Ville: Toskánská ulička, grand foin et p'tite ruelle

Alors afin que vous n'alliez pas penser qu'il n'y a que des églises, des rotondes, des chapelles, des monastères et autres couvents à Prague, je me suis dit que j'allais vous parler, cette fois-ci, de quelque chose de tout à fait différent. Allez, tiens, un sujet non-évènement, genre une publie pour vous en parler rapidement de.
D'ailleurs c'est tellement non-évènement comme sujet, que si je ne vous en parlais pas, vous ne sauriez même pas que je ne vous en ai pas parlé. Pour vous dire. Mais attention, c'est quand même une exclusivité à la Strogoff qui mérite une (p'tite) publie, parce que d'autant que je sache, les médias français n'en n'ont pas soufflé un mot.

Bon, et de quoi s'agite-t-il alors? Ben lundi 20 septembre 2010, notre ministre des affaires et trangères, Karel Schwarzenberg, ouvrit officiellement l'accès à la petite rue toscane, qui, auparavant, était fermée. Eh oué. Alors vous ne le savez probablement pas, mais la petite rue toscane, jusqu'à y a 6 mois, visiter l'on n'pouvait pas. Aujourd'hui, on peut. Entre 6h et 18h pour les lève-tôt. Enfin on peut, pas encore, parce que pendant la saison d'hiver (du 1er décembre au 31 mars) elle est fermée, comme avant son ouverture, mais dans quelques jours, hop, elle sera ouverte. "Hourra" hurle la foule en délire!

Bon, et ça sert à quoi me direz-vous? Ben ça sert à ce que cette petite rue est un recoin vachement romantique de Prague, selon les experts en romantisme praguois. En fait, elle passe entre le palais toscan (d'où son nom) et le palais "Martinický" depuis la rue de la Lorette ("Loretánská"), et rejoint la place du Château de Prague ("Hradčanské náměstí") en passant entre ces 2 palais. Alors attention, le palais toscan porte le nom de son dernier propriétaire (de Toscane), mais c'est la famille "Thun Hohenstein" qui en entreprit les débuts du commencement de départ, comme vous allez le voir. Et attention toujours, le palais "Martinický", ce n'est pas celui que je vous en avais fait une publie de, c'est l'autre, le deux, celui qui sert aujourd'hui de caserne à la garde du château de Prague, et qui est un unique exemple d'architecture romaine (pas Rome antique, mais de Rome, la ville) dans Prague (l'architecte était romain). Malheureusement, compte tenu de sa fonction militaire, je ne lui consacrerai sans doute jamais une publie (inaccessible et invisitable). Tout comme le palais toscan de Toscane, qui du reste est utilisé par le ministère des affaires étrangères (et donc inaccessible et invisitable).

Et pourquoi donc alors la rue toscane était-elle fermée? Selon mes sources, la principale cause était que les malpropres y allaient pisser derrière (sentez-vous comme une odeur de romantisme?), et qu'en été, les effluves, les mouches, qui c'est qui allait nettoyer tout ce chambard?
Il semblerait que c'est cette même cause qui fut la raison de la fermeture des escaliers bien pratiques qui reliaient la rue Thun et la rue Neruda, escaliers qui longent (comme par hasard) un autre palais qui eut appartenu à la famille "Thun Hohenstein". Maudits des p'tites rues les pauv' boug' "Thun" qu'ils sont. Alors dans la même série de poison odorant, j'me dis que si on devait fermer toutes les rues où les sales praguois vont faire déféquer leurs sales clébards, j'te dis pas la circulation dans la ville. C'est marrant quand même, quand les humains vont faire là où qu'ils ne devraient pas, on ferme la rue. Quand c'est les clébards, on construit à proximité un dispensateur de sacs-à-merde (gratuit, ou plutôt payé par nos impôts) que peu de promène-corniaud utilisent, tandis que les chiards pubères les vandalisent.

Bon, et sinon l'histoire du palais est liée à une petite histoire de derrière les fagots, qu'en dehors de ma publie, vous ne la trouverez même pas nulle part (tiens, encore un truc gratis qui va être utilisé cette saison par les hisse-pébroque francophones). Cette petite rue insignifiante, fut en une époque un sujet de discorde entre fumiers de voisins, d'autant plus ridicule le sujet de discorde, qu'il s'agissait d'une broutille, d'un bout de chandelle à l'odeur de pipi d'chat. Genre des nobles notables qui disposaient de milliers d'hectares de terres, se faisaient la guéguerre pour moins de 100 m carrés d'un bout de terrain futile. Oyez plutôt.

Au milieu du XVII ème siècle, se trouvaient sur l'emplacement de l'actuel palais toscan, 6 maisons, appartenant à la famille Lobko. En 1653, "Oldřich Felix z Lobkovic" regroupa 3 maisons en une seule, et en 1685, "Václav Ferdinand z Lobkovic" vendit le tout à "Michael Osvald Thun Hohenstein", avec promesse de faire place au nouveau propriétaire en avril de cette année (1685), après la Pâque et les fêtes qui vont bien. Ce dernier (nouveau propriétaire) s'employa à la tâche rénovatrice une fois sur place, papier-crayon en main, et le 9 octobre 1685, il adressa à son voisin "Jiří Adam Bořita z Martinic" les plans intentionnels de la future réfection-construction (genre qu'il y aurait du raffut dans la rue), avec copie au chapitre de la cathédrale de Prague, histoire qu'ils bénissent le projet au goupillon humide. Et ce fut le déclenchement du grand foin.

"Jiří Adam Bořita z Martinic" objecta vivement à ce dessein. Que de un, la parcelle ouest (aujourd'hui notre rue de Toscane) était sienne, et que la reconstruction allait de fait empiéter sur ses terres. Que de deux, le raffut, la poussière, les maçons cracra-boudin-pue-la-sueur, que non, qu'il n'en voulait pas.
Que de trois, les fenêtres de la cuisine "Thun" allaient donner directement sur les fenêtres de la salle de bain de Madame "z Martinic". Et que de quatre, il avait carrément la ferme intention de lui pourrir la vie, au "Thun Hohenstein", comme ça, par plaisir, parce qu'entre voisin, faut pas déconner non plus (vous savez c'que c'est, faut bien s'occuper quand on a rien d'autre à éplucher sinon que d'être noble). En 1687, alors que la reconstruction n'avait même pas commencé d'une brique grâce aux obstacles administratifs savamment fomentés par "z Martinic", "Thun Hohenstein" adressa une requête circonstanciée au gouverneur du royaume de Bohême, lequel, face à cette situation tendue entre 2 notables du royaume, remonta la doléance jusqu'à l'empereur "Leopold I". Qu'il décide de qui a tort à raison, puisqu'après tout, hein, c'est lui le moufti de l'empire de Bohême. Bon, mais tu penses bien que l'empereur de toutes les Autriche avait de plus gros chats à fouetter, et qu'aujourd'hui on se demande seulement s'il lut le dossier, sinon qu'il en ouvrit l'enveloppe. Aussi en l'absence de réponse, "Michael Osvald Thun Hohenstein" écrivit directement à Léopold en janvier 1688, comme quoi le "z Martinic" l'empêchait activement de construire depuis 3 ans sur la base de motifs fallacieux, que la parcelle qu'il invoque est bien sienne puisqu'il l'a achetée, et qu'il joint une copie de l'acte de vente incluant les plans et les numéros cadastraux, ainsi qu'une bonne bouteille de rouge que son altesse serrée ni cime pourra se pictancher de quand elle aura l'temps. Popold 1er prit acte, remisa la bouteille de par de vers lui (pas trop loin), mais pareil, le boulot d'abord. Et il n'en manquait pas, du boulot, Léo. Eh ouais, parce qu'en cette année 1688, en plus des Ottomans du côté Est, du côté Ouest, Louis XIV le franchouillard s'était mis en tête d'aller faire l'andouille sur la scène européenne.
Eclata alors la guerre de 9 ans, et Léopold trimait comme un galérien sur tous les fronts afin que la vermine étrangère ne vienne pas lui grignoter son plant de tomates habsbourgeois. Ce n'est que le 8 avril 1890, que le kaiser retrouva, dans la pile de courrier gisant sur son secrétaire, la lettre poussiéreuse du pauv' "Thun". Aussi afin de s'excuser de son retard, Popold lui fit immédiatement une réponse favorable, qu'au vu des documents présentés et de la qualité du bouillon de grappes, la parcelle était bien sienne, qu'il pouvait donc construire, et que si "z Martinic" continuait à lui faire obstruction, qu'il finirait au cirque dans la gueule les lions. Mais pas d'bol. Entre la mise en chantier, la chasse au maître d'oeuvre, l'importation illégale de maçons clandestins, "Michael Osvald Thun Hohenstein" décéda en janvier 1694, et c'est son frère "Romedius Konstantin Thun Hohenstein" qui prit la suite de la reconstruction à peine entamée.

Alors n'allez surtout pas croire que les "z Martinic" en avaient fini. Tu parles, ils ne s'étaient pas lassés d'un pouce, et obstructionnaient tout ce qu'ils pouvaient de plus belle, au motif que les lions du cirque, ça n'existait plus au XVII ème siècle. Le 11 janvier 1695, le nouveau "Thun" fit alors venir une commission d'experts afin de remesurer les parcelles, expertiser les travaux en cours, et prouver de facto à son fumier de voisin qu'il avait tort (le voisin, fumier), alors que lui avait raison ("Thun"). Parmi les diverses conclusions plus ou moins partiales et plus ou moins pertinentes, la plus réaliste d'entres-elles indiquait que le palais était loin d'être terminé. Ah oué? (le consulting consiste à faire payer chèrement au management, des informations connues depuis longtemps par la base). "Romedius Konstantin Thun Hohenstein" décéda en 1700, et après de longues et fastidieuses disputes de succession entre le fils d'icelui et les filles de "Michael Osvald" à propos des propriétés allodiales (en franc-alleu), la chancellerie royale du royaume de Bohême finit par se prononcer en 1706 en faveur de "Eleonora Barbora Kateřina z Liechtenštejna" (originellement "Thun", devenue Liechtenstein par suite du mariage avec le plus haut intendant de Charles VI, "Antonín Florián z Liechtenštejna") sur la base du codicille annexé au testament de son papa.
Evidemment, tous ces contretemps faisaient l'affaire des "z Martinic" qui n'avaient même plus besoin de scier la brouette pour faire reculer le projet de reconstruction.

Au bout de quelques années, fatiguée du fastidieux boulet, Eléonore Barbara vendit son héritage en 1718 à "Anna Marie Františka Toskánská" (née "Sachsen-Lauenburg"), la malheureuse femme du dépravé Jean-Gaston de Médicis, grand duc de Toscane. Rapide rétrospective. Anne-Marie-Françoise eut une vie malheureuse, et après le fabuleux scandale de 1706, où Jean-Gaston trucida la mère de son fils bâtard, où Anne-Marie-Françoise fut soupçonnée du meurtre alors qu'elle se promenait tranquillement à cheval dans la forêt au moment du meurtre (le cheval confirma l'alibi par écrit), où Jean-Gaston quitta définitivement la Bohême, comme sa femme légitime, pour fonder une nouvelle lignée bâtarde en Italie avec son fils dont il avait assassiné la mère, ben après ce fabuleux scandale de 1706, Anne-Marie-Françoise sombra dans la religion et dans le workoolisme. Elle se mit soudainement à développer-cultiver-moderniser ses domaines-propriétés avec succès, au point qu'en 1718, elle mit aux "z Martinic" sur la gueule, et termina enfin le palais qui porte ainsi son nom: le palais de Toscane. Mais attention, il aurait pu s'appeler le palais de Bavière. Il n'en fut rien, grâce à Napoléon (du reste, hein, qu'est-ce que ça aurait changé?).

Maintenant, je vais faire vite, parce que ce n'est plus aussi croustillant. A la mort d'Anne-Marie-Françoise en 1741, c'est sa frangine Mari-Anne-Caroline-Louise-Françoise de Bavière qui hérite.
Mais pour avoir triché aux cartes en présence de l'impératrice, elle est bannie de Bohême par Marie-Thé (les biens restent cependant aux mains de la maison de Bavière). En 1803, lors des guerres napoléoniennes, les biens bavarois en Bohême passent aux mains de Ferdinand de Habsbourg, qui deviendra par la suite duc de Toscane, et fondateur de la branche toscane de la famille Habsbourg-Lorraine, ainsi fondée par Ferdinand III de Toscane, fils de Léopold II du Saint-Empire, successeur et frère cadet du fameux Joseph II, désacralisateur invétéré d'édifices religieux, et souvent mentionné dans mes publies, fils, comme son frangin, de l'archimégaduchesse Marie-Thé et de son lapin de mari François III de lorraine (ils pondirent 16 gosses à eux deux), devenu François Ier de Habsbourg après son mariage. Le palais resta aux mains des Habsbourg jusqu'en 1918, où il devint, ainsi que la petite rue toscane, propriété de la République Tchécoslovaque.

Eh voilà, alors dès le 1er avril 2011, précipitez-vous dans la petite rue toscane dès 6h du matin, petite rue si romantique, et si chargée d'histoire que peu de personnes ne connaissent. Pour y être passé, je peux vous assurer qu'elle ne pue pas la pisse (enfin pas encore). Faites cependant attention aux pigeons, à Prague comme ailleurs d'ailleurs, les pavés, à défaut de vos épaules, sont immaculés de fiente. C'est là, 50°5'20.542"N, 14°23'41.059"E.

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