Ville: L'église Ste Marie des anges

Et hop, une exclusivité "made by Strogoff", toute fraîche de la mi-septembre de cette année. Le 11 et 12 du mois précédemmentionné, c'était à nouveau le week-end du patrimoine culturel européen, et donc l'occasion de visiter des trucs que d'habitude on ne visite pas. Et surtout, c'était l'occasion d'y faire des photos, parce que quand y a tellement de monde, ben les empêcheurs de photographier en rond se mettent en congés. Tu parles, emmerder le pauv' Strogoff tout seul ouais, ça ils savent faire, mais quand tout Prague leur tombe sur le râble, trop de boulot, peu de résultat, du coup ils foutent la paix, ces couillons.
Bref, on y était donc avec mon pote John, tôt le matin, que je suis même passé à la télé nationale (si si, véridique), et du coup j'ai plein de nouveautés sous le coude à vous en parler de, mais chais pas quand, vu que la liste grandit, grandit... bien plus vite que je ne puis vous en parler de. Ceci-dit, notre sujet d'aujourd'hui est une énorme coïncidence, qui ne s'inscrit aucunement dans le contexte des journées du patrimoine, parce que tiens... je vous raconte.

On s'en revenait donc de notre dernier objectif, au nouveau monde ("Nový Svět"), et on se disait comme ça, que vu qu'on était dans le coin, qu'on irait bien se jeter quelques roteuses bien méritées au boeuf noir, un de mes trous préférés que je ne fréquente plus qu'occasionnellement. En effet, il y officie trop régulièrement un primitif néandertalien d'envergure cosmique, et son insupportable crétinisme préhistorique doublé de sa misanthropie congénitale envers les clients provoquent en moi des poussées allergiques de furoncles irritants, conséquences d'une pulsion meurtrière inassouvie.
Aussi mon médecin traitant m'en a déconseillé la fréquentation, du boeuf, afin d'apaiser mon urticaire psychosomatique. Et c'est en passant près du monastère des capucins, près de la taverne, place de la Lorette, que l'on remarqua un attroupement suspect devant son entrée (dans le monastère). Ah ouais, y aurait-il visite? Alors je vous le dis en toute franchise, au début, je n'étais pas chaud pour aller taper l'incruste, et pour cause: c'était plein de chiards, un gaillard habillé comme un gardien d'la paix menait le troupeau, et un capucin habillé en capucin semblait servir de guide. Mais tout ceci n'était rien comparé à la maxi-mini-jupe que ma chérie d'amour avait eu la bonne idée d'enfiler. Non pas que je sois pudique, puritain, ni aucunement étroit d'esprit, d'autant plus qu'icelle jupe lui va à ravir puisqu'elle possède des jambes splendides, ma tendresse, mais connaissant les principes rigides de la race pratiquante envers l'exhibition du corps humain, féminin de surcroît, je m'étais dit qu'aller demander à visiter un monastère de capucins vêtue comme elle était vêtue, que c'était peine perdue au mieux, matière à critiques réprobatrices pour sûr. Pensez-donc, pour ceux qui auraient visité les temples catholiques de Rome, de Venise, et même de Prague, avez-vous noté le nombre de petites pancartes "no T-shirt, no short, no chapeau, no jupe, no épaule dénudée, no genou visible, no glace, no cigarette, no sandwich, no animal, no téléphone, no nothing..." aux entrées?
Tiens, anecdote du mois dernier pour illustrer mes propos, arrivée dans l'église du monastère de "Osek" (vous n'en aurez pas de publie, parce que les cisterciens ont interdit la prise de photo). Je m'en visitais donc le monastère en compagnie de la plus fabuleuse guide: "là un tableau de la Vierge, ici c'est St Bernard, céans un bénitier, des voûtes, une fenêtre... romane je crois... le jardin... et donc entrons dans l'église", sans dec, une fabuleuse description des lieux. Pis en entrant dans l'église (en suivant la guide), j'entends soudainement derrière moi "chapeau!". Sec comme un coup de pied au cul, paf! "Ah oui, tiens, c'est vrai, j'ai encore mon bob sur la tête" me dis-je. Oh puis, hein, qu'est-ce que ça peut faire? "Chapeau j'te dis!" que j'entends encore. Alors je me retourne pour voir qui m'adresse la parole aussi cordialement, et je vois un vieux, tout sec, la face vinaigre qui me fait des yeux méchants. "Nous connaissons-nous?" lui demande-je. "Non, et enlève ton chapeau" me répond-il. "Pas besoin" lui dis-je narquois, "chuis pas croyant". Et le gars me retourne "alors t'as rien à foutre ici". Du coup mon sang ne fit qu'un tour, mais plusieurs fois, de haut en bas, puis en sens inverse, et je confesse humblement que l'envie de lui coller mon poing dans sa gueule me traversa l'esprit.
Attends, un sale type en savates et short court allait m'imposer "sa" vision de la tenue vestimentaire adéquate, allait "me" tutoyer et allait juger de "mon" aptitude à entrer dans une église? Je fus grossier et insultant comme rarement. Je lui expédiai une phrase si injurieusement persillée de vulgarité qu'il se figea, et ne sut que répondre (sinon rien). Il m'oublia pour le reste de la visite. Explication une. Autant que je me souvienne, Jésus était juif. Il est fort à parier que dieu le soit itou, puisque Jésus était son fils. Et d'autant que je me souvienne toujours, les juifs portent un chapeau dans les temples. Explication deux. D'autant que je me souvienne encore, la maison de dieu est ouverte même au pécheur le plus invétéré. Croyez-vous que dieu, dans ce cas, attacherait une importance particulière à son apparence (du pécheur)? La tout-nu vestimentaire (chapeau, voile, slip, chaussettes...) dans les lieux saints n'est qu'interprétation, us et coutume, chicanerie et intolérance de certains envers d'autres (cf. les pitres de Paul aux Corinthiens, si vraiment on veut coller à la règle bien orthodoxe. C'est énorme de conn... dans le contexte du III ème millénaire). Explication trois. Etant fanatiquement athée, je ne me sens aucunement concerné par les moeurs confessionnelles et refuse catégoriquement qu'on me les impose.
Je n'ai jamais imposé à qui que ce soit de retirer ses insignes religieux (même distinctifs) en entrant chez moi, sinon ses chaussures de villes (mais c'est purement prophylactique et non religieux).

Bref, j'imaginais déjà l'accueil au monastère... Mais ma chérie d'amour ne se dégonfla pas, et suivie du John, ils allèrent demander au gendarme-ressemblant si l'on pouvait joindre la visite. Ben croyez-le ou non, l'on put. En fait, le bon bougre n'était aucunement gendarme, ni gardien de la paix, mais aumônier en chef de la garde du château de Prague, le capitaine "Vladimír Hudousek". Et comme apparemment il organisait la visite de la crèche pour les gosses, il nous laissa entrer avec eux. Sympa moi j'dis. Quant au capucin, un bon p'tit vieux avec une bonne bouille de capucin et un accent morave prononcé, ben chais pas qui c'était, parce que contrairement à "Vlád'a", son nom n'était pas inscrit sur sa soutane. Quoi qu'il en soit, merci messieurs pour votre affabilité, votre gentillesse et pour les informations fournies durant la visite. Je vous en sais sincèrement gré, tout plein de reconnaissance assurée, vraiment merci de notre part d'à nous trois.
Vous êtes la preuve, si besoin était, que n'est pas gens d'église comme gens d'église, et qu'à l'instar des lentilles de contact, l'évaluation de la tenue vestimentaire adéquate à la visite d'un lieu saint réside dans l'oeil de l'appréciateur.

Alors l'église Ste Marie des anges ("Kostel Panny Marie Andělské") est sobre et austère, gravement. Elle se compose d'un unique vaisseau atypiquement orienté Nord-Sud, simplement couvert d'une voûte en berceau (demi-cylindre), et chichement embelli de 2 chaplettes latérales. Elle est architecturalement parlant très loin de ce que Prague recèle en termes de splendeur baroque, d'exubérance, de fantaisie. Cette petite église-là ne possède aucun clocher, sinon une flèche pour le sanctus (cf. Ste Ludmila), et correspond exactement à l'esprit d'austérité de l'ordre officiant en ses murs: "Ordo Fratrum Minorum Capuccinorum", dit "les capucins". Pour info, dedans la flèche se trouve une cloche pendue en 1714, et fondue par le fameux maître saintier "Mikuláš Löw" dont je vous avais longuement parlé à propos de l'église St Tignasse.

Sinon avant même de continuer, je rappelle aux athées qui seraient à juste titre perdus dans les méandres impénétrables des ordres religieux, que les capucins sont une branche des franciscains (ordre des frères mineurs) patenté (l'ordre) au registre du commerce par St François d'Assise en 1210. Les capucins furent eux patentés en 1525 par Matthieu de Baschi (mais enregistrement papal en 1528), et firent scission de la branche franciscaine alors trop opulente afin de retourner aux joies simples de l'austérité, de la pauvreté, et de la mendicité telles qu'elles furent prônées en ses débuts par St François d'Assise (cf. Antoine Henri de Bérault-Bercastel, Histoire de l'église, p.47 "L'ordre de saint François qui lui avoit été si utile, étant tombé dans un relâchement pitoyable, Dieu suscita un de ses religieux nommé Matthieu de Baschi, pour y rétablir, avec la ferveur primitive, la pauvreté apostolique et tout l'esprit de l'apostolat" ). Les capucins arrivèrent en Bohême le 13 novembre 1599 par le vol de Vienne de 16:43, invités par l'archevêcardinal de l'époque "Zbyněk Berka z Dubé a Lipé", qui entendait ainsi faire jouer la concurrence entre les ordres catholiques, et faire baisser le prix de la messe au grand bonheur des zouailles. Anecdote.
L'archevêque de Prague "Zbyněk" fut nommé à son poste (d'archevêque) par cette bourrique de Rudolf II en 1592, et parce qu'ils s'entendaient comme cochon en foire, l'empereur lui attribua le titre de duc en 1606, et poussa à sa cardinalisation. Malheureusement le pauv' boug' décéda en mars de la même année à l'âge de 55 ans, et n'eut jamais le plaisir de porter la robe pourpre et le chapeau rigolo qui finirent tout neufs chez la costumière du théâtre national et provoquèrent un malheur dans la version tchèque de la cage aux folles après la chute du con-munisme. Ah oui... alors les capucins. Ils arrivèrent donc en 1599, accompagnés par le meneur de la troupe, St Laurent de Brindes. Mais curieusement, personne ne les attendaient, aussi dans les premiers temps, ils logèrent chez l'habitant, à savoir dans le monastère de l'ordre hospitalier des croisés à l'étoile rouge, au bout du pont Charles, côté vieille-ville. Mais l'hospitalité de l'ordre hospitalier avait ses limites (surtout envers les mendiants), et l'on chercha rapidement à loger les nouveaux viendus dans un espace spécifique prévu à cet effet.
En 1600, l'archevêque "Zbyněk" acheta aux Lobko un bout de leur immense jardin, derrière le château de Prague, juste sous les fortifications de la ville, qu'il offrit aux capucins qui se mirent au travail afin d'y construire leur résidence. Ordre mendiant par excellence, ils refusèrent toute aide extérieure pour la construction, sinon des dons en nature comme en argent comptant (fallait bien payer les matériaux), et un peu d'huile de coude locale afin de faire avancer rapidement la construction. Mais aucun architecte, aucun électricien, ni aucun plombier (même PLonais) ne mit la main à la pâte du mortier. Du coup, ben les édifices ressemblent à ce qu'ils ressemblent, et c'est grand' chance qu'ils aient survécu debout jusqu'à jour d'hui. La première pierre de notre église fut posée le 23 mai 1600, et la dernière le 7 juillet de l'année suivante. Ce n'est qu'au petit matin du 16 juin 1602 qu'elle fut sanctifiée. Les travaux se poursuivirent cependant sur le domaine jusqu'en fin 1602 (et même au-delà pour les extensions), où tout fut vraiment terminé. Emménagèrent alors 6 prêtres confirmés (dont une célébrité, z'allez voir), 3 talibans catholiques (étudiants en théologie) et 3 frères laïcs (ils prient moins, donc ils ont plus de temps pour cuire la soupe, faire le repassage, etc...).
Ainsi notre monastère près de la Lorette est le plus ancien monastère de capucins en République Tchèque, et est toujours en fonction. Signalons sinon encore que le prédécesseur de "Zbyněk Berka z Dubé a Lipé", "Antonín Brus z Mohelnice", fit une première tentative d'implantation du capucin en terres de Bohême, juste après le concile de Trente auquel il prit part, mais en cette époque, sa demande fut rejetée par le généralissime de l'ordre (des capucins), au motif que "le climat de Bohême n'était point propice" pour ses mercenaires. Allez savoir s'il parlait des conditions politiques ou atmosphériques? Pour info, en cette période, seul 1/3 de la population se déclarait catholique, et seule la cathédrale était d'obédience catholique dans tout Prague. Aussi en 1599, "Zbyněk Berka z Dubé a Lipé" appuya sa demande d'une bénédiction papale, ce qui mit un tout autre poids dans la requête qui fut ainsi acceptée. Inutile de préciser que dans ces conditions hostiles, les débuts furent plutôt laborieux pour nos moines. Mais (et là je cite les paroles officielles de l'ordre) "par leur mansuétude, leur humilité, leur pauvreté et leur prêche des évangiles, ils conquirent rapidement le coeur des Praguois". Alléluia.

D'un point de vue architectural et urbanistique, le domaine se compose de plusieurs parties construites en diverses périodes. La plus ancienne tranche, aux abords de l'église, est de type renaissance tardive et s'articule autour du jardin d'Eden (cour intérieure dans les abbayes). Au nord se trouve un spacieux réfectoire perpendiculaire à la cuisine qui dispose encore aujourd'hui d'un bassin en pierre gravé de l'année 1738, et destiné à contenir des poissons vivants (aqua-vivarium, parce que le vendredi, c'est poisson frit). Au premier étage, se trouvent les cellules spartiates des moines: espace minimal, décoration absente, Internet bas débit et aisances communes dans la cour. Vers 1665 fut construit un second jardin d'Eden (vers l'Est), entouré cette fois d'édifices de type baroque moyen. Puis entre 1739 et 1748, l'on édifia encore un troisième jardin d'Eden (encore plus à l'Est), bordé cette fois de bâtiments de type baroque tardif (ah ben ça, sans réelle architecte, faut pas s'attendre à du "Kaplický" non plus). Le complexe possédait sa propre pharmacie dont il ne reste plus que le plafond à caissons peints (une partie du mobilier se trouve au musée national), comme sa propre bibliothèque toujours en fonction, et pourvue de son mobilier baroque (accessible au public après inscription auprès des moines).

L'autel principal dans l'église représente la stigmatisation de St François d'Assise (dont je vous passe les détails), et fut peint en 1602 par "Paolo Piazza", devenu lui même capucin sous l'appellation "(Fra', poi Padre) Cosimo da Castelfranco" en 1598. Selon une autre source, ce tableau représenterait St François réclament à Jésus la fameuse indulgence de la Portioncule. Hum... c'est pas vraiment très clair, et c'est pas vraiment très important non plus. Par contre ce qui est tout à fait remarquable, c'est que ce tableau d'apparence anodine représente un exceptionnel exemple de maniérisme vénitien (à Prague), et mérite quelques lignes dans cette publie. Il était une fois le peintre vénitien "Jacopo Palma il Giovane", ("Jacopo Negretti", dit Palma le jeune), d'influence Raphaël, Titien, Caravage... A la mort du fabuleux Tintoretto (1594), Palma the young devint le peintre à la mode de Venise, et coqueluche du monde des arts en Europe, parmi lesquels (monde des arts) notre bonne bourrique de Rudolf II.
Et bien qu'on ne lui attribue aucun disciple (au Palma), il n'en eut pas moins des élèves, dont notre "Paolo Piazza" dont le nom arriva rapidement aux oreilles de l'empereur (Rudolf). D'aucuns vous diront qu'il (Paul) n'eut pas son talent (au Palma). A voir, car il en eut cependant suffisamment afin de vendre ses croûtes au Rudolf, mais encore au pape Paul V ou aux doges de Venise. Et pas que des croûtes. Pour ceux qui sont allés à Rome, notre peintre eut en charge la déco du "Palazzo Borghese" (cf. le pape Paul V, de son vrai nom "Camillo Borghese", don Camillo pour ses potes). Il y peignit principalement (en 1616) des scènes historiques et allégoriques, Marc-Antoine et Cléopâtre à St Tropez, la reine de Saba dans son bain, l'enlèvement des sabines au sérail... mais aussi des portraits, des frises et tout un tas d'autres ornements. Malheureusement, la technique de peinture adoptée par le bougre ("olio in fresco") bousilla rapidement la plupart de ces oeuvres. Seulement 30 ans après, les fresques s'écaillaient, et aujourd'hui il ne reste plus guère que les sabines.
Bref... "Paolo Piazza" arriva à Prague en 1600 (1601 selon une autre source) et prit ses quartiers dans le monastère. Là, il peignit (entres-autres) notre stigmatisé, puis partit pour Munich, Graz (1604), Monaco (1604-1606), Innsbruck (1606), pour revenir à Brno (1607) quelques mois, et retourner à Venise où vous trouverez aujourd'hui le plus grand nombre de ses oeuvres (dans les églises San Polo, Santa Elena, SS. Giovanni e Paolo, ou encore del Santissimo Redentore sur l'île de la Giudecca). Sinon à Prague, il peignit encore un Enfer et Paradis (vers 1601) pour ce couillon de Rudolf, lequel détruisit l'oeuvre quelques années plus tard, lors d'une de ses nombreuses crises de démence. Toujours pour le compte de Rudolf, l'Adoration des Rois Mages lui est également attribuée (sans certitude cependant, selon "Davide De Portogruaro: Paolo Piazza pittore capuccino, in Ateneo Veneto") mais j'ignore où se trouve le tableau aujourd'hui. Et il y en eut encore d'autres, des peintures faites à Prague, mais elles furent perdues, volées (fumiers de Suédois), détruites (couillon de Rudolf), bref, ne sont plus visibles. Aussi le tableau de la stigmatisation de St François d'Assisse de Prague est non seulement exceptionnel du fait qu'il fut conservé, mais encore de part la technique mise en oeuvre. Notez les tons jaune-souffre savamment mêlés aux tons rouge-violet, typiques de la peinture vénitienne et introduits par Véronèse (dont Paul fut fort certainement l'élève).
Notez la puissance des mouvements et surtout de la lumière, inspirés de la technique du Tintoret, précurseur de l'impressionisme. Ce dernier peignait une première couche en noir et blanc uniquement, afin d'accentuer les ombres et les lumières qu'il peignait par dessus. Ben cette même technique unique fut utilisée par "Paolo Piazza" sur notre tableau. La relation maître-élève semble évidente. Mais retour à notre édifice.

La sacristie est une des parties les plus anciennes de l'église, cependant je ne l'ai pas visitée, aussi je ne peux pas vous en dire grand chose. La chaire date de vers 1750, et dispose de l'élément caractéristique des chaires franciscaines: un bras tendu tout seul, comme momifié, tenant dans la main un crucifix afin de rappeler au prêcheur comme aux ouailles que dieu est partout, qu'il voit tout, qu'il entend tout, et que depuis le 2 mai 2008, dieu est bio afin de se conformer à la circulaire relative à l’exemplarité de l’Etat en matière d’utilisation de produits issus de l’agriculture biologique dans la restauration collective (n'oubliez pas que dieu se mange et se boit). La tribune d'orgue fut rajoutée en 1769, lorsque les moines en eurent assez de chanter "a cappella".

D'extérieur, la façade est tout autant sobre que le reste du dedans. Le tympan est un triangle rectangle presqu'isocèle, et tout est dépourvu de la moindre statue, de la moindre colonne, de la moindre stucature. Seule une fresque et moult boulets de canons ornent cet édifice (je reviendrai dessus, la fresque comme les boulets de canons). Dans la première moitié du XVIII ème siècle, le domaine fut relié à la Lorette (complexe de..., également sous administration des capucins) par un "pont des soupirs" couvert, parce que l'austérité, la pauvreté, ça va bien un moment, mais quand il pleut ou qu'il fait -10°C, faut pas déconner non plus, genre.

En cette période (première moitié du XVIII ème siècle), la province capucine de Bohême était à son apogée. Fin XVII ème siècle l'on comptait 21 monastères capucins, et en 1766 l'on recensa 566 prêtres, 40 étudiants et 203 frères laïcs (tous de sexe masculin). Pis arrivèrent les reformes d'à Joseph II. Fin XVIII ème siècle, le monastère se trouvait sur la liste noire (les lieux de culte à fermer), et bien qu'il ne fut pas désacralisé (pour je ne sais quelle raison), le nombre de moines fut drastiquement réduit.
Après la première guerre mondiale et la naissance de la première République Tchécoslovaque, il y eut un regain d'intérêt pour la capucinerie, mais avant même que la machine ne puisse se mettre proprement en route, arriva la seconde guerre mondiale. A nouveau, gros ralentissement de l'activité spirituelle. En 1944, le monastère fut confisqué par les SS afin d'y établir une prison pour les déserteurs allemands. Pis en 1950, les con-munistes mirent un terme final à l'activité religieuse sur tout le territoire, qui ne reprit timidement qu'après le printemps de Prague. Elle se déroulait alors en sous-sol (underground), de façon officieuse et discrète parmi les guitares électriques et les cheveux longs. La reprise date de la chute du con-munisme (1989), mais sans grande passion, les jeunes préférant se tourner vers le sexe, la drogue et le rock'n roll fraîchement importés de l'Ouest. Aujourd'hui, il ne reste que 41... 38 capucins en notre pays.

Anecdotes et historiettes: le 25 mai 1632, lors de la guerre de 30 ans, lorsque les Saxons occupaient Prague, les moines firent péter le mur d'enceinte de la ville accolé au monastère, permettant ainsi aux armées d'Albrecht Wallenstein de pénétrer dans la cité et foutre l'occupant Saxon à la porte.

En mai 1757, lors de la guerre de 7 ans, les Prussiens bombardèrent Prague assiégée à grand renfort de boulets de tailles diverses. Les dégâts sur les monuments furent énormes, principalement du côté de "Hradčany", "Pohořelec" et "Strahov". Aussi en souvenir des souffrances, les habitants incrustèrent dans les bâtiments touchés, les boulets de canons tombés sur la ville. Et les moines capucins ne furent pas en reste, parce que sur les façades Ouest et Sud, ce sont plusieurs dizaines de boules en fonte qu'ils incrustèrent de ci et de là (cf. mes photos). Du coup, j'ai dû décevoir les, qui pensaient que ces boulets s'étaient incrustés dans les murs lors des tirs prussiens. Ben non, du tout, et ça irait à l'encontre des lois élémentaires de la physique. Ces boulets furent intentionnellement posés là par les praguois comme une déco d'en souvenir de.

Sinon l'histoire des capucins qui sonnaient les cloches et perturbaient la concentration du mathématicien impérial Tycho, vous pouvez la lire là, dans une ancienne publie.
Je rajouterais juste pour compléter cette histoire, que le fameux tableau de l'Adoration des Rois Mages de peut-être "Paolo Piazza" (cf. plus haut) aurait été offert gratuitement à l'empereur par les capucins, afin de dissiper son courroux envers eux.

Et puisqu'on parle tableau. Il en est un, dans le monastère, représentant un Christ avec une couronne d'épines sur la tête. Longtemps on l'a cru être un pur "Da Vinci" véritable (comme le St Suaire de Turin :-) mort de rire, j'ai vu le reportage récemment à la téloche). Il s'avère que non, que ce n'est qu'une copie d'une croûte de Luis de Morales, sans doute arrivée à Prague par l'intermédiaire du Rudolf (élevé à la cour des Spagnes). Comment ce tableau sans "réelle" valeur eut fini chez les capucins? Mystère et boules de gnomes. Mais il est fort à parier que ce bougre d'empereur l'aurait échangé aux capucins contre une de leur croûte nettement plus précieuse, le goupil.

Et tiens, le Rudolf, encore lui. Il était une fois, dans la ville de "Rottenburg (am Neckar)" ("Baden-Württemberg"), une statuette de la vierge Marie, adorée des fidèles catholiques qui lui vouaient une adoration intense. Et tout allait bien. Sauf qu'arrivèrent les luthériens, et c'était pas cool pour la statuette. Puis arrivèrent les calvinistes (les potes de Dana d'à Genève :-) et c'était vraiment dur dur pour la statuette (comme pour les autres oeuvres d'art). Vers l'an 1550, ces foutus bougres iconoclastes firent un grand feu de joie, dans lequel ils jetèrent pleins de peintures et de sculptures saintes, parce qu'ils étaient comme ça, les calvinistes. Et parmi les oeuvres d'art foutues au feu, ben y avait notre vierge Marie. Or ce même jour, alors que la statuette se trouvait dans le feu depuis suffisamment longtemps pour être grillée carbone comme une tranche de boeuf dans un restau tchèque, ben ce même jour se promenait en ville ("Rottenburg") "Jan Barvitius", officiellement secrétaire et (mauvais) bras droit attitré du Rudolf, officieusement conseillé en couillonneries secrètes et vermine opportuniste notoire.
Lorsqu'il vit le bel objet résistant au feu, il se dit que tiens, ça pourrait être sympa comme presse papier sur son bureau, et il récupéra précautionneusement la statuette dans le brasier afin de ne pas se cramer les paluches. De retour à Prague, il se rendit compte que finalement non, que la vierge Marie comme presse papier c'est pas trop top, que le St Esprit serait fichtrement mieux, et comme il habitait non loin des capucins, le "Barvitius" fit cadeau de la statuette aux moines qui s'en serviraient sûrement mieux que lui, de la vierge Marie. Sauf que les moines, ben ils en avaient déjà pas mal, des statuettes de la vierge, qu'ils n'avaient même pas encore posé la déco dans leur nouveau monastère, aussi ils la descendirent à la cave se disant qu'ils en auraient usage plus tard, lors du prochain marché aux puces. Et là, commencèrent à se passer des miracles, des trucs que personne ne s'explique encore aujourd'hui mais qui sont si miraculeux, qu'ils arrivèrent aux oreilles de ce luron de Rudolf (vous trouverez tous les détails des miracles mariaux dans les 4 volumes du jésuite "Guilielmus [Wilhelm] Gumppenberg, Atlas Marianus... [Ingolstadt, 1657-1659]").
Lorsqu'en plus le Jean ("Barvitius") lui expliqua comment il avait trouvé la statuette, comment qu'elle était ignifuge au feu et imperméable à la sottise, alors notre Rudolf la voulut illico dans sa fameuse collection des "Wunderkammer" (ou "Raritätenkammer", chais plus). Le jour même, l'objet était chez Rudolf, ce qui somme toute n'était pas surprenant: les capucins se tenaient à carreau et caressaient son altesse dans le sens du poil afin de ne pas se faire expulser de leur couvent suite à l'affaire des cloches du "Tycho Brahe" (cf. plus haut ci-dessus). Ben croyez-le ou non, le soir même, la statuette était revenue devant la porte du monastère des capucins, le doigt sur la sonnette. Lorsque l'abbé ouvrit la porte, il vit la vierge Marie, là, toute seule sur le perron, sans personne à la ronde. Miracle (relaté par "Guilielmus [Wilhelm] Gumppenberg"). Mais avant même qu'elle ne fut à nouveau remisée dans la cave, Rudolf fit récupérer "sa" statuette tôt le matin, et la replaça dans sa "Wunderkammer". Ben le soir même à nouveau, devant la porte du monastère des capucins, le doigt sur la sonnette. Et tout ce cirque se répéta 3 ou 4 fois, avant que le Rudolf ne capitule, et décide finalement de laisser la vierge aux moines, au motif qu'il en avait d'autres, des vierges, plus belles et peut-être même plus vierges que celle-là qui ne voulait pas se soumettre.
Cependant l'empereur naïf (voire dérangé), croyant au miracle (comme en tout ce que l'on voulait bien lui faire croire d'ailleurs), offrit des habits en or et pierres précieuses afin que la statuette soit sottement habillée comme le stupide petit nenfant Jésus de Prague. Les moines, quant à eux, étaient persuadés que les anges avaient rapporté la sainte sculpture, aussi ils lui firent édifier un autel dans les années 1680-1690, lequel fut par la suite complété de petits anges rococos-rigolos. Et pour bien immortaliser cette anecdote, le fabuleux "Petr Brandl" la peignit sur toile (la necdote). Les 2 sujets, la statuette comme la toile, se trouvent encore dans l'église de la vierge Marie des anges (cf. mes photos), mais la ressemblance est pour le moins... Disons que Pierre se laissa aller à une certaine interprétation personnelle spécifique à tout artiste de talent (cf. les portraits de Picasso)... Pis vous retrouverez encore la statuette et les moines sur la fresque du fronton de l'église, à l'extérieur, visible de la place de la Lorette, mais j'en ignore l'auteur. Et pour terminer, il est mentionné dans diverses sources (cf. "Guilielmus [Wilhelm] Gumppenberg" mais aussi "Annales Capucinorum Provinciae Bohemiae Austriae et Styriae, 1602") que le petit Jésus tenu dans ses bras par la vierge Marie de "Rottenburg (am Neckar)" apprenait l'Hébreux à St Laurent de Brindes lors de son séjour praguois, afin qu'il puisse convertir plus facilement le peuple juif au catholicisme.
Complet délire, corroboré cependant par Louis-Gabriel Michaud dans "Biographie universelle ancienne et moderne, T. XXIII, p.448. Il apprit en même temps les langues orientales, afin de pouvoir travailler plus efficacement à la conversion des Juifs".

Sinon une petite pièce est tout spécialement consacrée à une crèche, laquelle était par ailleurs le but de la visite de l'attroupement suspect. Mais attention, quand je dis une crèche, c'est pas n'importe laquelle du tout non plus, attention. Il s'agit d'une crèche de vers 1780, composée d'une cinquantaine de figurines dont les humains sont grandeur nature (autour de 175 cm). Elles (figurines) sont faites en papier, en paille, en plâtre, colorées en habits d'époque et badigeonnées à la résine de pin pour la conservation. Vous y verrez des rois mages, des bergers, un p'tit Jésus avec sa vierge maman et son pas vierge papa, des brebis (dont les 2 principales sont en vraie peau, avec de la vraie laine dessus), un chien, et tout plein d'autres faire-valoir. Un des moines passa une dizaine d'années à fabricoter tout ce joli fourbi, et aujourd'hui, les gens font des queues inimaginables en saison de Noël afin de voir cette oeuvre insolite. Curiosité: il est devant la crèche, une petite cassette destinée à recevoir les dons des bonnes gens, histoire d'améliorer l'ordinaire des capucins. Si vous glissez une pièce dans la fente (même des Euros), les 2 brebis devant la tanière du Jésus se mettront à bêler d'une voix rauque (à cause de la fumée des Havanes d'à dieu, cf. Serge Gainsbourg), et remueront la tête de haut en bas et de gauche à droite, comme pour dire, "merci, mais c'est pas assez, glissez encore une autre pièce".
Aujourd'hui c'est automatique, mais avant que l'on invente l'électricité, un capucin se tenait dans une arrière salle, et au son du clin-clin de la pièce, il tirait d'une main sur une ficelle afin de mettre en mouvement les 2 bestiaux, et de l'autre (main) il tirait la queue d'une brebis afin qu'elle produise le bêêêh bêêêh aujourd'hui synthétique. Sinon l'origine de la crèche serait plus compliquée. Lors de la restauration de la vierge Marie (celle de la crèche), il fut découvert dedans son corps du rembourrage en papier, daté de 1725. Du coup, la crèche aurait pu être fabriquée par les moines d'origine napolitaine qui s'installèrent en cette époque à Prague. Peu importe, c'est une belle oeuvre bien rigolote, qui mérite assurément le coup d'oeil.

Ben voilà, donc si vous passez du côté de la Lorette ou du nouveau monde, mettez-voir un oeil dans l'église Ste Marie des anges de Prague, des fois qu'elle serait ouverte, lors d'une messe (et z'avez même pas besoin de vous costumer sur votre 31). Et avant d'en terminer, je souhaite remercier encore une fois le capitaine "Vlád'a" comme le bon capucin qui nous permirent cette visite impromptue. Ste Marie de trouve ici: 50°5'24.19"N, 14°23'26.67"E.

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