Célébrités: le borgne Jan Žižka z Trocnova

Alors chais pas si vous vous souvenez, de ma publication sur "Jan Hus", vous savez, l'inventeur sans le vouloir des guerres hussites (entres autres)?
Et donc dans la droite lignée du maître, je vais aujourd'hui vous parler d'un autre personnage qui a continué le combat, "Jan Žižka" (alors de grâce, ne prononcez pas à la française Z I Z K A ou Z I S K A mais J I J K A). Pis les photos, ce sont les jardins tout autour du Château de Prague, dessous le Château pis aussi derrière, le belvédère (appelé aussi pavillon d'été). Une super idée de promenade avec gnafrons et belles-mamans de quand il fait beau, chaud et que les abeilles butinent les fleurs bariolées. Je me suis dit que ça irait bien, en cette saison froide et grise. Pis de toute façon et surtout je n'avais rien d'autre sous la louche, alors ben voilà. Retour au "Jan".

Alors c'est sans doute et sûrement la personnalité du pays la plus controversée de toutes les personnalités controversées du pays, et pour cause.
Près de certains, il est un héros national, défenseur de l'identité tchèque face aux voisins germains romains catholiques, puis près d'autres, il n'est qu'un misérable brigand sanguinaire et intransigeant. Bon, et donc ben vous verrez par vous-même, au fur et à mesure de mon récit. Vous vous ferez bien une opinion. Quoi qu'il en soit, Jean (Jan, c'est Jean en français) a quand même récemment fait partie de la liste des 10 plus grands Tchèques du monde lors de la stupide émission de télévision, comme quoi il est tout de même bien ancré profondément dans la mémoire de la tête des gens. Pis aussi il a tout un quartier de Prague qui porte son nom, "Žižkov", comme "Josefov" (en mémoire de l'empereur Joseph II) ou "Strogov" (en l'honneur du grand blogger "Strog Ier" :-) Non, je déconne, j'ai déjà un boeuf qui porte presque mon pseudo ("Stroganoff"), alors un quartier de Prague... encore que... hein... après ma mort, qui sait?

Pis aussi il (Jean) aurait (selon l'UNESCO) la plus grande statue équestre du monde à son effigie, à "Žižkov" justement. 9m de haut, 9,5m de long, 5m de large pour un poids de 16 tonnes, ça en impose non? On la doit à l'artiste "Bohumil Kafka" (aucun rapport avec le Franz), disciple du grand "Josef Václav Myslbek" (auteur de la statue de "Svatého Václava", St Venceslas, pour n'en citer qu'une, sur l'avenue Venceslas). Vainqueur d'un appel d'offre en 1931, "Bohumil" remettra une première esquisse en 1932 avec un travail planifié sur 10 ans. En 1941, le moule en plâtre est prêt, mais les vicissitudes de l'histoire retarderont la fin des travaux, et les retarderont au point que le pauvre sculpteur ne verra jamais l'oeuvre de sa vie achevée (il décédera en 1942).
Ce n'est que le 14 juillet (pareil, rien à voir avec la brise de la pastille) 1951 que la statue sera inaugurée, mais par le régime con-muniste qui d'ailleurs déformera à son propre compte la cause hussite et métamorphosera post-mortem "Jan Žižka" en bolchevique armé, apôtre précurseur de la dictature du prolétariat et révolutionnaire socialiste combattant l'ordurier capitalisme féodal sans même avoir lu Marx, ni même rincé une vodka avec Lénine (les cons, munistes).

Bref, alors retour au prince hussite "Jan Žižka z Trocnova", car tel était son vrai nom. Il serait né vers 1360 dans une famille de vilains (vilains: habitants de la villa, du latin villanum, domaine rural, et donc libres par opposition aux serfs) à "Trocnov" (à côté de "České Budějovice", vous savez, la Budweiser, l'unique, la seule et la vraie).
On ne connaît pas grand-chose de sa vie d'avant, jusqu'à ce qu'il devienne célèbre. Ca aurait même été un mouflet comme les autres aux dires des témoins, normal le gniard, sinon un peu plus turbulent puisque déjà son institutrice calligraphiait dans son carnet d'école "Jan serait un élève model s'il ne s'emportait autant lors de la recréation envers ses camarades romains catholiques. Ses humeurs et son vocabulaire devraient être strictement surveillés". Et oui, turbulent pour le moins, hyperactif sans doute, et agressif certainement à en croire les lignes suivantes consignées dans le journal de bord de son collège: "24 mai 1372: [...] Il s'en suivit alors une joyeuse dispute d'entre les élèves de la classe après que "Jan Žižka" ait refusé de rendre les billes qu'il avait volé à ses camarades. Et tandis que les jeunes Pavel, Václav et Tomáš l'immobilisaient au sol, le petit germain Josef Mengelus lui introduisait une tronçonneuse dans l'oeil gauche pour le faire céder. Mais ces jeux puérils entre potaches ne pouvaient aucunement laisser présager les conséquences dramatiques qui s'en suivirent.
Le lendemain l'on retrouva les têtes des 4 assaillants (décapités par la tronçonneuse du petit Josef) plantées sur le portail de l'école, tandis que les restes des corps, finement dépecés en menus morceaux, gisaient éparpillés sur toute la surface de la cour. Au bout de 3 jours de patiente mais vaine tentative de reconstitution des corps, ouvrage dirigé par Madame la Professeur de Travaux Pratiques, l'on dut se résigner à porter les malheureux en terre dans une même sépulture commune."


Le jeune Jan aurait ensuite vécu comme nombreux autres jeunes hommes d'à l'époque, petits boulots, rapines, puis vols avec violence, vols avec assassinat, puis carrément association de malfaiteurs, grand banditisme... et tout particulièrement sur les terres de la famille "Rožmberk", entre Bohême du sud et Moravie.
Tiens, pour exemple, que vous ne disiez pas que j'exagère, un extrait du registre d'application des peines et exécutions selon le droit local de la susdite famille (Bibliothèque Nationale, édition revue et corrigée par Fr. Mares, Praha, 1878), je cite (les slavophones comprendront aisément, même sans accents) page 20: "Anno 1406, ... na Zizku Jan Holy pravil, ze Zizka, Jindrich a bratr Zizkov vzeli jsu herynky, a ze on Troskovec odpovedeli panu, a ze Zizka vzebral vozy a panu odpovedel... A take ze Matej kupcom vzal zlate a Zizka zabil pane cloveka. A take Zizka a Martin Brada Plachtik s svymi strelci jeli jsu Podolce a Albrechta bratra Jana Lyseho pro penieze, chtiece je mieti nespravedlive."
Et ça continue, page 21 "Item recognovit, ze Jirink z Plzenska, Halba z Chotebor, Zizka, Hansa Uher, Polak ti jsu vzebrali kramnu vec i jine zbozie a to jsu nesli do Rakus na Trnavu a na Kobr... It.rec., ze Koluch, Zizka, Jirink chteli jsu Novyhrad zlezti... It.rec., ze Zizka a Karlik Misnenin se dvema svyma strycoma podle Strazkova na silnici vzeli jsu jednomu sukenniku tandlerovi drahne sukna a jeho sameho jemse i nesli na Jempnici."
Et la page 22 en est pleine du fâcheux bougre " Žižka", tiens "Zizka mienie spaliti Tyn", ou "Zizka i jine vsecky lapky", ou encore "pachole nosi na lesy tu potrebu Zizkovi". Ah pour sûr, il avait mal tourné le bougre borgne. Alors je ne vous fais pas la traduction, parce que c'est long, mais en gros ça dit que "Jan Žižka" ne faisait rien d'autre que de tout voler, et qu'il avait des complices aussi qui faisaient pareil, que de tout voler, mais pour son compte à lui, à Jean.

Puis en 1409, il reçut l'amnistie de ses fautes des propres mains du roi "Václav IV" pour l'on ne sait quelle raison (mais vous verrez plus loin dans ma publie, la pertinente hypothèse). Lavé, blanchi, il partit en 1410 avec quelques potes se mettre, en tant que mercenaire, au service du roi de Pologne qui en décousait violemment avec les Chevaliers
Teutoniques, qui déjà à l'époque colonenvahissaient cette partie de l'Europe sous le couvert fallacieux, et l'absolue bénédiction du pape, d'y catholiciser les païens. Prétexte éminemment fallacieux, insistons bien, car le roi "Władysław II Jagiełło" (Ladislas II Jagellon en Français) avait déjà accepté la religion romaine catholique en 1385 avec l'union de Krewo qui stipulait mariage, religion (romaine catholique), union Pologne-Lituanie et d'autres broutilles sans importance comme le double étiquetage Zloty-Euro pendant une période transitoire de 2 ans et le libre accès au territoire des ressortissants membres de la zone Schengen. Selon des sources dignes de confiance, "Jan Žižka z Trocnova" aurait même participé en personne le 15 juillet 1410 à la bataille décisive de la verte forêt ("Schlacht bei Tannenberg/Grünewald" en Allemand, "Bitwa pod Grunwaldem" en Polonais), où les Chevaliers Teutoniques essuyèrent la raclée du XV ème siècle face à une coalition polonaise, lituanienne et tatare.

Signalons également que durant cette période polonaise, un des mentors du bougre Jan (et son recruteur semble-t-il) n'était autre que le gaillard "Jan Sokol z Lamberka", valeureux guerrier et rude mercenaire qui aura sûrement apporté à notre larron une rude expérience martiale acquise dés 1404, lors de l'héroïque défense de la ville de "Znojmo" assiégée par les troupes de Sigismond et Albert IV (Albrecht pour être exact) d'Autriche, appelé "Weltwunder" en raison de ses jolies fesses rondes qui ne l'empêcheront pas pour autant de succomber à la dysenterie pendant ce même siège de la ville de "Znojmo"... Ah oui, bien sûr, "Jan Žižka"...

Bon, alors il revient à Prague en 1412 pour se mettre au service du roi de Bohême "Václav IV" en tant que garde royal (bodyguard ça s'appelle aujourd'hui).
C'est à ce moment qu'il commence à prendre conscience des thèses de Jan Hus, pour devenir un fervent adepte du courant réformateur qui baigne la ville de Prague. Cependant sa nature bouillonnante et son impétuosité vont le conduire inexorablement du côté obscur de la pensée hussite, vers le fanatisme aveugle et la violence immodérée, perversions déjà pointées du doigt par ses pédagogues et qui (les perversions) n'auront qu'amplifiées durant les nombreuses années d'apprentissage de la vie du jeune Jan.

Ainsi le 30 juillet 1419, une procession hussite menée par "Jan Želivský", disciple de Jan Hus, et à laquelle participait "Jan Žižka" (vous allez finir par croire que tous les Tchèques s'appellent Jan, mais non, pas du tout, enfin plus maintenant, avant chais pas, il n'y avait pas de statistiques)...
donc une procession passa sous les fenêtres de la mairie de la vieille ville, et un incident mineur, une futilité, une bricole sans importance allait faire basculer la vie du prince hussite à l'approche de sa soixantaine. "Želivský, tête de noeud!" eut-on pu entendre en provenance d'une des fenêtres de l'hôtel de ville. Et bien croyez-le ou non, cette prosaïque injure va enflammer la Bohême dans la guerre civile pendant une petite quinzaine d'années. "Oh putain Jan!" s'exclama Jan, "ils ont insultés la mémoire de Jan en t'insultant, Jan. Mais attends voir un peu, je m'en vais te leur parler moi, tiens, passe-moi le gourdin nom di diou!" et aux cris de "vive Jan Hus", et sous la conduite de "Jan Želivský" et de "Jan Žižka", une nuée de Jan... de hussites gueulards s'engouffre dans la mairie et monte hâtivement les escaliers.
Là ils attrapent quelques échevins de confession romaine catholique (ça devait être marqué quelque part, sur leur front, qu'ils étaient romains catholiques) et après quelques claques cinglantes, les jettent par la fenêtre en dessous de laquelle les pauvres bougres seront joyeusement parachevés par la foule hystérique. Pis sur la lancée, l'on saccagebrûlera quelques églises, monastères, et édifices romains catholiques avant de s'en rentrer tranquillement à la tombée de la nuit, chacun dans sa taverne favorite, et rire aux éclats de la bonne rouste que l'on venait d'infliger aux lèche-culs pontificaux. La radicalisation du mouvement hussite, au départ non-violent, aura raison du roi "Václav IV" qui décèdera le 16 août 1419 d'une attaque cérébrale du cerveau. Son (demi) frère Sigismond 1er, Empereur Romain Germanique, duc de Luxembourg, grand électeur du Brandebourg, roi de Hongrie, roi de Lombardie et président de l'amicale berlinoise des cracheurs de noyaux de cerises lui succédera sur le trône de Bohême. Enfin pas vraiment au début, après si, plus tard mais pas tout au début.

A l'automne de la même année 1419, aigri et déchaîné "Jan Žižka" quitte Prague pour "Plzeň" ("Pilsen" en Allemand et en Français sans doute aussi) avec un groupe de furieux comme lui afin de propager l'idéologie guerrière, renforcer ses effectifs militaires, et vérifier l'affirmation populaire selon laquelle la bière y est meilleure qu'à Prague. Il ne perdra pas son temps le bougre, car en décembre de cette toujours même année, aura lieu la première bataille rangée entre les forces hussites et un gentilhomme romain catholique en la personne de "Bohuslav ze Švamberka", bataille connue sous le nom de "bitva u Nekmíře". Les 300 hussites appuyés par une dizaine de chariots et 2 pièces d'artillerie auront raison des 2000 hommes d'arme de la province de Pilsen. Mais la situation devient vite compliquée pour les hussites, la pression militaire se fait de plus en plus importante aux frontières de la Bavière (romaine catholique), et en mars 1420 la modeste armée décide de quitter la région devenue hostile pour se rendre au coeur de la région hussite au sud-est de la Bohême, dans la ville de "Tábor" qui venait juste d'être fondée, ça tombait bien.
Sur la route, "Jan Žižka" affrontera encore le 25 mars 1420 les chevaliers romains catholiques des citadelles de "Písek" et de "Strakonice" lors de la bataille de "Sudoměř". En fin stratège, il attirera ces bourricots lourdement harnachés dans un étang assez chié (asséché) où ils s'embourberont jusqu'aux poils des oreilles dans la vase boueuse. Vous trouverez un monumental monument datant de 1925 et de 16m de haut à l'emplacement exact de la bataille.

Puis arrivé à "Tábor", Jan devint l'un des 4 "chefs d'orchestre" ("hejtman" est le terme exact) de la nouvelle ville aux côtés de "Mikuláš z Husi" (à la guitare), "Chval Řepický" (au piano) et "Zbyněk z Buchova" (à la batterie).
Bon, et là je vous fais une parenthèse pour vous expliquer le mouvement hussite. En fait il y avait deux courants pour le moins différents. Bien que les deux prônaient la parole et les idéaux de Jan Hus, ils se différenciaient par des subtilités confuses, comme toujours en politique. Mais ce qui est important de savoir, c'est que le courant dit "modéré", qu'on appelait les utraquistes ("sub utraque specie", sous les 2 espèces, pain et vin, la communion, contrairement à "Communio sub una panis specie", au pain sec et accessoirement à l'eau, mais pas au vin) ou calixtins (à cause du calice, les calixtins, communion avec le vin) et qui prêchait (le courant) donc la communion sous les 2 espèces (le pain et le vin) était principalement organisé autour de bourgeois et de nobles de la ville de Prague. Tandis que le mouvement radical, les taborites (de la ville de "Tábor") qui lui aussi prêchait (le courant) la communion sous les 2 espèces (le pain et le vin, mais moins cher le vin, du "en barrique"), s'articulait essentiellement autour des paysans et des habitants de petites villes.
Les taborites avaient fondé pour ainsi dire une communauté quasi-communiste, dans le sens où ils mettaient en commun toutes leurs richesses, vivaient dans une quasi-autarcie et une discipline quasi-militaire, quasiment. Donc vous voyez le tableau, des utraquistes modérés à Prague, des taborites fanatiques à "Tábor", et donc connaissant les antécédents de "Jan Žižka", dans quel mouvement le mettriez-vous? Fin de parenthèse.

Alors notre Jean était donc "hejtman" à "Tábor". Super, ah ben chouette alors. Ca ravissait sa maman, mais lui pas trop. Ben non parce que les parties de pétanque entre potes, les pastis au soleil et le tarot en terrasse finissaient par l'ennuyer, lui l'homme de guerre, le fougueux combattant.
L'inactivité le chiffonnait lourdement, il lui fallait de l'action, de la bataille, de la bonne boucherie bien sanglante, de la carcasse disséquée et de la charogne calcinée (de moine romain catholique de préférence). Et dans sa grande bonté, la providence allait répondre prestement à ses aspirations belliqueuses.

Vous vous souvenez qu'à la mort de "Václav IV", c'est son (demi) frère Sigismond 1er qui récupéra la couronne de Bohême? Bon, alors c'est pas si évident que ça du tout (qu'il la récupéra), d'abord parce qu'il y avait la question technique de savoir si la Bohême était une monarchie héréditaire ou une monarchie élective, ben tiens. Ensuite parce que Sigismond, après avoir donné un sauf-conduit bien inutile à Jan Hus lors du concile de Constance, ben Sigismond il n'était pas vraiment bien placé sur les photos d'au-dessus de la cheminée des Tchèques.
Ils n'en voulaient tout simplement pas, du roi germanique. Et si de plus je vous disais que Sigismond était copain comme cochon avec le pape Martin V, vous comprendrez encore plus nettement la réticence de la Bohême hussite à récupérer un tel souverain. Et donc tout traînait doucement en longueur, on ne savait pas trop qui était roi, on prétendait qu'on avait perdu les clés de la couronne, puis on proposait même secrètement le trône au roi de Pologne (pour vous dire comme on était tombé bas, tiens, c'est comme dernièrement avec les papes, on y a mis un Polonais parce qu'on ne voulait pas de l'Allemand, mais on a quand même fini par l'avoir, l'Allemand, à la mort du Polonais) et le roi semi-officiel Sigismond lui-même n'en savait plus trop quoi penser...

Pis un jour il (Sigismond) frappa du poing sur la table et dit: "Ah et puis merde à la fin. Ca sera moi qui sera le roi, et puis c'est tout". Et pour être encore plus convaincant vis-à-vis des autres royaumes d'Europe dans ce qu'il estimait être son bon droit, il passa un coup de fil à son pote le pape afin qu'il ponde une bulle proclamant une croisade contre les hérétiques bohémiens: "z'allez voir tas de cochons infidèles, je vais vous la justifier légitimement mon intervention musclée, crénom di diou!". Alors j'abrège pas mal quand même, parce qu'en vérité se passèrent également entre temps d'autres évènements, mais comme ils ne sont pas indispensables, je ne vous en parle pas.

Bon, alors la bulle papale fut publiée au journal officiel en mars 1420, et début mai, une conséquente armée de barons, de ducs, de princes, de burgraves, de margraves, de landgraves... teutons de toute la Germanie pénétra sur le sol de Bohême pour se diriger au son du tambour et du pas cadencé vers sa capitale Prague.
Tari tara, jouez clairons, sonnez trompettes. Pris de panique, les pragois en appelèrent à l'aide aux taborites, et jusqu'à la République de Venise par une lettre envoyée en recommandé le 10 juillet. Mais il était de toute façon trop tard (pour Venise) car l'ennemie occupait depuis le 30 juin les châteaux de "Hradčany" (Château de Prague) et de "Vyšehrad" ainsi que toute la rive gauche de la ville. Seules les "vieille" et "nouvelle" villes (rive droite) restaient aux mains des praguois et des hussites (taborites et utraquistes) qui se préparaient à une attaque imminente. En prévision, le stratège borgne avait fortifié ses positions sur la colline de "Vítkov" en surplomb du fleuve "Vltava".

Le 14 juillet, Sigismond lance ses croisés à l'assaut de la colline. Bon je vous passe les détails de la bataille, mais ce qui est sûr c'est que la victoire hussite doit être une fois de plus attribuée davantage à la bêtise des ennemis qu'au talent des défenseurs.
En effet les cavaliers teutons, lourdement carapaçonnés, n'arrivaient pas à atteindre le sommet de la colline lors de la charge, mais ne pouvaient par rebrousser chemin non plus compte tenu de ceux qui poussaient bêtement derrière pour gravir à leur tour. Ajoutez à cela quelques tranchées bien placées, une poignée d'archers adroits, un brin de fanatisme religieux, et hop, la partie était jouée. Les sigismondiens se replièrent dans la confusion la plus totale, et certains même se noyèrent dans le fleuve tellement ils avaient hâte de fuir. Les praguois s'attendaient à une autre attaque plus organisée une fois les forces germaniques remises, mais il n'en fut rien. Les croisés dégoûtés, honteux et surtout affaiblis de moitié après leur défaite finirent par convaincre Sigismond d'abandonner l'idée d'une autre attaque, puis passèrent leur colère sur les villages et les habitants avoisinants.

Dans ce contexte pour le moins confus, l'empereur en perdait lui-même son latin. Il savait qu'avec ce qu'il lui restait de sa cavalerie, il n'avait aucune chance de prendre les quartiers hussites de Prague, d'autant plus que le moral des troupes n'était pas au plus haut. Aussi le 28 juillet il se fit couronner en toute hâte roi de Bohême en la cathédrale St Guy sous les caméras de Paris-Match et devant 24 princes de Bohême et de Moravie restés fidèles, puis quitta Prague pour "Kutná Hora" 2 jours plus tard après avoir dissous l'armée des croisés, mais laissant ses troupes dans les forteresses de "Hradčany" et "Vyšehrad". Après cette bataille, la réputation de Jan ne faisait que croître, mais non seulement en tant que subtil général militaire, mais également en tant que célébrité notoire au sein de la population taborite, puis hussite et même Tchèque. Ainsi à partir de 1427, plus aucun praguois n'appelait la fameuse colline "Vítkov", mais "Žižkov".

Maintenant faisons une parenthèse rapide sur la ville de Prague en cette époque plutôt mouvementée. Malgré un barouf indescriptible dans tout le royaume de Bohême, Prague sortira particulièrement grandie de cette guerre civile. En effet à l'instar de ce qui se passait dans les villes-républiques italiennes comme Venise ou Gênes, la ville sera dés 1420 contrôlée par les citoyens, la petite noblesse et la bourgeoisie contre le roi, contre l'Eglise, et contre la dictature du féodalisme. Les citadins éliront leurs propres représentants, la ville battra monnaie, prélèvera taxe de douane et appliquera justice. Prague sera ainsi à la tête de ce mouvement d'émancipation de la Bohême vis-à-vis de l'autorité royale et papale, période que nombreux Tchèques encore aujourd'hui considèrent comme la page d'or de leur histoire. Et hop, fin de parenthèse.

Bon, alors des batailles il y en a eu plein, et de nombreuses autres, avec et même sans Jan, dans Prague, mais je n'en parlerai point car ce n'est pas le plus intéressant, d'autant plus que l'on sait comment tout se terminait: par la victoire des hussites. Signalons encore cependant la bataille du château de "Rabí" (en ruine aujourd'hui, à quelques km de "Horažďovice"), où durant le second siège (février 1421) Jan y perdra bêtement son second et dernier oeil sain. Bêtement car les circonstances, telles que décrites dans l'ouvrage de l'historien "Václav Vladivoj Tomek" sur la vie de "Jan Žižka" ("Oculi plus vident quam oculus" plusieurs yeux voient mieux qu'un seul, aux éditions Alanus Afflelum), sont pour le moins cocasses. Alors que la bataille faisait rage, un des lieutenants du prince hussite se serait écrié "Jan, fais gaffe!" montrant le danger du doigt. Et tandis que Jan tournait sa tête en s'exclamant "où ça?", il se serait planté l'index fer-ganté du dit lieutenant dans l'oeil.
C'est ainsi que notre généralissime terminera sa vie totalement aveugle, ce qui ne l'empêchera pas de jouer du piano (debout) ni de battre à plate couture une fois de plus les troupes de Sigismond lors de la seconde croisade à la bataille de "Německy Brod" (aujourd'hui "Havličkův Brod") en janvier 1422. Vous savez, c'est le fameux épisode où, dans la débandade générale, les croisés se noient dans la rivière "Sázava" lorsque la glace cède sous leur poids (décidemment, ils sont lourds les Teutons!).

Puis viendra le temps de la politique, sale, bête et méchante, comme peut être (est) la politique. Dissensions, querelles, luttes de pouvoir entre les "hejtman", les prêtres hussites, les politiciens, et les notables conduiront à ce qu'au printemps 1423, "Jan Žižka" quitte la ville de "Tábor" pour fonder sa propre communauté de fanatiques sur les bases d'une "constitution" bien personnelle et extrêmement sévère connue sous le nom de "Žižkův vojenský řád" (en gros et en Français, le règlement militaire de Žižka).
La politique merdique séparera même les camps hussites (utraquistes et taborites) au point que les 2 parties se feront la guerre, vous rendez-vous compte? Lors de sa dernière bataille "u Malešova" (le 7 juillet 1424), le général aveugle gagnera à nouveau la partie sur les forces utraquistes, puis assiégera Prague en septembre de cette même année. Mais des ententes cordiales mettront fin au conflit entre hussites, et l'on trouvera un nouvel ennemi commun en la personne du duc Albert V d'Autriche, beau frère de Sigismond par mariage d'avec Elisabeth de Bohême (fille de Sigismond), qui (Albert V) deviendra à la mort du roi (Sigismond, en 1437) Albert II Habsbourg roi de Germanie (pas de Monaco, Albert II), roi de Bohême et de Hongrie, et qui brillera dans l'histoire Tchèque par son insignifiance puisqu'il décèdera en 1439 (des oreillons transmis par son petit neveu malade de la varicelle).

C'est sur la route vers la mort à vie (Moravie) que "Jan Žižka z Trocnova" s'éteindra le 11 octobre 1424 à "Přibyslav". Malgré cet effroyable coup du sort, la révolte hussite ne faiblira pas pour autant, elle résistera encore à l'empereur Sigismond et aux papes ainsi qu'aux croisades (5 en tout, durant les guerres hussites). La révolte résistera et débordera même sur les frontières autrichiennes, hongroises et germaniques jusqu'à la bataille de Lipany ("bitva u Lipan", le 30 mai 1434), lorsque les armées hussites de "Prokop Holý" (Prokop le chauve, le rasé, ou le tondu mais aussi appelé le gland... euh non, le grand) prendront la seule mais véritable raclée des 14 ans de guerres hussites. Mais bon, ce n'est plus Jan, et donc si ça vous intéresse, ce dont je ne doute pas un instant, je vous renvoie aux ouvrages de référence qui ne manquent pas sur le sujet, même en Français ("František Šmahel", "La révolution hussite, une anomalie historique", Paris 1985, par exemple).

Bien, et maintenant nous allons nous intéresser aux anecdotes, parce que je peux vous dire qu'il n'en manque pas, le personnage de "Jan Žižka", d'anecdotes truculentes. Pis tiens, commençons joyeusement, je vous livre les supputations spéculatives sur les causes de sa mort, parce qu'on ne dirait pas comme ça, mais elles (les causes) sont longtemps restées mystérieuses. Alors officiellement, il serait mort de la peste. Ouah l'autre, je rêve debout les yeux ouverts, sans dec, la peste! Et pourquoi pas de l'inflammation des mains moites? Alors la peste, c'est totalement impossible, d'abord parce qu'il n'y avait pas d'épidémie en Bohême en cette époque, ensuite parce qu'un seul mec de toute la troupe hussite qui chope la peste, c'est quand même curieux, (la foire, je veux bien, et encore, si elle est virale...), pis ensuite parce que si c'était la peste, il (Jan) aurait été logiquement en quarantaine or selon les historiens, jusqu'à sa mort il aurait donné des ordres à ses lieutenants lors de la prise du château de "Přibyslav".
Ah bon? Et alors ben c'était quoi? Ben selon le professeur "Josef Thomayer", éminence notoire de la médecine tchèque qui, dans les années 20 du siècle précèdent, s'était penché sur la troublante question, il serait (hypothèse) mort d'une simple septicémie. Et oui, les chroniques de l'époque parlent d'excroissances, d'abcès sur sa personne (d'où la peste), mais ce pouvait être des tumeurs, des bubons, une infection purulente des glandes lymphatiques... ainsi l'invulnérable guerrier serait mort de simple crasse, de banale saleté et de négligence corporelle, d'un imposant furoncle surinfecté qui aurait gangrené tout le corps jusqu'à provoquer la mort par empoisonnement du sang?

Autre truc bizarre, vous vous souvenez qu'en 1409, alors bandit de grands chemins, non seulement il reçut l'amnistie du roi "Václav IV", mais il entra carrément à son service.
Ah, tiens, et pourquoi, c'est curieux non pour un voyou délinquant? Alors pareil, selon certaines hypothèses, il aurait été une sorte de "corsaire" au service du roi, un genre d'espion, comment dire... En cette époque, les rois devaient batailler grandement avec les ducs, barons et autres princes qui voulaient perfidement être califes à la place du calife. Et justement, la puissante famille "Rožmberk" faisait partie de ces comploteurs ambitieux. Ainsi notre Jan aurait donc été une sorte de flibustier des routes oeuvrant pour le compte du bon roi sur les terres "ennemies" afin d'y apporter insécurité, tracas et agitation. Une fois la discorde entre les potentats disparue, le roi l'aurait engagé à sa cour pour service rendu à la couronne. Ben tiens, ça donne d'autant plus de sens que son pote mentor, là, le "Jan Sokol z Lamberka" exerçait déjà officiellement cette fonction de nuisible malfaisant pour le compte du même roi "Václav IV" et contre le saint-frusquin de la même famille "Rožmberk".

Mais les extravagances sur le compte du lascar Jan vont encore plus loin, poussées dans les extrêmes, 'ttention. L'on dit, ou disons que l'on renifle comme une possibilité que notre bonhomme de zig aurait participé en personne à la bataille d'Azincourt le 25 octobre 1415 dans les rangs des forces anglaises. Dingue! Rappelons que les liens entre les royaumes de Bohême et d'Angleterre étaient plutôt étroits depuis le mariage d'Anne de Bohême (fille du bon roi Charles IV) et du roi Richard II en 1382, que de nombreux maîtres tchèques enseignaient à Oxford ("Vojtěch Raňkův z Ježova" dit Adalbertus Ranconis de Ericinio, Jérôme de Prague...) tandis que de nombreux (bon, ok, alors quelques) étudiants tchèques fréquentaient la célèbre université albionnaise. Ben d'accord, mais Jan n'était pas étudiant. Ben non, il était mercenaire. Or la guerre de cent ans en était à sa 78ème année et avait fait de nombreuses victimes dans les rangs des l'armées. Pourquoi Henri V (roi d'Angleterre) n'aurait pas fait justement appel à des mercenaires parmi les contrées alliées?
Et surtout, quoi que d'aucuns puissent penser sur l'individu Jean, tout le monde s'accorde à dire qu'il était un vrai artiste de guerre, un innovateur exceptionnel et que les nombreuses victoires des hussites même après son décès doivent en grande partie au talent de ses plans et ruses de batailles. Ainsi nous savons que le général "Jan Žižka" utilisait des chariots "renforcés" pour protéger ses troupes pédestres des attaques de cavalerie et des flèches, nous savons qu'il utilisait très ingénieusement la géographie du champ de bataille (boue, glace, pente...) contre la cavalerie ennemie lourdement harnachée, nous savons qu'il donnait une importance sans précédent aux armes de "longue" portée (arcs puis arquebuses et mini-canons portatifs), qu'il préparait le terrain (barricades, tranchées...), qu'il n'envoyait ses troupes au corps à corps qu'une fois les cavaliers à terre... et où aurait-il vu tout cela dans un tel niveau de détail sinon à la bataille d'Azincourt?
Ben tiens, la lourde cavalerie française embourbée dans la boue, les pieux anglais plantés au sol pour arrêter la première charge, les archers gallois qui, à plusieurs centaines de mètres de distance décime l'infanterie venue au secours des embourbés...

Bref, lisez les chroniques des historiens, mais vous verrez que les tactiques utilisées par les Anglais (3 à 4 fois moins nombreux en nombre que les Français) sont exactement les même que celles utilisées par les hussites quelques années plus tard. Hasard? Allez savoir! Bien sûr, vous pourriez me rétorquer que Jean-Paul est devenu pape sans avoir vu la Sainte Vierge, que Mozart s'est mis à la musique sans avoir entendu Céline Dion, et que ça ne prouve strictement rien, qu'il est des idées dans l'oignon des têtes de génies comme des oeufs de mouche dans la génération spontanée, d'un coup, hop, comme ça.
Ben oui mais non. Non, parce qu'il y a toujours et forcément une cause originelle, un catalyseur déclenchant le déclic. Tiens, par exemple est-ce que Jean-Paul serait devenu Pape s'il avait lu Karl Marx plutôt que d'être Polonais? Et est-ce que Mozart serait devenu musicien s'il avait reçu des gouaches à Noël plutôt qu'un accordéon? Bon, quoi qu'il en soit, le professeur "Jan Blahoslav Čapek" (non mais je vous assure qu'il y a d'autres prénoms que Jan en Tchéquie, sérieusement) a consacré une étude des plus approfondies sur la question dans l'ouvrage "K otázce tradic o Žižkově pobytu v Anglii", Jihočeský sborník historický, 1979, XLVIII, 2 – p. 127 až 141, avec des faits nettement plus avérés que les miens.

Pis une fois mort, il continua de hanter ce bougre de "Žižka". Selon les chroniques historiques, on aurait enterré Jan en l'église "Svatého Ducha" à "Hradec Králové". Mais pas pour longtemps, la tombe était étroite, l'église humide, et le mort n'y était pas à l'aise. Qu'à cela ne tienne, on le déménagea dans l'église St Pierre et St Paul à "Čáslav", plus grande (la tombe), plus spacieuse et orientée nord-sud pour suivre les lignes magnétiques terrestres et favoriser un sommeil éternel adéquat. Lorsqu'au début du XVII ème siècle, le gouverneur "Vilém Vřesovec z Vřesovic" fervent catholique (papal, donc romain) voulu brûler les restes de l'hérétique, il ne trouva rien dans la tombe. Ah ben flûte alors, ben où est-ce qu'il était bien passé l'aveugle mobile, on l'avait pourtant fait reposer dans une sépulture cossue? L'énigme fut résolue au début du XX ème siècle lorsqu'on procéda à une réfection totale de l'église, en particulier de la chapelle de la Vierge Marie.
Sur un pan de mur, derrière le ravalement, enfin le crépit, bref l'enduit qui recouvrait les pierres du mur, l'on découvrit une pierre plate cachant l'accès d'une petite niche, et dans cette petite niche, les restes d'un vieil ouvrage en Latin spécifiant que les restes du guerrier hussite se trouvent cachés dans le mur opposé. Et en effet, ils y étaient. Mais était-ce bien les siens me demanderez-vous? Eh bien la réponse fut donnée en son temps par le célèbre professeur "Jindřich Matiegka", fondateur du département d'anthropologie de l'Universitas Carolina, qui eut l'occasion d'examinexpertiser les crânes les plus célèbres de la République (St Venceslas, St Adalbert...). Selon lui, le crâne trouvé dans la cachette de l'église St Pierre et St Paul à "Čáslav" peut sans aucun doute être attribué à "Jan Žižka z Trocnova". Et c'est en étudiant ce crâne, en particulier les blessures à proximité des yeux, que l'on sait aujourd'hui comment Jan perdit la vue, puis perdut la vie.
Et ça n'a rien à voir avec les écrits du célèbre historien polonais du XVII ème siècle "Jan Długosz" qui, dans son oeuvre colossale "Annales Seu Cronicae Incliti Regni Poloniae - Liber Decimus Et Liber Undecimus 1406-1412" dans le chapitre traitant de la "bitwa grunwaldzka", prétendait que "Jan Žižka" serait devenu borgne dans la bataille (de la verte forêt). Non non, c'est faux. La vraie vérité, c'est ce que je vous ai dit plus haut, et qui fut donc découverte (la vérité) par le prestigieux anthropologue sur le squelette de l'autre intrépide. La blessure date de ses 12 ans d'âge du Jean, et pas de l'âge (la cinquantaine) qu'il avait à la bataille de la verte forêt.

Voilà, alors comment considérer objectivement ce drôle de gaillard dans une époque aussi confuse, une époque où les religions, les minéralistes... non, les millénaristes, les seigneurs et les dynasties rendaient compte au bon peuple de leur passé tout en essayant de s'assurer dans le présent pour se préserver un avenir? (Oh purée de bois, ça veut dire quelque chose ça?) Formulé autrement: bon, et "Jan Žižka" dans tout ce bourbier politico-religieux, c'était un gentil ou un méchant? Ben la question est fichtrement subtile et triviale tout à la fois. Tiens, regardez voir.
Comment considéreriez-vous une personne qui aurait mis le siège à chaque second château, fortin d'un royaume (et il y en a, croyez-moi, des castels)?
Comment considéreriez-vous un individu qui pourrait se targuer d'avoir brûlé jusqu'aux cendres chaque seconde abbaye, église ou couvent (ben là il y en a moins maintenant, forcément)?
Comment considéreriez-vous un homme dont la cruauté envers ses ennemis n'aurait d'égal que son fanatisme?
Comment considéreriez-vous un croyant dont la foi intransigeante métamorphoserait toute opinion légèrement différente en hérésie sacrilège?
Comment considéreriez-vous un guerrier subtil devenu fanatique religieux qui se prétendrait investi d'un apostolat divin?

Et les preuves ne manquent pas, exemples:
"Mikuláš Dačický z Heslova" (1555 - 1626) dans son ouvrage intitulé "Mémoires" ("Paměti") où il recense les souvenirs des ses aïeux: "Léta 1420. Pan Hynek Krušina sebrav lid k Třebechovicuom, s nímž byl také pan Jiřík z Chvalkovic a Mokrovous, i táhli spolu k Hradišti Mnichovému a dobyli toho kláštera šturmem, a vypálivše jej, táhli ku Praze na pomoc Pražanuom proti králi Zikmundovi uherskému. Nebo král Zikmund přijel vojensky do Čech o památce sv. Víta a oblehl Prahu. A bratr Jan Žižka oblehl hrad sv. Václava, Strahov pak a Břevnov, kláštery, vypálil." Ou comment Jan brûla les couvents de "Strahov" et de "Břevnov".
Puis quelques lignes plus loin: "A Žižka zvěděv, že nějací pikharti byli na nějakém ostrově mezi vodami blízko od Tábora a ti že mistrné bludy drželi a vedli, a vpadše do městečka Vožice, zbili ženy a děti, i přepadl na ně Žižka a dobýval jich. A oni jse bránili a mnoho mu lidí zbili. Ale Žižka je přemohl a vůdce jich řečeného Rohan umrtvili. Pozůstalí z nich prosili, aby je Žižka na milost přijal, avšak nechtěli svých bluduov upustiti a dali jse raději zbíti. Někteří v Klokotech spáleni, někteří, pokání přijavše, toho bludu jse odřekli." Ou comment Jan faisait bouillir les hérétiques millénaristes (dits "picards") afin de leur faire abjurer leur foi.

Ah c'est quoi les "picards" me demanderez-vous? Hop, Encyclopédie Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers du dit "D'rot et d'à l'envers", prenez le volume 12, allez à la page 547: (Hist. ecclés.) nom d'une secte qui s'établit en Bohême au commencement du XVe siecle, & qui y fut cruellement persécutée. Elle eut pour chef un prêtre qui s'appelloit Jean, & qu'on nomma Picard, parce qu'il étoit de Picardie; d'autres l'ont nommé Martin, & d'autres Loquis.

Pis afin que vous ne me disiez pas que "ouais, bon, c'est toujours le même récit du même livre", que "le Nicolas ("Mikuláš") il est pas r'sial" ou que "ses ivrognes d'aïeux perdaient mémoire", donc pour que vous ne me disiez pas tout cela, j'ai une autre source confirmant les écrits précédents. Dans la richissime bibliothèque du Klementinum, à laquelle j'ai l'heur d'avoir accès par accointance d'avec... enfin bref, c'est pas important... donc dedans cette bibliothèque se trouve un (parmi tant d'autres) vieux manuscrit de chroniques du royaume de Bohême, le "Chronica Bohemica in brevis compilatio". L'auteur en est inconnu (le nom du moine est illisible), mais son contenu (du manuscrit) est extrêmement précieux (malgré son mauvais état) tant sur le plan informatif que linguistique car écrit en Tchèque et non en Latin (malgré son titre).
Selon les experts il aurait été rédigé aux environs de 1434 à 1436, ou fin du XV ème siècle au plus tard. Je cite:
"A když jest král cizozemce z země rozpustil, tehdy jest Žižka na pole vytrhl i táhl po zemi, kláštery pále, mnichy z země hnal, faráře, kněží, kostely páliti kázal, kteříž jsú pod jednú zpuosobú lidu obecniemu podávali." ou comment Jan incendiait édifices religieux et chassait-brûlait prêtres communiant "sub una specie".
Et plus loin "I táhl jest Žižka k Chomútovu na Květnú neděli šturmem, a tu jest na tři tisíce na miestě lidu zbito a zapáleno. I táhl jest odtud k Berúnu šturmem, a tu jest také drahně zbito a zapáleno. I táhl jest tudy do Prahy. A v tu dobu z hradu sv. Vácslava Pražanuom zstúpili. Pak z Prahy jest s velikú moci k Českému Brodu táhl. A tu Němci se zavřeli. I dobyli jest města šturmem a Němci na kostel utekli. A tu pod nimi kostel zapálili. Tu Němcuov nětco pohořalo a někteří s věže zskákali. A proto zbiti cepami, kteří jsú hlav nezlámali." ou comment "Jan Žižka" quelques 3000 individus trucida et brûla [...] et tandis que Germains s'en réfugiaient dedans l'église, icelle fit-il enflammer, achevant malheureux qui du clocher sautaient.
Ou encore confirmation du massacre des picards "Tu jest pak Žižka s vojskem do Žatče utek&@%#..." ah ben flûte alors, mais qu'est-ce qu'il écrit mal ce zèbre de fichu moine "...utekl a odtud jest táhl na pikharty i dobyl jest jich na ostrově u Valuov. I kázal jest jě zapáliti."

Bon, et puis ça va le faire comme ça, parce que quelle que soit la source d'information (sauf du temps de la dictature con-muniste, les fumiers), quelle que soit la langue (Latin, Tchèque, Germain...), vous trouverez les mêmes faits de vandalisme, de cruauté et de barbarie furieuse. Alors attention, cela ne signifie aucunement que la partie adverse (germano-romaino-catholique) était sucre miel et fleurs des champs, mais ça, ce n'est point une surprise ni le sujet de ma publication d'aujourd'hui. Donc voilà, je pense que vous êtes suffisamment fournis velus pour répondre par oui ou par non à la question des mouflets, qui était de savoir si "Jan Žižka", c'était un gentil ou un méchant, et si vraiment vous en manquez toujours du détail, alors je vous ai même dégoté de derrière les fagots de la toile mondiale l'oeuvre de George Sand, "Jean Ziska, Episode de la Guerre des Hussites". "Ouah ben dis-donc, merci alors Strogoff, t'es vraiment un amour!" Oui, je sais, et je suis même tellement un amour, que je vais encore vous mettre en garde contre quelques... comment dire, c'est George Sand tout de même... alors disons quelques maladresses.

Commençons par le nom, comment a-t-elle pu transformer "Žižka" en "Ziska"? C'est énorme, c'est comme si on faisait "Dupont" de "Durant", scié chuis. Bon encore que ça, c'est peut être pas de sa faute à elle. Par contre elle écrivit à propos du bon roi Charles IV "Malgré cette sollicitude paternelle pour l'éducation des Bohémiens, ceux-ci ne l'aimèrent jamais et lui reprochèrent de trop s'occuper des intérêts de sa famille. Le reproche fut peut-être injuste; mais cette famille avait le tort impardonnable d'être étrangère: on le lui fit bien voir." Permettez-moi de citer l'estimable historien et prodigieuse individualité du réveil national "František Palacký" afin de contredire les conn... les propos de Mme Sand, "Karel IV. ze všech králů, kteří kdy v Čechách panovali, jest nejoblíbenější." (Charles IV, de tous les rois ayant régné en Bohême, est le plus aimé). Ou encore le professeur de théologie à la Sorbonne "Vojtěch Raňkův z Ježova" qui prononça l'oraison funèbre du roi défunt (Charles IV), et qui parlait de "Carolus Quartus, Romanorum Imperator et Boemie Rex" comme du "Pater Patriae". Pis autre maladresse, je cite "Note 17: Tauss, Taus, Tausch, Tysia ou Tusia, c'est la même ville, ou du moins le même nom...".
Alors évidemment, elle passe tous les noms Germains en revue, mais sans jamais citer ne serait-ce qu'une seule et unique fois "Domažlice" qui est le nom tchèque officiel. Alors bon, on ne lui en voudra pas à George, d'autant plus qu'elle s'explique humblement dans sa notice: "L'histoire de la Bohême est peu répandue chez nous. Pour en faire une étude particulière il faudrait savoir le bohême et le latin. Or, ne sachant pas mieux l'un que l'autre, je me vois forcé... [...] ...et ce sont ces notes que je publie maintenant, avec prière aux lecteurs de ne prendre ceci ni pour un roman ni pour une histoire, mais pour le simple récit de faits véritables dont j'ai cherché le sens et la portée, dans mon sentiment plus que dans les ténèbres de l'érudition."

N'est-elle pas charmante? D'un autre côté, le très grand Charles Baudelaire en disait (de George): “Que quelques hommes aient pu s’amouracher de cette latrine, c’est bien la preuve de l’abaissement des hommes de ce siècle.” Ah bon, elle n'aurait donc pas été charmante? Et de rajouter (Charles): "elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde." Ah bon, donc elle n'aurait même pas été digne d'intérêt? Mais le pire fut tout de même: "je ne puis penser à cette stupide créature, sans un certain frémissement d'horreur." Ah bon, alors faudrait-il ne pas lire George Sand? Ah et puis zut flûte crotte, hein, je vais en rester là sinon vous allez encore vous en scotcher plusieurs pages devant les mirettes, alors stop, c'est fini terminé, je clos ma publication sur "Jan Žižka".

Allez, et encore une fois bonne année 2006 à vous tous, amis lecteurs.

Commentaires

Anonyme a dit…
genialement drole et interessant
Strogoff a dit…
Eh bien je suis fort aise que cela vous plaise.
Anonyme a dit…
Génial, je retiendrai ce blog. Je recherchais des infos sur les Hussites et je suis particulièrement heureux d'avoir trouvé votre excellent travail dans un ton que la marionnette liégeoise Tchantchès n'aurait pas renié.

toutes mes félicitations donc.
Strogoff a dit…
Eh bien merci Tchantchès, merci pour ces encouragements. Vous êtes le premier Belge à me laisser un commentaire, j'espère donc que vous êtes l'initiateur d'une longue série de lecteurs en provenance de Belgique. Ah oui, et j'adore Bruxelles!!!

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