esclaves (j'te dis pas comme il était chargé le Félix, ce jour-là). Et cette légende est fantastiquement évoquée sur le pont Charles par le génial "Ferdinand Maxmilián Brokoff" (statue grandiose de 1714, sa dernière oeuvre pour le pont Charles).
On y voit Félix de Valois, Jean de Matha (co-fondateur de la compagnie), Ivan l'air mite (ermite local et distributeur exclusif pour la Bohême de la pensée trinitaire), le cerf à croix, un Turc bedonnant son cimeterre à la ceinture avec son kiki, tout deux gardiens de la prison dans laquelle se trouvent de pauvres chrétiens (regardez dedans, on les voit bien).

Et puisqu'on parle du Turc de la statue, je vais vous parler d'une légende (lecture: "František Langer, Pražské legendy"). Il y a bien longtemps, lorsque les premiers colons arrivèrent sur l'île de "Kampa", le roi leur octroya le droit d'y habiter, d'y construire foyer et d'y mener commerce à la condition qu'ils s'occupent soigneusement du pont en pierre (alors Judith, puis plus tard Charles). Ca tombait bien, beaucoup d'entres-eux étaient maçons, bâtisseurs, tailleurs de pierre, marchands ambulants de scoubidous et joueurs de musique dissonante... Puis au fil des siècles, cette corvée se transforma en impôt. Les habitants de "Kampa" payaient ainsi une taxe spéciale pour la réparation de l'édifice.
Entre la fin du XVII ème et le début du XVIII ème siècle, l'on commença à enjoliver le pont avec des statues baroques, oeuvres des plus grands maîtres sculpteurs de leur temps. Et la légende raconte, que par remerciement envers les habitants de "Kampa" qui s'occupèrent du pont pendants des siècles, les statues prenaient à tour de rôle les nouveau-nés de l'île sous leur protection. A chaque naissance d'un petit nenfant à "Kampa", une des figures de la trentaine de statues du pont Charles prenait en parrainage le bambin afin de veiller sur lui comme un ange. Et toutes les figures de toutes les statues y avaient droit, jusqu'au Turc bedonnant et garde-chiourme de "Ferdinand Maxmilián Brokoff" sur l'oeuvre dédiée aux trinitaires. Ce jour-là naquit un petit nenfant dans la famille du charpentier "Kaláb". Pendant les premières années de sa vie, le Turc se la coulait douce, car le bambin n'était pas spécialement enragé. Il suivait l'école normalement, devint couvreur dans la lignée de son papa, et jusqu'à l'âge de 19 ans, la main protectrice du Turc n'eut pas spécialement besoin de se poser sur l'épaule du jeune-homme. Mais vers les années 1875 - 1878, alors que la Bosnie-Herzégovine se battait aux cotés de la Russie pour son indépendance face à l'occupation ottomane, l'empire austro-hongrois soutenait indirectement cette lutte, et des soldats de François-Joseph se retrouvèrent face à l'ennemie turc.
Ce fut le cas notamment de notre "Kaláb", et c'est à ce moment que la protection du parrain turc sur le pont Charles commença à se manifester. Lors d'une bataille, le chanceux fut blessé à la jambe, et parce que clopinant, il eut droit au retour en sa patrie où il prit le rôle de garde-chiourme, comme son protecteur. L'assistance du parrain peut vous sembler bien chétive de prime abord, mais croyez-moi, bon nombre des co-combattants du boiteux tombèrent sous les bales ottomanes. Après 30 années de service auprès de l'administration impériale, "Kaláb" prit sa retraite et reçut une rente grâce à laquelle il ouvrit un débit de tabac situé sur la place de Malte, juste en face des arcades (aujourd'hui s'y trouve une vinothèque ou un café, chais plus exactement). Et comme en cette époque l'on considérait le tabac comme turc (du reste comme le café, le tapis, le bain, la tête de... et les chiottes à la...), il se fit peindre une enseigne à l'effigie d'un Turc. Il en confia la réalisation à un jeunétudiant en Art qui fréquentait assidûment l'échoppe, car par manque de commande malgré son talent, ce dernier fumait à crédit. Par cette réalisation, il put ainsi s'acquitter de ses dettes auprès de son créancier. Et le bougre ne fut pas avare de talent. Il peignit une splendide enseigne représentant un Turc fumant une pipe, et mit une touche d'humour personnel dans l'oeuvre en croquant fidèlement la bouille du buraliste sous le fez rouge caractéristique.
Cette enseigne devint célèbre dans tout Prague, et nombreux curieux se pressaient dans l'échoppe afin d'apprécier par eux-mêmes la stupéfiante ressemblance entre le portrait de l'enseigne et l'original fichtre officiant derrière le comptoir. Inutile de préciser que le commerce tabagique prospérait allégrement. A la mort de "Kaláb", sa veuve et ses gnafrons héritèrent de l'affaire qui commençait à ne plus fonctionner aussi juteusement qu'auparavant. L'affaire allait d'ailleurs de mal en pire, au point que l'on commença à vendre tout ce qui pouvait avoir de la valeur, histoire de payer les fractures. Un jour, la veuve décida de mettre en vente l'enseigne peinte par le jeunartiste, un des derniers biens vendables avant le commerce en soi. Et quelques jours plus tard, alors qu'il visitait nostre capitale, un Zétazunien tomba follement amoureux de l'enseigne du feu buraliste. Il prétendit qu'icelle eut certainement été peinte par un Dürer, un Rembrandt ou un Arcimboldo (pour vous dire comme il mélangeait tout le pauv' boug') et paya gros argent comptant et très buchant avant de disparaître avec son acquisition.
Aujourd'hui encore l'on ignore si ce mystère est à mettre au compte du protecteur turc, ou doit être considéré comme une preuve supplémentaire de la dégénérescence cérébrale inversement proportionnelle à l'accroissement pondéral de certaines espèces humaines d'Amérique. Ceci-dit les dollars du couillons firent l'affaire de la veuve qui... Ouah di diou... j'ai fait long... bon je termine puisque j'en suis à la fin.

Alors les trinitaires... Ah ben tiens, faut que je vous parle aussi du "Jägermeister". Parce qu'un certain guide qui hante la République Tchèque prétend que ce cerf à croix entre les cornes serait celui vu par Félix, et qu'il serait sur les bouteilles de ladite liqueur parce que les trinitaires la fabriquaient (dixit "Tomu se ve snu zjevil bílý jelen, který měl mezi parožím rovnoramenný červený kříž. Že je stejný znak na etiketě likéru Jägermeister, není náhodné. Původně ho vyráběli právě trinitáři.").
Connerie absolue et affirmation sans fondement. Tout d'abord le "Jägermeister" n'a jamais été fabriqué par les trinitaires car il est né industriellement en 1934 en Saxe, et que contrairement aux chartreux spécialisés dans la gnole, les trinitaires étaient spécialisés dans le commerce des esclaves (mais dans l'autre sens, l'achat, pas la vente). Ensuite la croix entre les bois du cerf n'est pas symétrique, et pour cause puisque ce cerf est celui de St Hubert, le patron des chasseurs (jäger = chasseur, meister = maître) et non le cerf de Félix, qui avait une croix symétrique entre ses bois. Alors je sais, c'est trompeur, mais la religion chrétienne n'est pas spécialement originale, et la fantaisie créative est plus une manifestation diabolique à réprouver qu'une qualité théologique à promouvoir.
Tiens, encore un mot sur la croix si métrique rouge et bleue de Félix. Les moines trinitaires portaient (portent encore?) une soutane blanche sensée rappeler la fourrure blanche du cerf (une hermine albinos oui, mais un cerf!?), incarnation du père éternel (!?), le bleu sur la croix représentait les stigmates du Christ (Jésus avait du sang bleu, noble?) quant au rouge de la croix, il représentait le St esprit (le feu, la flamme qui l'anime). Je n'invente rien, je l'ai lu dans je ne sais plus quel ouvrage relatif aux trinitaires. Bref...

Alors les trinitaires donc. Les trinitaires arrivèrent relativement tard en Bohême, parce que la priorité fut donnée aux jésuites afin de défricher le terrain hérétique. Les autres ordres ne furent invités qu'une fois l'ordre catholique rétabli, et encore pas tous (ne furent invités), car les ordres mendiants, par définition mendiant, ne devaient pas dépasser un certain pourcentage de la population active afin qu'il n'y ait pas plus de mendiants que de donateurs (ça tiens du bon sens, tiens, regardez la séc.soc. aujourd'hui, à force d'inviter les malades en France...).
C'est ainsi qu'en 1705, avec la bénédiction de l'empereur Léopold 1er (sans doute une de ses dernières initiatives puisqu'il décéda en mai de cette même année), les trinitaires s'établirent dans le quartier "Na slupi" (en dessous de l'abbaye d'Emmaüs, en direction de "Vyšehrad", où se trouve une des plus anciennes églises gothiques que je vous prépare une publie dessus). Mais l'endroit ne leur convenait pas, ça manquait de prestance, et ils commençaient à reluquer quelque chose de plus grand, de plus proche du centre ville et à proximité du métro. En 1708, l'ordre reçu une conséquente donation... ou plutôt non, un certain baron de "Putz" offrit aux moines de financer la construction d'une église ("Jan Ignác Putz z Adlerthurnu", apparemment juge à la cour royale, fut particulièrement insignifiant dans l'histoire du pays, sinon pour la construction de l'église de la trinité). Youpi, hourra, super, alléluia-pouêt-pouêt firent les moines, et ils se mirent en tête d'acquérir le terrain occupé auparavant par l'ancien cimetière juif dans la rue Brûlée. L'idée déplut immédiatement au conseil municipal, dont l'intention était d'y construire un centre commercial lucratif (cette idée est toujours d'actualité, cf. plus loin), mais lorsque les trinitaires firent intervenir l'évêque de Prague, l'empereur d'Autriche, le grand mufti de Sidi Yahya El Bahrzaoui, et surtout lorsque les moines mirent les cruches de vin sur la table des conseillers municipaux, l'affaire finit par être conclue (rien de neuf sous le ciel de Prague).
Les trinitaires avaient apparemment pas mal de pognon puisque ce n'était pas le leur, aussi ils décidèrent de construire en plus un vrai monastère (cf. "Joannes a Sancto Felice, Annalium Provinciae S. Josephi Ordinis Excalceatorum Sanctissimae Trinitatis Redemptionis captivorum Libri X, in quibus ab origine provinciae et ordines propagatione post ultimam Viennae obsidionem an. 1683 usque ad consitatam provinciam an. 1728 referuntur Coenobiorum origines cet." Je vous ai trouvé des extraits sur la toile car l'histoire est plus sophistiquée que ce que j'ai synthétisé ici).

La réalisation de ce projet fut confiée à "Octavio Broggio" (i.e. "Ottavio, Octavian"), architecte tchèque d'origine évidemment italienne modérément prolixe à Prague, mais génialement productif dans, et autour de "Litoměřice".
Alors pour l'anecdote, beaucoup de sources mal informées vous parleront de "Kryštof Dientzenhofer" et de "Jan Jiří (Michael) Aichbauer" comme co-architectes. Non, du tout. Vers 1675 "Kryštof Dientzenhofer" arriva à Prague de sa Bavière natale, et commença à s'établir professionnellement et socialement en Bohême. En 1685, il prit pour épouse Anne "Aichbauer", veuve du bâtisseur "Jiří Aichbauer" et mère du petit "Jan Jiří (Michael)" alors âgé de 5 ans. Le couple eut par la suite d'autres enfants, dont le colossal génie "Kiliána Ignáce Dientzenhofer". Or lorsque "Octavio Broggio" prit la direction du monastère des trinitaires en 1708, il engagea "Kryštof Dientzenhofer" comme bâtisseur (vu que c'était son métier), et aucunement comme architecte. Quant au petit "Jan Jiří (Michael) Aichbauer", il venait aider son beau-papa à pousser la brouette, pelleter la caillasse et maçonner la brique pour se faire de l'argent d'poche. C'est ça la vraie histoire. Mais retournons aux moines. Les bougres avaient vu grand, sans doute trop grand même, car les travaux furent plusieurs fois arrêtés par manque de finances, finances d'aux moines (à force de racheter des chrétiens, ben tiens) comme que de celles du baron "Putz".
Or bien que l'accouchement fut douloureux, l'église finit par voir le jour en 1712 (à ce propos notez le chronogramme doré en dessous du tympan de l'église: "sanCtIssIMae aC DIVInae trInItatI" = 1712), et c'est sans doute cet élan de générosité financière qui permit à Herr "Putz" de reposer en notre cathédrale St Guy (ceci-dit il avait acheté sa concession dès 1681, mais n'achète pas concession en St Guy guy... qui veut, faut avoir été sacrément bon dans sa vie pour reposer en St Guy). Du reste le baron et sa baronnes n'oublièrent pas de préciser leur contribution sur l'édifice (cf. au-dessus de la porte principale: "Ioannes Ignatius et Theresia barones de Putz ecclesiam fieri fecerunt", comme le port salut, c'est marqué dessus, comme le pâté deux fois, c'est marqué en gras, l'église de la trinité, de "Putz" arbore la vanité) comme leurs armoiries.

L'église de la Ste trinité fut goupillonnée le 11 juin 1713, pour la fête de la Ste trinité (tiens donc!?), et dès 1716 l'on mit en chantier le monastère adjacent qui occupait l'emplacement de l'actuel édifice cubiste dit le "diamant". Sur le monastère, on n'a que très peu d'information, sinon qu'il était plutôt vaste (ça donne une bonne idée) et qu'il y vivait une quinzaine de moines (vaste?). Le pognon rentrait apparemment bien les caisses trinitaires (enfin), et en 1719, les moines installèrent à droite du fronton de l'église une statue de St Jean Népomucène, oeuvre de 1717 du grand "Michal Jan Josef Brokoff" (moins connu cependant que son père Jean ou que son frère Ferdinand Max). La statue existe toujours à son emplacement, et prit même une apparence cubiste lorsqu'en 1913, on lui construisit une auréole "à la diamant". Pis en 1733, les moines installèrent à gauche du fronton de l'église une statue de St Jude Thaddée, oeuvre de l'atelier Braun (d'aucun l'attribue à "Antonín Braun", le neveu du génial "Matyáš Bernard Braun", mais sans certitude). La statue existe toujours à son emplacement, et prit même une apparence "street art" lorsque des petits cons pubères taguèrent le mur voisin. Et enfin en 1779, l'ordre fit entièrement repeindre l'intérieur de l'église (entre 1777 et 1780 selon d'autres sources).
On fit alors appel au peintre "Antonín Schlächter" (i.e. "Šlachter") qui peinturlura le plafond sur le thème des caractéristiques divines et du mystère de la trinité. Alors concernant notre peintre, c'est un peu confus, car mon dictionnaire des grands tchèques ("Biografický slovník českých zemí, Pavla Vošahlíková a kolektiv") me parle d'un "SCHLACHTER, J. Anton (1734-28.2.1797)" comme d'un peintre local sans grande envergure, tandis que le "Allgemeines Lexikon Der Bildenden Kunstler von der Antike bis zur Gegenwart, Ulrich Thieme et Felix Becker" parle d'un "Jakobus A. Schlachter" autrichien, peintre sur toile et plafond de la Ste trinité praguoise. Je ne sais que vous dire à son propos (du peintre), sinon que je ne lui connais aucune autre oeuvre à Prague (ni ailleurs en République nostre), mais je reviendrai plus en détails sur les peintures de notre église. Malheureusement 4 ans après que le peintre eut terminé son oeuvre arriva la crise religieuse du Josef II, et en 1783 le monastère comme l'église furent désacralisés. Le monastère passa aux mains de l'armée et devint caserne. Les ouvrages de la bibliothèque furent transférés dans la bibliothèque universitaire. Quant à l'église, elle mit la clef sous la porte, tout simplement.
Ben oui, mais le peuple proprement recatholisé à coups de pieds au cul par les jésuites pendant quelques 1,5 siècles se sentit en mal de religion, se mit à protester, et l'empereur sécularisateur re-consacra l'église en 1784. L'histoire raconte que lors de son voyage à Prague en septembre 1784, alors que Josef II venait s'en rendre compte par lui-même de l'état d'avancement de l'unification des 4 villes de Prague commandée par décret 6 mois plus tôt, il fut assaillit de moult doléances par les Tchèques, et il dut se rendre personnellement en l'église de la trinité afin de contempler à quel point il était dommage de fermer une si belle église fraîchement repeinte 5 ans plus tôt. Pris de remords, il consentit finalement en sa réhabilitation, et c'est la cure de St Martin dans le mur (également désacralisée) qui vint s'installer en l'église de la Ste trinité. Cependant, et malgré l'insistance populaire, le monastère resta aux mains de l'armée, tandis que la construction de la bibliothèque "Kaplický" fut repoussée de quelques 2 siècles. En 1882, lors de la construction d'une école dans l'enceinte du monastère, l'on mit à jour les dépouilles d'une trentaine de moines et d'une paire de comtesses (n'y cherchez aucune contrepèterie) dans une crypte souterraine.
Du reste, en dehors des comtesses officielles "Pöttingová" et "Vratislavová" (cf. le fabuleux photographe "Jindřich Eckert" qui nous laissa ces traces écrites mais surtout visuelles de la "vieille Prague"), ils s'y trouvaient également des comtesses "Deymová", "Obersdorferová", et une certaine "Collarda", plus d'autres insignifiants dont l'histoire ne retint point le nom. Tout ce beau monde fut évacué na hřbitov Volšanský où ils devraient se trouver encore, mais selon certaines sources, et c'est là que c'est trop top, la crypte était encore accessible au siècle dernier, et aurait simplement été comblée... Mais pas forcément comblée non plus selon d'autres sources (lecture: "Edgar Theodor Havránek, Neznámá Praha"), ce qui laisserait présupposer qu'avec un peu de sang-froid et une bonne lampe torche...

Mais revenons à la chronologie. Fin du XIX ème siècle, les bidasses avaient tellement bien fait leur sale boulot de bousillage que l'on dut abattre le monastère (en 1899). En 1912, l'on remplaça ce trou béant par une splendeur cubiste à l'angle des rues "Spálená" et "Lazarská": la maison dite "le Diamant" des architectes "Emil Králíček" et "Matěj Blecha" (cf. mes photos). Je ne vais pas vous en dire plus sur ce bijoux du cubisme praguois, car je compte lui consacrer une complète publie (un jour, quand j'aurai le temps, une fois en retraite...). Mais pour l'anecdote, lorsqu'en 1913 l'on posa "l'auréole" cubiste sur la tête de St Jean Népomucène, le remarquable "Zdeněk Wirth" (fonctionnaire d'état en divers ministères culturels et pédagogiques, auteur et co-auteur d'ouvrages de référence sur notre capitale, membre éminent du Club pour la vieille Prague...) fit remarquer de façon véhémente (et à raison) qu'il était "barbare d'assimiler des éléments cubistes sur une statue baroque." Et vous, z'en pensez quoi, z'avez remarqué au moins?

Ensuite y a un gros trou dans l'histoire car on ne sait plus grand choses sur l'église de la trinité, jusqu'en 1978 (parfois 1979). En cette période de construction du métro de Prague, l'on déménagea tout le mobilier de l'église en partie en dépôt (dans les administrations d'état), en partie au monastère des Maüs, et en partie en perte et profit mais par pour tout le monde, la perte. En fait, l'église devait faire place à la seconde entrée/sortie de la station de métro "Národní", car pour peu que vous soyez perspicaces (et aussi venu à Prague), vous aurez remarqué que "Národní" est une des rares stations qui ne dispose que d'une seule entrée/sortie. Il n'en fut rien de la démolition (manque de finance semblerait-il). L'église ne fut certes pas démolie, mais les con-munistes laissèrent leur empreinte in-les-débiles sur l'édifice (comme sur de nombreux autres à proximité du métro, cf. le musée national). La partie "rue" comme le presbytère s'affaissèrent de plusieurs centimètres lors du creusement de la station, créant de nombreuses fissures dans les murs. Le toit finit par lâcher et pendant des années il plut et neigea dedans l'édifice. Lorsque l'église fut rendue aux curés en 1990, elle était dans un tel état de ruine, que le ministère du patrimoine culturel prévoyait de la rayer de sa liste (des monuments à conserver), et de la laisser abattre sur place.
L'idée d'abatage fut ensuite abandonnée, les curés ayant pris l'engagement de restaurer l'édifice entièrement en état de comme qu'il était avant. L'on commença par la toiture (entre 1990 et 1994), puis l'on poursuivit par les éléments statiques (murs, renforcements, portance... terminés en 2004). In fine l'on passa à la façade (terminée en 2001) et aux fresques qui sont pour ainsi dire entièrement neuves. La réfection complète fut terminée en 2005, lorsqu'en février de cette année l'on remit les clefs du bel édifice au curé gréco-catholique.

Bon, alors quelques mots quand même sur l'église d'à quoi qu'elle ressemble. Tout d'abord l'extérieur. Sur les flancs du fronton à volutes (de style baroco-italo-rustique) se trouvent les statues des fondateurs de l'ordre trinitaire: Jean de Matha à gauche, un serf racheté à ses pieds, et Félix de Valois à droite, un cerf fantasmé à ses pieds aussi (originalité, beaucoup vraiment). L'entrée dans le temple peut se faire par 3 portes au-dessus desquelles se trouvent 3 fenêtres sur lesquelles défèquent 3 pigeons... vous l'aurez compris, tout tend à rappeler la trinité, en particulier les 4 piliers du dedans. Et justement, tiens, entrons y dedans.
Le bâtiment se compose de 3 vaisseaux et de 3 travées (division transversale d’un vaisseau), formant ainsi 9 surfaces de voûtes joliment peintes. Le croisement central des travées et des vaisseaux (la case n° 5) est chapeauté par une coupole décorée du dedans en trompe l'oeil. Quant au choeur, il est surélevé d'une tour conférant à l'ensemble une impression d'espace.

Alors comme dit précédemment, les peintures de "Jakobus A. Schlachter" représentent les caractéristiques divines et le mystère de la trinité. Du coup, on peut y voir dieu en 3 D trônant au milieu de son empire céleste (dieu est trinité), l'idole Dagon gisant brisée devant l'arche d'alliance (dieu est unique). Dans la coupole, on voit la chute des anges déchus (dieu est tout puissant), plus loin dieu vainc par la Ste croix l'hérésie, par le baptême le paganisme, par la pénitence le péché, et par la pénicilline la chtouille du gland (dieu prouve sa toute puissance). Pis encore Moïse prosterné devant le buisson en feu (dieu est farceur, selon l'humeur), le sacrifice de Noé après le déluge (dieu possède le pouvoir de vie et de mort, ce qui est une réelle découverte), les offrandes d'Abel et de Caen (dieu n'est pas végétarien, mais alors pas du tout).
Au Nord de l'église on voit le paradis avec des Zadam et des Zeve je présume (dieu grand créateur, mais pas encore couturier), ensuite Moïse sauvé des eaux du Nil par la fille de Pharaon (ou comment foutre le bordel dans un long fleuve tranquille quand on est dieu), puis Saül se rendant à Damas ou la conversion de St Paul (dieu est consultant chez PWC ou pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué). Dans une des voûtes du Sud, Moïse reçoit la liste des courses sur le mont Sinaï (dieu législateur), sur une autre Jonas est jeté à la mer (dieu n'aime pas les clandestins), puis Héliodore chassé du temple par les anges (on enlève ses chaussures quand on entre dans la maison de dieu). Alors on ne voit pas très bien le plafond dans l'église car il est plutôt mal éclairé, mais les scènes sont bien là, on les devine aisément (cf. mes photos).

L'autel central contient une peinture de l'Autrichien "Franz Anton Maulbertsch" (i.e. "František Antonín Maulpertsch", auteur de la monumentale peinture du plafond de la salle philosophique de la bibliothèque de "Strahov") représentant la Ste trinité (encore?).
Sous le tableau, l'on peut voir une statue de St Joseph, et une autre de St Venceslas. Dans le vaisseau Nord se trouvent 3 autels secondaires. A tout trinitaire toute première: le premier autel est consacré à l'un d'entres-eux, St Michel des Saints prosterné devant le seigneur et entouré de petits anges à boucliers (cf. l'autel d'en face, celui de l'archange St Michel). Le second autel représente le p'tit Jésus dans les bras de sa mémé Ste Anne (cf. l'autel d'en face, celui de St Joseph), mais le plus intéressant du fourbi, ce sont les reliques de St Prosper (il est presque entier) car je n'ai pas la moindre idée duquel de St Prosper il est question. "San Prospero di Reggio" repose à Reggio depuis le X ème siècle, et St Prosper d'Aquitaine était plutôt augustinien que trinitaire. Ceci-dit je ne sais pas où qu'il repose ce dernier bougre-là. Alors si vous trouvez l'identité du Prosper en l'église de la trinité de Prague, hop, un petit mot siouplait? Et sur les côtés, les statuettes de Ste Agnès et de St Jude Thaddée veillent sur le cercueil en verre de St Prosper. Quant au dernier autel, ben tiens, fallait bien quand même, il est consacré à la paire de trinitaires fondateurs de l'ordre: St Félix de Valois et St Jean de Matha. Dans le vaisseau Sud, comme dans le vaisseau Nord, se trouvent 3 autels secondaires. Le premier est consacré à l'archange St Michel, entouré par deux petits anges à boucliers et 2 petites peintures se rapportant à St Jean de Népomucène, sa langue intacte (lisez la légende pour les détails) et une vierge Marie de "Stará Boleslav".
Le second autel représente le p'tit Jésus dans les bras de Joseph, entourés par des statuettes de Ste Rosalie et Ste Barbara. Et le dernier autel représente St Jean-Baptiste baptisant le Jésus. Notez la présence d'un tableau de Ste Apolline, reconnaissable à la paire de tenailles et à la dent dedans (les tenailles). Elle fut vachement torturée par les dentistes dans sa jeunesse, c'est pour ça qu'on la reconnaît à ses tenailles et à sa dent. Signalons que nombre de statuettes dans ces autels secondaires sont des oeuvres de "Richard Jiří Prachner", un habitant de la rue Brûlée.

Et sinon en vrac, vous ne pourrez pas louper la statue du messie la couronnes d'épines sur la tête et les mains attachées à la ficelle. Vous verrez aussi une autre statue de la vierge Marie immaculée en majesté debout. Je n'ai pas plus de détails sur ces statues là, sinon que celle du Jésus serait plutôt rare. Vous verrez encore un font baptismal en étain daté de 1552 (c'est marqué dessus), qui serait originellement de l'église St martin dans le mur. Et surtout vous verrez que l'on a posé des rampes de spots de partout, afin d'éclairer l'intérieur. L'intention est des plus louables, mais la réalisation est effroyable. D'abord parce que ces spots sont inopportuns et de mauvais goût dans ce cadre baroque, ensuite parce que s'ils éclairent la pièce, ils n'arrangent en aucun cas la vue sur les tableaux ni au plafond, parfois bien au contraire.

Et puisqu’il a été question du cimetière juif, je me dois de vous parler de l'énorme chambard de 1999 susmentionné. Cette année-là, la "Česká pojišťovna" (compagnie d’assurance) située au numéro 75 de la rue Brûlée, se mit à creuser dans le sol afin de construire des garages souterrains. Mais au bout de quelques pelletées, les pelleteuses mirent à jour des ossements dont tout le monde ignorait la provenance (c’est classique à Prague, à chaque fois que quelqu’un creuse le sol en ville, il s’en prend dans 90% des cas pour quelques mois d’arrêt pour fouilles archéologiques, tellement nos ancêtres ont laissé du bordel en sous-sol). On arrêta donc le chantier, on fit quelques recherches, quelques analyses, et soudainement l’on se rendit compte que l’on venait de redécouvrir le vieux cimetière juif qui avait été mis en friche en 1478. Et là, souci, parce que selon la croyance eschatologique juive, les morts ressusciteront à la venue du messie, si… si ils sont toutefois complets, les morts. C'est-à-dire qu’il ne faut pas trop les déménager, parce que s’il se perd un bout de tibia où une rotule, ben c’est râpé pour la résurrection en temps-venu (tiens, z'avez essayé de ressusciter une armoire I qu'est A après un déménagement? Ben pareil.) Aussi la compagnie d’assurance suggéra de laisser les macchabs en l’état où qu’ils sont, et afin de garantir leur sommeil profond, qu’on irait les recouvrir d’un sarcophage de béton. Attends, eh, t’es con? Et comment qu’ils feront pour se relever avec des tonnes de ciment bien dur au-dessus de leurs os?
Alors au-delà de l’anecdote rigolote, la situation prit des proportions énormes lorsque les communautés juives du monde entier crurent qu’il s’agissait du vieux cimetière juif de "Josefov", à côtés de la synagogue vieilléneuve qu’on voulait bétonner. Ce fut énorme, autant à Prague qu’en dehors (principalement aux Zétazunis). L’ambassadeur Zétazunien de Prague d'alors, John Shattuck, est même allé expliquer au ministre de la culture (en Tchéquie, la religion est du ressort du ministère de la culture), que si la République Tchèque ne respectait pas la volonté des rabbins (qui soit-dit en passant n’était pas unanime, la volonté, selon que le rabbin était de Prague ou d’ailleurs, qu’il était orthodoxe ou progressiste, et surtout selon qu’il savait réellement duquel cimetière il était question) "le pays s’exposerait à des conséquences politiques et économiques fâcheuses". Ce en quoi le ministre renvoya son altesse outre atlantique dans ses 22, au motif que la République Tchèque est un pays souverain, que la "Česká pojišťovna" n’avait enfreint aucune loi, et que le jour où les Zétazunis respecteront les vivants, ils pourront commencer à donner des leçons sur le respect des morts (de rire).
Enormes vous dis-je le bordel. Et afin que vous puissiez bien en profiter pleinement, je vous ai trouvé des bouts d'éléments en français ici
, et encore céans (scrollez down avec la souris). Vous voulez savoir comment l'affaire se termina? Les instances juives autorisées acceptèrent finalement (après des années de conjecture) la construction d'un sarcophage en béton au dessus des macchabs, construction qui coûta des dizaines de millions en plus car il fallut ensevelir plusieurs dizaines de marteaux-piqueurs auprès des squelettes afin qu'ils puissent éclore sereinement le moment venu. Du coup les Martiens vont avoir beaucoup de mal à s'expliquer les rites funéraires de la planète, car il est fort à parier qu'ils inviteront la Terre avant le messie.

Mais revenons à la rue Brûlée parce que je n'avais pas terminé tout ce que je voulais vous en dire dessus. Vous vous souvenez lorsque les con-munistes construisirent le métro, les dégâts sur l'église, etc... Il est ainsi un édifice, qui disparu à tout jamais et qui se trouvait en plein sur l'emplacement des actuels chiottes publiques de la station. Il s'agissait d'une auberge renommée, "Au p'tit Jésus", en référence à la fresque qui se trouvait sur sa façade. Cette taverne était l'antre du grand "Jan Neruda" qui venait les soirs y dîner alors qu'il habitait dans la rue "Vladislavova". Mais l'on pouvait y rencontrer également "Mikoláš Aleš", "Bedřich Smetana", ou le génial sculpteur "Josef Václav Myslbek" qui habita également dans la rue Brûlée au XIX ème siècle. Et tiens, au XVIII ème siècle ce sont les familles "Prachner" (Richard-Georges père, puis Pierre fils et enfin Venceslas petit-fils) et "Platzer" qui habitèrent en notre rue.
Puis il y eut aussi des peintres, la famille "Mánes" (au numéro 15), des scientifiques, la famille "Purkinje" (maison à l'angle de la rue "Purkyňova" au numéro 74, détruite en 1927). En 1955, c'est un autre grand parmi les grands qui travaillait dans la cave de la maison au numéro 10 en tant que recycleur et trieur de vieux papiers, "Bohumil Hrabal". Et lorsqu'il avait une minute, il s'en allait se jeter une bière (une?) "U Kotvy", taverne bien évidemment disparue aujourd'hui. Mais parmi les toujours vivantes (de tavernes), vous avez "U Brejšků", au numéro 49. Ici se rencardaient "Jaroslav Hašek" et son potécrivain enragé "Egon Erwin Kisch". Tiens, y a pas si longtemps que ça, existait encore au numéro 41 la vinothèque dite "U Šupů".
C'était l'antre de l'underground vers la fin des années 70, mais vous n'avez sûrement pas connu. On pouvait y rencontrer les Plastic People of the Universe, et surtout leur parolier préféré Egon Bondy, grand admirateur de l'abbé Pierre auquel il racheta les lunettes, le béret et les oreilles après sa mort. Mais la vinothèque n'est plus, remplacée par une presse-tabac. De toute façon même l'âme de la rue n'est plus, depuis que les con-munistes en ont fait un croisement vital Nord-Sud et Est-Ouest pour les transports en commun. Ici, à la station "Národní" au croisement des trams et du métro se bousculent chaque jour des milliers de personnes pour se rendre au bureau, pour se rendre chez eux, pour sortir le soir, pour faire leurs courses au "Tesco". La nuit tombée, ce lieu concentre la crème avariée des miséreux de ce bas-monde. La cour du roi Pétaud qu'elle devient la rue, avec ses kiosques hétéroclites à bouffe-alcool ouverts non stop où l'odeur de la graisse surbrûlée s'y mélange à celle de la salmonellose.
Toxi-infection alimentaire garantie. Et toute cette activité nocturne en continu (signalons que les transports en commun de surface à Prague fonctionnent 24/24h) attire l'interlope de toute la ville. La cour des miracles qu'elle devient la rue Brûlée à la station "Národní", avec ses vrais miséreux sans domicile, ses faux miséreux branleurs post-pubères qui vivent de la flemme en pleine force de l'âge, avec ses alcoolos totalement ronds qui puent la vieille pisse. Et curieusement, aucune force de l'ordre présente. Du reste elle serait bien inutile, car malgré ces hordes malfamées de puants contagieux, je n'y ai jamais, mais alors jamais de jamais, aperçu la moindre infraction aux bonnes moeurs, même en des heures particulièrement tardives. Il suffit de regarder autour pour apercevoir des talons aiguilles aux bras de cravatards revenant de l'opéra, des mini-jupes glabres d'un mètre trente qui rentrent chez-elles avant la fatidique minuit, et au-delà (de minuit), vous avez de tout, indescriptible, mais serein. Croyez-vous que tout ce monde continuerait à se croiser là s'il y avait le moindre danger?

Et pour terminer sur la rue Brûlée, sachez qu'il est un nouveau stupide projet en cour en plein sur la station de métro. Il s'agit de reconstruire sur cet emplacement plutôt vide 17.000 m² de bureau, 12.000 m² de commerce et 5.000 m² de logement ce qui est totalement dément, parce qu'au centre ville les bureaux ne se louent plus compte tenu du coût et des nombreux bureaux disponibles en périphérie, parce que les logements ne se vendent plus qu'aux maffieux russes, bulgares et ukrainiens qui foisonnent à Prague, et qu'enfin parce que des centres commerciaux, il en existe des dizaines au centre ville (une des plus grosse concentration européenne par tête d'habitant), qu'ils sont absolument identiques en matière d'offre de produits, et qu'aujourd'hui ils n'arrivent plus à rentabiliser leurs échoppes (faible fréquentation, car beaucoup trop de surface). Imaginez que vous vouliez acheter une voiture, vous avez le choix entre 20 concessionnaires, dans chaque concession vous avez le choix entre 100 voitures, mais chaque voiture est d'un modèle, d'un type, d'une couleur et d'un équipement unique. Finalement vous avez le choix entre 2000 voitures identiques, super, et c'est exactement la situation qui se présente à Prague en matière de commerce en galerie marchande.
Les mêmes enseignes, les mêmes produits, les mêmes vendeurs pisse-vinaigre. C'est à gerber. Rajoutons à cela une mairie archi-totalement corrompue jusqu'à la moelle qui délivre un permis de construire sans consulter les autres organes, et sans tenir compte des régulations (Prague 1 est "classée", donc toute nouvelle construction est limitée en hauteur, en surface, en style, en couleur... afin de ne pas jurer avec les autres édifices). Rajoutons à cela la fermeture de la station de métro et sans doute de tram pour 8 à 12 mois (rappelons que cette station est un noeud de croisement vital pour le transport en commun praguois). Rajoutons encore que le promoteur de ce nouveau bordel est également le locateur du bâtiment "Škodův palác" à la mairie (eh ouais, autant la mairie possède en ville X bâtiments grands, petits, longs, courts, blancs, noirs...
eh bien elle loue des locaux pour sa propre administration auprès d'un particulier pour 7 M € par an. C'est dément, et c'est pour 20 ans.) Il est notoirement évident que le promoteur, comme le maire, comme les officiers d'états puent le conflit d'intérêt et la concussion à plein nez que ça en pique les yeux. Eh bien après avoir rajouté tout cela, il n'y a plus rien à rajouter. Ite, missa est. GPS: 50°4'46.261"N, 14°25'11.506"E

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