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Celui-là, je l'ai découvert alors que je m'en remplissais la base de données POI.CZ des oeuvres de "František Maxmilian Kaňka". Un monument presqu'insignifiant, dans un trou ("Hlavenec") encore moins signifiant, et pourtant... Encore une belle histoire comme je les aime bien, z'allez-voir.

František Antonín Špork
En fait, toute l'histoire est intimement liée à ce bougre de noblaillon-couillon, au comte "František Antonín Špork" (1662 - 1738), envers lequel je partage un sentiment mitigé de sympathie et d'antipathie cumulées. Ce personnage original haut en couleurs baroques était connu pour son mécénat artistique, son sens de la liberté intellectuelle, d'acceptation religieuse et de philanthropie (encore que...). Les revers de la pièce étaient sa quérulence, son impétuosité et la frustration inhérente à sa fatuité. "Špork" était l'exemple même de la dualité du Yin et du Yang en Bohême baroque. Ses fêtes étaient surchargées d'hectolitres de bons vins et de tonnes de bonne croûtance, alors qu'il livrait bataille pour chaque cent dépensé sur ses domaines.
Il publiait à ses frais des textes saints et moralisateurs, alors qu'il cuvait rancune et soif de vengeance pour les torts provoqués envers lui par les glises. Il eut souhaité être bon envers ses sujets par l'éducation et le bien être, alors qu'il punissait du fouet jusqu'au sang toute faute aussi insignifiante fut-elle. Jeteur d'huile sur le feu et provocateur impénitent, il faisait rapidement amende honorable et présentait profondes excuses.

D'aucuns lui prêtent des comportements esclavagistes envers ses sujets, d'autres lui attribuent la création de la première loge maçonnique tchèque. Les uns affirment qu'il pratiquait (faisait pratiquer?) l'alchimie, les autres qu'il souffrait d'exhibitionnisme névrotique. Allez savoir. Ce qui est cependant incontestable, c'est son insatiable besoin de reconnaissance sociale. Ses origines roturières (cf. plus loin) incitant la vraie noblesse de souche à le considérer comme un arriviste parvenu, il n'eut de cesse durant toute sa vie d'attirer l'attention d'icelle (noblesse de souche) par toute sorte de subterfuges comme par l'accumulation de titres, d'honneurs, de décorations et de gloire. Personnage des plus controversés de l'ère baroque, qu'aujourd'hui l'on qualifierait volontiers d'hyperactif et chaotique (pour le moins), le comte "František Antonín Špork" fait incontestablement partie de l'histoire de la Bohême. Mais oyez plutôt.

La famille "Špork", d'origine modeste, débarqua en Bohême, comme beaucoup d'autres opportunistes, avec les armées de la ligue catholique après la bataille de la montagne blanche. Acquérant moult domaines à prix bradés lors du pillage systématique auquel se livrèrent les vainqueurs, les "Špork" devinrent ainsi l'une des familles les plus fortunées du royaume. A l'âge de 22 ans, François-Antoine hérita des biens familiaux. Une fois diplômé en droit à l'université Charles (alors appelée Charles-Ferdinand, sous les Habsbourg), il voyagea dans les années 1680-1681 en Europe (Angleterre, France, Italie, Hollande et Spagne) où il découvrit les arts, les sciences, les théologies, les filles (poilues en Espagne)... enfin tout ce qui lui fut par la suite utile dans la vie. Une fois reviendu en Bohême, nôtre bougre aspira à embrasser une carrière politique. Ainsi il devint rapidement et successivement intendant, gouverneur, conseiller... Mais voilà, ces fonctions ne le passionnaient pas, loin de là, et seuls l'intéressaient les titres pompeux et les statuts sociaux inhérents qui enivraient de prestige son outrecuidante personne. Aussi il abandonna rapidement l'administration pour se consacrer à sa fortune, de laquelle il put vivre richement sans même fiche le moindre doigt à la pâte.

Commençons par le mécénat. Alors parmi les fabuleux génies qui eurent droit aux largesses du mécène, mentionnons:
- tout d'abord "Matyáš Bernard Braun", sculpteur émérite nommé dans chaque troisième publie historique mienne.
- "Petr Brandl", un de mes peintres préférés dont la vie fut un roman d'aventures farfelues qui mériteraient d'être publiées en première page de mon blog.
- "Giovanni Battista Alliprandi", architecte talentueux ayant façonné nombreux édifices notoires de Prague. Bien évidemment, vous pouvez trouver la liste de ses oeuvres dans cette richissime base de données POI.CZ.
Et bien d'autres, mais leur activité artistique n'ayant pas dépassé les limites du "c'est pas trop mal", je ne vous en parlerai pas ici afin de ne pas surcharger inutilement mon blabla.

Ensuite parmi les réalisations les plus remarquables que l'on doit au philanthrope (soi-disant), il est le complexe de "Kuks" dont je ne vous dirai rien aujourd'hui (enfin pas grand chose) parce que je vous en prépare une publie depuis quelques 8 ans, et que je caresse fermement l'espoir d'en accoucher un jour sous peu (dans 9 mois?).
Si, juste vous dire que ce somptueux complexe baroque se composait en son temps de termes, d'un palais, d'un théâtre, d'une bibliothèque, d'une église, d'un terrain de course (pour canassons), d'un hôpital gratuit pour les pauvres, des dépendances pour les pensionnaires comme pour les employées, des toilettes séparées pour hommes et pour femmes... C'était énorme. Malheureusement, aujourd'hui et par suite d'inondations, d'incendies, de pillages en temps de guerre, de con-munistes en temps de paix, et tout simplement par suite de non intérêt, il ne reste plus tout de ce qu'il y avait à l'origine. Ceci-dit, le complexe n'en reste pas moins digne d'attention, mais comme dit, une autre fois, dans le cadre d'une publie complète.

Mentionnons aussi que "František Antonín Špork" introduisit en royaume de Bohême l'opéra italien en promouvant et faisant jouer des oeuvres de façon quasi permanente dans ses palais de Prague comme de "Kuks". Déjà en 1699, lorsqu'il fit reconstruire son palais (aujourd'hui "Swéerts-Šporkův palác") rue "Hybernská", le mécène y fit adjoindre un théâtre en bois (pour la coustique). Inauguré le 4 octobre 1701, il fut la toute première scène indépendante à disposition du public présentant des compagnies itinérantes en provenance d'Allemagne, d'Italie et de France. Puis suite au fabuleux succès de "Constanza e Fortezza" ("Johann Joseph Fux"), opéra joué en 1723 pour le couronnement de Charles VI, "Špork" engagea une compagnie italienne d'opéra en 1724, qu'il fit jouer régulièrement à Prague comme à "Kuks". Ce fut la première pierre de la longue tradition théâtropérationnelle en Bohême, tradition à propos de laquelle je vous prépare une publie de longue haleine depuis plusieurs mois. Et pour terminer, entre 1726 et 1736, furent joués dans le théâtre du comte 6 opéras de Vivaldi, dont 2 premières (Vivaldi en personne visita Prague en début des années 1730 dans le cadre de ces représentations). Mais Vivaldi c'est chiant, aussi je ne vous en dis pas plus.

Maintenant et surtout, dans la série musique et opéra, mentionnons que nôtre comte saugrenu introduisit, toujours en royaume nostre, la trompe de chasse, qui, contrairement à une croyance bien ancrée, n'est pas un cor de chasse. La trompe est accordée en ré, et fait pouêt-pouêt-tut-tut quand on souffle dedans. Le cor est accordée en mi-bémol, et fait tut-tut-pouêt-pouêt (mais seulement quand on souffle dedans, comme la trompe). La trompe s'utilise lors des chasses à courre et informe le bestiau des bois qu'il est temps de mettre les voiles au galop parce qu'une meute d'imbéciles furieux va leur tomber sur le râble. Le cor s'utilise lors des parades militaires et informe le public qu'il est temps de se mettre au garde à vous parce qu'une meute d'imbéciles furieux va commémorer un massacre passé. Bon, mais arrêtons nous un instant sur l'introduction de la trompe de chasse en Bohême, parce que ce n'est pas un évènement aussi anodin qu'il pourrait le laisser croire (et c'est important pour nôtre histoire d'aujourd'hui).

Auparavant, en Bohême, on chassait le gibier à coup de Richard Clayderman sur du piano à queue. C'était d'une redoutable efficacité, à faire courir jusqu'aux limaces à des kilomètres à la ronde. Malheureusement, en termes organisationnels et logistiques, l'affaire était nettement plus revêche. Outre l'encombrement et le poids de l'instrument, ce dernier était particulièrement sensible du derme à l'humidité. Aussi l'on chassait l'après-midi quand il pleuvait le matin, et on chassait le matin quand il pleuvait l'après-midi. Avec l'introduction de la trompe de chasse, l'on pouvait se divertir indépendamment de la météo, et l'on gagna énormément en mobilité ce que l'on perdit un brin en efficacité (du reste ceux qui suivent auront remarqué ma subtile plaisanterie: la limace est sourde comme un sonneur de cloches à la Toussaint, du coup jouer du piano ou souffler dans une trompe, c'est comme pisser dans un violon pour une limace. Ha ha ha...) .

Alors comme vous pouvez lire dans le rapport de la conférence internationale des joueurs et facteurs de trompe de chasse qui eut lieu à "Brno" en 1981 (véridique), et dont le texte me fut procuré par ma femme de ménage dont le mari se passionne pour cet instrument depuis qu'aux premières notes du cuivre, l'épagneul breton de son fumier de voisin du d'sous lui retourne l'appartement à la recherche du goupil éventuel... donc comme vous pouvez lire dans ce rapport, c'est en début des années 1680, que le comte "František Antonín Špork" découvrit la trompe de chasse en France, dans le cadre des chasses dites "à courre, à cor et à cri", et décida de l'introduire sur ses domaines en Bohême avec toutes les festivités bacchanales qui accompagnent ces massacres invraisemblables.
Parenthèse linguistique: la vénerie (chasse à courre avec meutes de chiens et d'imbéciles) se dit en Tchèque "parforsní hon", où "parforsní" est un dérivé du Français "par force" (de chiens, en Français dans le texte). Même l'Allemand adopta ce terme sous la forme "Parforcejagd: auf der französischen Parforcejagd wurden die Tiere "durch Hundekraft" (par force de chiens) bis zur Ermattung gehetzt...". Bref, mais revenons au comte. Et parce qu'il avait sagacement remarqué que non seulement souffler dans la trompe était indispensable pour le bon déroulement de la chasse, mais que de surcroît une telle fanfare insolite pouvait le faire remarquer par, et se démarquer des autres noblaillons de l'empire, il envoya 2 de ses sujets en voyage d'étude Erasmus à Paris, afin qu'ils y apprennent à souffler dans le tuyau (et en sortir pouêt-pouêt-tut-tut), mais également afin qu'ils s'y instruisent de l'art et de la manière du cérémonial inhérent. Eh ouais mais bon, et parce que la chasse à courre c'est comme les asperges, c'est seulement en saison, alors les bougres restèrent plus de 2 ans en France avant de réintégrer les bons services de Mr le comte, dûment instruits de tous les secrets de la cynégétique. L'investissement valut cependant la peine, car à leur retour, les demandes d'enseignement affluèrent de tout côté de toute la noblesse de tout l'empire, afin d'apprendre l'art du massacre de gibier "à la française". Et pour couronner cette noble pratique de tout le prestige qu'elle mérite, Mr le comte créa le 3 novembre 1695 l'ordre tchèque de St Hubert dont il devint le premier grand maître. Notez toutefois que cet ordre tchèque n'a rien à voir avec l'ordre de St Hubert bavarois. Alors que ce dernier remonte à la mi-XV ème siècle et jouit d'une réputation certaine, l'ordre tchèque disparu à la mort de son créateur, pour n'être renouvelé qu'en 1992 par des membres dont je ne puis rien vous dire sur, car leur site Internet est virussé pourri par des malwares malveillants.

Outre la trompe de chasse, François-Antoine ramena encore de France l'amour des livres. Il avait en sa possession une des plus remarquables collections de bouquins divers, et même mieux, il possédait carrément à "Lysá nad Labem" sa propre imprimerie. Il aurait, selon la rumeur, édité plus de 150 ouvrages, principalement des traductions de livres en langue française de type philosophico-théologique ou auto-éducatif (pour ses paysans, qu'il leur distribuait gratuitement, genre "l'informatique pour les nuls"), sans compter nombreuses satyres, pamphlets, tracts... Et justement, un de ces pamphlets... Libre penseur, il détestait le fanatisme, les jésuites (il avait fait décorer un tableau en l'église de "Kuks" de diables méphistophéliques aux faciès des jésuites du noviciat voisin de "Žíreč"), coquetait volontiers avec des gens de confession différente (hussite par exemple), et contrebandait en loucedé de la propagande anticatholique interdite en nôtre royaume. En l'année 1729, à force de bouffer du jésuite particulièrement vendredi et jour de carême, ces derniers finirent par lui rendre la monnaie de sa pièce en l'accusant d'imprimer hérésie et blasphème qui font pleurer monsieur bondieu. Le palais de "Lysá nad Labem", où se trouvait son imprimerie, fut envahi par les agents de la force publique mandatés par l'empereur Charles VI en personne, lesquels emmenèrent quelques 12 chariots de preuves accablantes jusqu'au consistoire de la sainte inquisition. L'imprimerie fut fermée, le comte incarcéré (temporairement cependant), et la peine de mort pesait sur ses épaules d'infidèle forcené. L'enquête dura 7 ans. 7 longues années durant lesquelles François-Antoine mit à contribution un nombre incalculable de connaisses de son réseau LinkedIn afin de s'en tirer favorablement avec une simple condamnation pécuniaire. Il fut cependant si accablé par toute cette affaire, qu'il se mit en retraite, et termina ses jours loin du monde, dans un fauteuil à bascule devant la téloche, une couverture sur les genoux et une pipe à la main.

Une autre de ses fastueuses couillonneries dont je ne puis vous cacher l'existence, fut l'affaire du cerf blanc de son épatance l'empereur. Alors ne me demandez pas ce que c'est qu'un cerf blanc. J'ai pas fait zoologie comme zétude, et la seule chose que je connaisse des zanimaux, c'est les bons morceaux que je demande à mon boucher. Mais c'est pas grave pour nôtre histoire, de quoi que c'est qu'un cerf blanc. Sachez simplement qu'à l'instar de la truffe blanche et du caviar blanc, le cerf blanc est rare et cher. Donc en 1723, le tsar Pierre le Gland mit dans un cargo pour Prague, 6 cerfs blancs de Sibérie en cadeau de couronnement pour l'empereur Charles VI (Charles VI était en poste depuis 1711, mais il ne fut couronné roi de Bohême qu'en 1723... retards de la poste...).
Une fois arrivés en Bohême, les cerfs-vidés furent lâchés dans la réserve de chasse impériale de "Brandýs (nad Labem)" et entourés de la plus stricte surveillance jusqu'à la battue qui devait avoir lieu lors du couronnement de Charles. Mais tu sais ce que c'est un cerf de Sibérie, c'est habitué à l'espace, à la liberté, c'est fier et c'est con. Aussi il ne s'en fallut pas plus que de pas beaucoup pour que l'un d'entres-eux se fasse la male, et mette les voiles déguisé en blaireau. Sauf qu'il mit les voiles si maladroitement, qu'il se retrouva quelques jours plus tard sur les terres de chasse du compte "Špork", lequel, ignorant l'exceptionnalité du bestiau, lui mit suffisamment de plomb dans la couenne pour le refroidir instantanément. Certes, vous pourriez me rétorquer qu'il fut blanc (le cerf), et qu'un cerf blanc de Sibérie versus un cerf pas blanc de Bohême, ça pète aux yeux. Ben pas sûr, tiens, regardez les problèmes avec la lessive qui, depuis qu'existe la publicité à la télévision, ne lave jamais le linge assez blanc pour que ça se voit (vu que depuis 50 ans, il y a chaque semaine une lessive qui lave plus blanc que la précédente, cf. Coluche). Ben un cerf c'est pareil. Rien ne ressemble plus à un cerf qu'un autre cerf, qu'il soit blanc de Sibérie ou rose de San Francisco. De plus un chasseur, comme un militaire, ça flingue d'abord, et ça se pose des questions ensuite. Eh, ça me rappelle l'histoire de St Venceslas... Pareil, en 931, profitant des inondations provoquées par la crue de la "Vltava", l'hippopotame du zoo de Prague prit le large sans demander son reste à personne (sans se déguiser cette fois-ci, les costumes n'étant pas à sa taille). Il erra quelques jours dans la forêt avoisinante, avant que St Venceslas, chassant le cerf en compagnie de sa cour, ne lui farcisse le gras de plomb. "Dis-donc, il est zarbi délire ton cerf" lui dit sa grand-mère Ludmila, après être descendue de cheval pour zieuter l'animal de près. Même la meute de clébards en resta perplexe, au point de garder leurs distances de peur d'en attraper la rage (Pasteur n'était pas encore né en 931). "Ah ouais dis-donc" répondit St Venceslas interloqué, "l'est grave zarbi ce cerf-ci, Sissi" (il n'avait pas ses lunettes, alors Ludmila, Sissi, c'est comme un cerf et un hippopotame). "Bon, mais on en fait quoi maintenant?" demanda-t-il en s'adressant à sa cour. Ils se mirent alors tous à chanter en choeur: "He-reu-se-ment qu'il y a Findus, Findus!".

Bref, François-Antoine fut le tout premier de tout l'empire à avoir assassiné un cerf blanc, aussi inutile de vous préciser que le trophée trouva rapidement bonne place au dessus de la cheminée en la gentilhommière de Bon Repos, se voyant ostensiblement et obligatoirement présenté à tout invité du comte. Tout aussi rapidement arriva l'affaire aux oreilles de l'administration des réserves de chasses impériales, qui péta une si formidable gueulante que c'en était même pas la peine de jouer du piano à queue à 2 mains pour faire courir les limaces. Mais l'incriminé répliqua en toute bonne foi: "dis-donc, la faute à qui? Z'aviez qu'à mieux surveiller vos vaches, cochons, couvées". A nouveau, "Špork" s'en tira avec une simple amende, mais apparemment des plus salées (on parle de 5.000 ducats d'or, t'imagines, pour un cerf de Sibérie qui n'est même pas une espèce en voie de disparition sur la liste de l'UNESCO?). Par contre, et contrairement à St Venceslas, notre comte savait quoi faire de l'animal. Z'allez rire, mais de la viande du cerf blanc, il s'en fit préparer un ragoût au vin rouge, et de la peau, il s'en fit coudre une culotte à pont-levis. Mieux, c'est vêtu de cette culotte de peau qu'il s'en rendit à Vienne pour une chouille organisée par Charles VI. Et lorsqu'icelui se permit de lui faire remarquer sa tenue inadéquate, l'insolent "František Antonín Špork" fit remarquer à l'empereur qu'il s'était vêtu pour l'occasion de ce qu'il avait de plus cher, une lederhose en cuir pleine fleur à 5.000 ducats d'or.

Lorsque l'empereur Charles VI vint à Prague pour enfin se faire couronner, il flingua donc les 5 cerfs blancs restants offerts par le tsar Pierre. Et le sachant féru de chasse à courre, "František Antonín Špork" en profita alors pour inviter son empereur sur ses domaines pour une chasse mémorable aux sons des trompes et des aboiements de clébards. La journée du 3 novembre 1723, la St Hubert, fut mémorable. Malgré une pluie battante que le bon comte essayait de faire oublier à son hôte à l'aide des positives paroles "vaut mieux qu'il pleuve un jour comme celui-ci, que quand il fait beau", la chasse fut féconde, et la soirée culmina avec la décoration de l'empereur de l'ordre (tchèque) de St Hubert.
Notez que l'outrecuidant "František Antonín Špork", caressait le secret espoir qu'en remerciement, Charles VI lui rendît la pareille avec un ordre du mérite, voire de la toison d'or. Mais il n'en fut rien. A défaut, "Špork" fit quand même construire plus tard, et en souvenir de la bonne rigolade, le splendide monument dont je vous parle en ce moment.

Pendant cette "bonne rigolade" de 1723 à laquelle prirent part plus de 1.000 chasseurs, 40.000 rabatteurs, et un nombre incalculable de chiens que la forêt en était impraticable pendant plusieurs mois, le massacre fut d'une telle intensité qu'il fallut plusieurs années à la nature pour s'en remettre. Les références de l'époque ne mentionnent pas les détails, mais juste pour vous donner une idées, l'escorte de l'empereur se lâcha quelques années auparavant en cette même forêt près de "Hlavenec". Résultats de 2 semaines de massacre: 195 cerfs, 41 biches, 21 faons, 314 daims, 137 chevreuils, 356 sangliers, 250 porcelets, 43 renards, 7 lièvres et 1 carpe, abattue involontairement lorsque le dentiste impérial tomba dans l'étang de son cheval emballé. Sans dec, la chasse à courre, c'est vraiment un sport pour les hommes, les vrais, moi j'dis.

Le mémorial
Bon, et il ressemble à quoi alors ce mémorial me demanderez-vous? Un socle triangulaire joliment décoré de 3 cartouches aux motifs de la chasse au sanglier, de la chasse au cerf et du banquet de chasseurs, repose sur un plan de pierre brute. Sur ce socle est posée comme une chaplette tabernacloïdale de côtés concavement enfoncés dans le dedans. Les arrêtes verticales sont formées par des colonnes doriques (parfois toscanes, mais l'ordre toscan étant un simplifié du dorique, c'est bonnet blanc et glande au nez) renforcées intérieurement par des piliers romains lesquels supportent une toiture à corniche segmentée de cartouches aux motifs de l'ordre de St Hubert. Accrochées aux colonnes et aux piliers, des tentures entremêlées de putti flottent au vent et s'ouvrent sur la scène principale (cf. plus loin). Sur la toiture, est représentée la vision de St Hubert (l'abus de Jägermeister est nocif pour la vue): au centre, sur un piédestal devant lequel un putto tient les armoiries du comte "Špork", le cerf (blanc?) à croix dorée entre ses bois tance St Hubert agenouillé comme une andouille dans un coin du triangle. Une meute de chiens abasourdis par la scène irréelle se trouve sur le toit en bout de second angle comme témoins du miracle. Et le troisième angle est occupé par un canasson couché dont j'ignore la symbolique (hommage à St Findus?). Quant au motif principal, sous la coupole St hubertienne, il représente l'empereur Charles VI en personne et grandeur nature, vêtu des frusqu'armures des empereurs romains et d'une perruque qui n'est pas sans rappeler un d'sous de bras portugais. Du reste, la posture n'est pas sans rappeler un Louis XIV de Hyacinthe Rigaud: tête tournée au 1/4 de l'axe du tronc, main droite appuyée sur une cane, bras gauche reposant en angle droit sur la hanche, un pied légèrement en avant et le regard hautain, genre "ben moi quand je pète, ça sent même pas mauvais. Na!". Le mémorial de type "dais" ou "baldaquin" est haut de quelques 10 m, et large/profond de quelques 5,5 m.

L'oeuvre construite entre 1724 et 1725 en grès blanc, fut proposée et architecturée par le grand "František Maxmilian Kaňka", tandis que les statues sont d'un autre grand, "Matyáš Bernard Braun". Notez que déjà en 1720, le mécène finança, et les 2 génies construisirent à "Stanovice", près de "Kuks", une construction similaire que certains analphabètes architecturaux considèrent comme identique. Les béotiens! En "Stanovice", l'édifice est plus chaplette que mémorial, construit sur une base carrée et non triangulaire, tandis que les statues représentent la Ste trinité versus Charles VI. C'est tellement différent que ça n'a rien à voir. Bref, notre mémorial de "Hlavenec" se situe sur un infime petit monticule, duquel s'ouvre une vue imprenable sur plusieurs kilomètres de champs à 180°. Il fut inauguré le 4 novembre 1725 (soit 2 ans et 1 jour après la fameuse chasse, c'est pourquoi certaines sources parlent du 3 novembre au lieu du 4, pour faire 2 ans pile-poil, ceci-dit on s'en fout, non, le 3 ou le 4?) à grand renfort de publicité. Comme dit plusieurs fois auparavant, "František Antonín Špork" faisait dans la lèche-culterie industrielle de masse, en particulier si le cul-léché était à même de magnifier l'ego du comte. Or l'empereur de toutes les Autriche... aussi François-Antoine n'avait pas assez d'une seule langue pour honorer son épatante mirobolance. L'idée première était cependant de coller la statue de Charles VI sur le pont de Charles IV. Mais l'affaire capota rapidement. Elle capota d'abord pour une évidente raison de confusion entre les 2 Charles, ensuite parce que les statues du pont sont exclusivement des sanctifiés (hors Jésus, dieu, "Bruncvík" et autres faire-valoir négligeables).
Le comte se résolu donc à planter sa statue à "Hlavenec", et le fit savoir à tous et à toutes en frappant médailles et gravures commémoratives qu'il adressa aux puissants (ça vous plaît? C'est moi qui l'ai fait). Alors des invités à l'inauguration, on n'en n'a plus trace, par contre ce qui est sûr, c'est que le premier concerné, en l'occurrence Charles VI, n'était pas présent puisqu'occupé à faire des salamalecs à Vienne avec les Spagnols (cf. le premier traité de Vienne du 5 novembre 1725). Tout ça pour ça?

Ensuite arriva l'affaire de l'imprimerie et des jésuites en 1729, puis les procès, puis la relaxe, puis la retraite, et en 1738 "František Antonín Špork" cassa définitivement sa pipe. Il fut inhumé dans une cave humide du domaine de "Kuks", où, pour les raisons précédemment évoquées, son cercueil comme ses restes furent bouffés par les vrillettes et finirent en poussière. "Vanitas vanitatum, et omnia vanitas."

Donc évidemment, je ne peux pas vous inciter à inviter "Hlavenec" rien que pour zieuter sur nôtre mémorial, d'autant plus qu'il n'y a rien d'autre dans les environs. Cependant, c'est seulement à 2 km de l'autoroute (classée voie rapide) R10 qui monte vers "Mladá Boleslav", "Liberec", donc si vous passez le long (de la R10), alors oui, je vous conseille de faire le petit détour qui va bien. Vous pourrez vous garer sur place et gratuitement, vous trouverez des bancs pour asseoir mémé et accessoirement casser la croûte, et la vue sur les kilomètres d'environs est sympa. Par contre y pas de buvette. S'il est bien un truc qui manque sur place, c'est la buvette. Qui sait, avec le temps et les visiteurs, peut-être qu'un jour quelqu'un aura la bonnarde idée d'en ouvrir une, de buvette sur place? Le mémorial à Charles VI est là: 50.2416569N, 14.7064739E.

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