Ailleurs: La cav'à macchabs de Mělnik

Alors avant de lire cette publie-ci, éloignez les gosses trop jeunes de la téloche, car à donf que cette publie-là fout la pétoche bleue. C'est macrab' et lugub' comme z'avez pas idée, z'allez voir. Donc on s'était dit avec ma chérie d'amour qu'on n'irait pas trop loin cette fois-ci, et qu'on pourrait aller se visiter un truc faisable dans l'aprèm, visitévoyage compris.
Et paf, la ville de "Mělník" nous tomba en tête sous le coude. Une ville aussi vieille que la Bohême, dont les origines remontent aux princes mi-tiques (avant le IX ème siècle) et dont je ne vous parlerai pas maintenant (de la ville) car il faudrait y consacrer une publication entière tellement c'est velu d'histoire. Pour info, l'on parle déjà du bled dans la légende de Christian ("Incipit vita et passio sancti Wenceslai et sancte Ludmile ave eius"), datée de la fin du X ème siècle: "Habuit eciam et uxorem nomine Liudmilam, filiam Slaviboris comitis ex provincia Sclavorum, que Psou antiquitus nuncupabatur, nunc a modernis ex civitate noviter constructa Mielnik vocitatur." Notez l'appellation originelle "Psou" ("Pšov" en Tchèque) que l'on retrouve ensuite dans la fameuse chronique de Dalimil récemment achetée à Paris: "Sta fuit uxor Borziuuoy - Et filia comitis de Pssouua - Cui tunc Pssouu dicebatur - Huic postea melnik dederunt - Nam ante melnik castrum erat [...]"
Et encore aujourd'hui, un quartier de la ville porte le nom de "Pšovka" en référence au peuplement d'il y a mille ans. Mais retour au sujet.

Ce jour-là on visita dru, et lorsqu'on se retrouva aux portes de l'ossuaire, il se faisait dans les presque 16h pas tout à fait. Eh ouais, et la cav'à cadav' fermait justement ses portes à 16h pétantes afin que les vieux os se reposent des moult touristes qui les zieutent. Ah ben flûte alors! On descendit quand même les escaliers, et l'on fit des yeux de basset albinos en proie au rhume des foins devant la dame de la caisse tirant le store et pliant son sac à main. "Et z'êtes à combien?" qu'elle nous dit. "Ben juste nous deux, elle et moi. Pis surtout comme on n'est pas vraiment du coin non plus, genre qu'on ne pourra pas revenir la semaine prochaine si simplement, alors on aimerait bien jeter un oeil sur vos macchabs, même petit et rapide, l'oeil." "Bon, allez..." qu'elle nous dit. Ouah, rudement trop gentil la dame qu'elle était, le méchant coup d'bol d'la bonne fortune, t'imagines? C'est rare en Tchéco la fabilité. Et même mieux, parce que c'était dessiné en grand qu'on ne pouvait pas photographier, alors j'y demandai quand même si... que j'y ferais 'achement gaffe à pas mettre des miettes.
Alors comme on était tout seul, et comme la dame était charitable, ben elle m'autorisa même à faire des photos comme je voulais. Ouah, t'imagines comme elle fut bonne avec nous la dame?

L'ossuaire de "Mělník" se trouve sous le presbytère de l'église St Pierrépaul, dont l'ancêtre roman remontre à la fin du X ème, début du XI ème siècle. Bien que la première mention écrite remonte à la seconde moitié du XI ème siècle, les légendes racontent qu'encore même avant cette période, le prince "Bořivoj" (grand-père de St Venceslas et premier prince de Bohême à se faire baptiser, l'andouille) aurait fait construire là pour son épouse Ste Ludmila (grand-mère de St Venceslas et native de "Mělník") une églisette. D'autres légendes racontent encore qu'à l'origine, serait un certain prévôt "Hroznata" (inconnu!?), d'autres encore mentionnent St Venceslas en personne. Enfin n'importe quoi, comme souvent en cette période, aussi considérez tout ceci avec des pincettes. Par la suite, l'église fut souvent remaniée en styles, mais je ne vais pas m'étendre, parce que ce n'est pas le sujet du jour. Par contre une date importante est 1520. C'est précisément en cette année, que l'on construisit, selon les experts, le presbytère, et par la-même la crypte qui se trouve en-dessous. Sauf que personne ne sait à quoi elle était destinée originellement cette crypte, mais certainement pas à servir d'ossuaire.
D'abord l'arcade Nord est trop large pour une crypte. Etait-ce plutôt destiné à y descendre des tonneaux? "Mělník" est très vinicole, depuis que le bon roi Charles IV y introduisit le bourgogne français. Ensuite il n'y pas de crépis aux murs, pas de plancher, et pas de décoration des piliers (et je ne parle pas des interrupteurs ni des rideaux). S'agit-il d'un caveau familial inachevé pour noblesse de la ville? Etait-ce envisagé comme résidence de courte durée en prévision de la guerre-froide? Quoi qu'il en soit, la crypte servit dès 1530 de cav'à macchabs et ce jusqu'en 1775, lorsque le cimetière près de l'église fut fermé par directive joséphienne (tous les cimetières intra-urbane furent fermés afin d'éviter la propagation de la grippe du grouik mexicain par exemple), et transféré près de l'église Ste Ludmila (extra-urbane). Mais revenons donc au début du XVI ème siècle, lorsqu'il existait encore un cimetière aux abords de notre église St Pierrépaul. Comme le débit Internet, le cimetière était dimensionné (et est sans doute toujours) pour l'usage ordinaire qu'on en faisait. Or lorsqu'advenaient des épidémies pandémiques qui refroidissaient nettement plus de viande qu'à l'accoutumée, ben il n'y suffisait plus et il fallait parer au plus pressé. Aussi les fossoyeurs sortaient les vieux os des fosses, les entassaient dans les ossuaires, et mettaient les fraîches carcasses à leur place. Et tout ceci dura quelques 250 ans (le processus, pas la peste), jusqu'en 1775 lorsqu'on déménagea le cimetière qui cessa de ce fait d'alimenter la crypte.
Mieux. Le 16 août 1787, un décret impérial ordonnait la fermeture des ossuaires intramuros, et la mise en terre des os restants dans le jardin de Marc Dutrou, histoire de bien rigoler quelques siècles plus tard. Mais les fossoyeurs de "Mělník" étaient pragmatiques, et plutôt que de se cogner un labeur supplémentaire, ils murèrent tout simplement les fenêtres comme les entrées de la crypte à l'aide de pierres tombales. Ils se gardèrent bien d'en parler à qui que ce soit, ainsi le tour fumant était bien joué sans frais ni sueur.

En 1891-1892 l'on entreprit la réparation de l'église et l'on redécouvrit l'ossuaire lorsque le curé fit déménager les pierres tombales dissimulatrices à l'intérieur de l'église au motif que "ça fait plus authentique, et ça pue moins fort que les géraniums". Cependant la découverte, bien qu'insolite, ne bouleversa point la vie des habitants, et il fallut alors attendre la réparation suivante (entre 1913-1916) afin que quelqu'un s'aperçoive du fantastique potentiel touristique et financier que la cav'à macchabs représentait. Et le découvreur de ce potentiel ne fut autre que l'anthropologue, le fondateur du département d'anthropologie et le professeur à l'Universita Carolina (Pragensis, bien entendu), le medicinae universae doctor, le rerum naturalium doctor honoris causa, "Jindřich Matiegka". Je vous en avais déjà parlé à propos de "Jan Žižka", car "Jindřich Matiegka" est au crâne de macchabé ce que Popeye est à l'épinard surgelé: un expert.

Selon les sources, il aurait étudié ces artefacts naturels entre 1912-1913, 1913-1916, entre 1915-1919, bref, considérons les dates officielles inscrites sur les plaques commémoratives: 1915-1919, bien que cela n'a strictement aucune réelle importance. Ce qui est par contre nettement plus remarquable, ce sont les résultats obtenus. Le premier d'entres-eux est d'ordre paléontologique, le second notoirement plus visible encore aujourd'hui est d'ordre cosmétique, puisque "Jindřich Matiegka" ordonna les os de façon artistique. Dans notre ossuaire se trouvent donc des restes de quelques 10 à 15 mille individus d'âge, de sexe, d'ethnie et de religion différents (bien que la religion ne puisse être déterminée par l'étude osseuse post-mortem mais cérébrale intra-vitam :-) Leur origine provient donc du cimetière attenant à notre église St Pierrépaul, mais également des environs de la cité (paroisse) ou encore des champs de batailles qui eurent lieu en ces contrées. En entrant dans la crypte, sur la gauche se trouvent des os présentant des anomalies ostéologiques: déformations de naissance, séquelles post-traumatiques, difformités pathologiques, infirmités articulaires voire blessures militaires. Vous pouvez lire sur cette paroi l'inscription "ecce mors" (tiens la mort, voilà la mort, cf. le fameux "ecce home" prononcé par Marie alors qu'elle ouvrit la porte à Jésus arcbouté sur la sonnette après un retour tardif et arrosé en discothèque) écrite à l'aide de crânes retournés (la face contre le mur, les pariétaux visibles). Notez cependant que contrairement à "mors", le mot "ecce" n'est plus très lisible. Une partie des ossements a dû se ramasser.
Plus intéressant: selon notre professeur, ces crânes retournés seraient d'origine germanique car ils présentent des stries sur la calotte (crânienne). C'est dingue non? J'veux dire que les Germains ont des crânes différents des Slaves par exemple? Sans dec, chuis scié. Encore plus à gauche, se trouve un mur sur lequel on peut apercevoir, écrit de la même façon à l'aide de crânes (germaniques? On écrit bien avec) retournés, une ancre (symbole de l'espoir), une croix (symbole de la foi) et un coeur (symbole de l'amour). Pour info, le dernier crâne en bas de la pointe du coeur est le plus gros des crânes de tout l'ossuaire. Son tour (de crâne) serait de 58 cm, ce qui aujourd'hui n'a rien d'exceptionnel puisque personnellement je fais ce même tour de tête. Maintenant il ne faut pas oublier que 500 ans plus tôt, les humains étaient autrement plus religieux, nettement plus bêtes, souvent illettr' et incultes donc forcément, leur boîte crânienne était plus petite :-) Bon, pis encore à gauche, et donc en face de l'entrée, se trouve la plus ancienne paroi d'os. D'après notre expert, les os de tout en bas du tas (d'os) remonteraient jusqu'au XIII ème siècle. Notez que certains crânes possèdent des balafres sécantes, ainsi que des trous probablement occasionnés respectivement par des armes blanches et par des armes à feu (ou des vers ossivores-ostéoclastes?) lors de la guerre de 30 ans.

Et maintenant je vous livre un scoop. Sur le pilier à droite de cette paroi vous pouvez lire le texte "Huic loco aderat Slaup de Žluticz, Anno Domini 1535", qui est en fait à l'origine du fameux "Kilroy was here" américain.
Des millions de personnes (jusqu'à Staline) se sont interrogées sur ce fameux "Kilroy", qui était-ce, pourquoi inscrivait-il cela, comment put-il se trouver à travers le monde entier? Et tous se posaient la question (cf. le discours du pape en terre-sainte début mai) alors que la réponse se trouve tout naturellement dans notre ossuaire de "Mělník". La preuve? Tout d'abord les seuls "ze Žlutic" un peu célèbres dont l'histoire a retenu le nom sont "Václav ze Žlutic", à l'origine de la tour poudrière (mais c'était en 1475). Il y eut encore le tout premier procureur royale, "Vilém ze Žlutic", mais c'était encore avant, sous Zikmund l'enflure, en 1437. Et finalement il y eut encore le chanoine de la cathédrale St Guy "Oldřich ze Žlutic", mais qui est entré dans l'histoire non pas de son vivant, mais de son mouru (en 1380), car sa pierre tombale (aujourd'hui au lapidarium du musée national) est la plus ancienne pierre issue des fameuses carrières de marbre rouge de "Slivenec" (cf. les châteaux, les palais et les églises du pays, y en a partout, en Charente-Poitou). Et pis c'est tout. Or pour un trou de quelques 2500 habitouts... tants, 2500 habitants, périphérie comprise (et même encore moins d'habitants il y a 500 ans de ça), ben 3 célébrités c'est déjà bien moi j'dis. Ainsi il est fort à parier que notre "Sloup ze Žlutic" n'ait jamais existé, et qu'à l'instar de "Kilroy", il s'agissait d'un pseudo.
N'étant pas noble, ne pouvant pas laisser ses armoiries sur les palais et sur les églises comme des "Clam-Gallas", des "Rožmberk", des "Liechtenstein", des "Šternberk", ou des "Kinský", voire des "Lobkovic" et j'en passe des "Schwarzenberk" et autres "Colloredo-Mansfeld", ben il compensa sa frustration par cette petite formule personnelle. Et afin de ne pas laisser sa tête dans l'affaire (ou dans l'ossuaire), il prit un pseudonyme farfelu garant de son anonymat. Puis durant les siècles qui suivirent, les descendants du farceur voyagèrent de par le monde, jusqu'aux Amériques, où ils perpétuèrent cette tradition familiale transmise oralement de bouche à oreille sur le lit de mort, mais en langue anglaise, car l'Anglais est aujourd'hui ce que le Latin était hier: l'Esperanto de demain. Ainsi "Kilroy" était né. Maintenant tiendez-vous bien, parce que notre bougre avait le sens de l'anticipation (et de l'humour) particulièrement développé. En effet, il finit bien par exister un "sloup" à "Žlutice". Communément appelé "sloup ze Žlutic" (ou "sloup ve Žluticích"), il est une des plus remarquables oeuvres baroques de ce type dans toute la République (du tout début du XVIII ème siècle, l'oeuvre). Ainsi quod erat demonstrandum, et j'en reste là pour aujourd'hui.
Dans, une prochaine publie je vous dévoilerai qui se cache réellement sous le pseudo de "Sloup ve Žluticích" alias "Kilroy" (attends, j'vais tout d'même pas tout vous dire d'un coup non plus. A Paris-Match ça leur ferait toute l'année, une exclusivité pareille).

Et pour terminer, si vous regardez encore plus à gauche, sur la paroi avec la croix en haut et le boyau en bas, alors vous constaterez qu'elle est composée uniquement d'os brachiaux et fémoraux (l'Osbra qui hale est fait moral se rapportent respectivement aux bras et aux cuisses). Enfin du dehors seulement on dirait, les brachiaux et fémoraux, mais dans la masse se trouvent aussi d'autres os, les pas beaux à montrer. Et pour que vous puissiez vous rendre compte par vous-même, du tas d'os que ça représente en profondeur, notre professeur a réalisé ce fameux boyau qui traverse toute la profondeur osseuse jusqu'au mur. C'est énorme! Ah oui, et de par la croix qui se trouve en son faîte, on appelle ce mur "le calvaire". Tout ce travail, toute cette macabre composition artistique que vous voyez aujourd'hui est l'oeuvre de notre professeur, aidé de ses acolytes. Lorsqu'il mit un oeil dans la cave vers 1914 (selon une source), l'état des tas était épouvantable. En dehors des os sous les fenêtres qui seraient ainsi disposés propre d'origine, les autres os (aujourd'hui réorganisés) gisaient anarchiquement sur le sol dans un bordel indescriptible.
Il commença alors par déménager tout le fourbi, s'assurer que le sol en terre damée n'était pas pourri, puis il s'alluma un clope tout en réfléchissant à la manière originale dont les fossoyeurs moyenâgeux avaient amoncelé ce foin. Au tout début de ce Lego osseux, les gaillards avaient empilés les os longs (fémurs, tibias, péronés, humérus, cubitus, radius, phallus... euh... non, pas phallus, ni utérus) entre les 8 piliers de la cave. Une fois cette paroi érigée, ils jetèrent les crânes et les autres os inutilisables dans l'espace ainsi édifié entre les murs et les parois. Une fois cette base terminée, et parce que ça continuait de mourir comme vache qui pisse, ils entassèrent d'autres os sur les tas d'origine, mais c'était forcément moins bien fait, parce que moins architecturé. Bref, une fois son clope terminé, il commença l'étude minutieuse dont je vous ai parlé auparavant. Pis une fois le clope comme l'étude minutieuse terminés, ben il fallut tout remettre en place, et c'est à ce moment-là qu'il se dit "ah oui, tiens, c'est con que chois tout seul à suer sur ce sale boulot". Aussi il embaucha dans l'affaire le sacristain de l'église "Antonín Kautský", son élève le plus préféré "Jiří Malý" (qui deviendra son collègue puis son successeur au département d'anthropologie de l'université Charles), et d'autres pauv' estudiantins qui durent mettre activement la main à la pâte. "Parce que j'vois pas trop comment j'vais pouvoir vous octroyer vos diplômes de fin d'année si je passe tout mon temps dans c'te foutue cave humide" qu'il aurait dit comme ça, le prof "Matiegka", avant de rajouter "et les p'tits mariols pernicieux qui verraient en ces propos comme une forme de chantage malveillant peuvent d'ores et déjà envoyer leur candidature au concours d'entrée à l'université du ramassage des ordures merdagères."
Pour l'anecdote, la croix au sommet du calvaire est l'oeuvre du sacristain. Au lieu de s'envoler vers les plages ensoleillées de Croatie, il la confectionna avec l'aide de dieu et de ses enfants pendant les 2 mois d'été des grandes vacances scolaires au motif que "le fidèle serviteur de dieu consacre scrupuleusement son temps, sa vie, son travail et ses vacances à la plus grande gloire de son maître céleste." Dans la même année sa femme demanda et obtint le divorce.

Bon, ben j'en ai fait le tour, de l'ossuaire comme de la publie. Il existe encore un ossuaire "mondialement" célèbre à "Kutná Hora", autrement plus… kitch? Enfin vous verrez, c'est encore plus "artistique" qu'ici, mais bien que j'ai toutes les photos du dedans, je n'ai pas encore écrit la publie. Donc à viendre. Sinon encore aujourd'hui l'on vient de loin "étudier" les squelettes de "Mělník" dans un but anthropologique, alors si vous passez dans le coin, profitez-en d'un point de vue touristique. D'ailleurs sachant que la crypte accueille en moyenne plus de 100 touristes par jour, c'est bien la preuve d'en engouement énorme non? Et memento homo, quod cinis es, et in cinerem reverteris. RIP: 50°21'1.723"N, 14°28'26.224"E

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