Coup de gueule: Carmélites et marketing

Alors avant d’entamer le vif du sujet, je voudrais faire une parenthèse afin de rassurer «le» comme l’«in» croyant sur le contenu de ce blog. Oui je suis athée, agnostique, et anticlérical convaincu, toutefois, et malgré que je bouffe de la viande le vendredi et du curé le reste de la semaine, j’accepte la religion comme un fait (malheureusement) établi et un droit incontesté (heureusement) de tout individu. Cependant cette acceptation, en ce qui me concerne, n’est licite qu’à la seule et unique condition que tout le barouf (et il est copieux) qui s’en accompagne reste confiné aux murs des lieux Saints et ne s’immisce (le barouf copieux qui s’en accompagne) en aucune façon au dehors (des murs des lieux Saints).
Fort de cet aveux, mais également de mon honnêteté morale, je vais faire tout mon possible afin de rester factuel et sincère, sans me laisser emporter par mon naturel de mécréant. Que Dieu me vienne en aide dans ma tâche, amen!
Bon, de quoi qu’il en ressort cette fois ci? Je vous explique, candides touristes du monde entier, car c’est vous, sans même le savoir (enfin j’espère), qui êtes à l’origine de cette affaire. En plein centre de Prague, à quelques 150 m de la place «Malostranské náměstí» se trouve l’église «Panny Marie Vítězné» («Notre-Dame-de-la-Victoire»). A l’intérieur de cette église se trouve une statuette d’un demi-mètre de hauteur, généreux cadeau de la princesse «Polyxène de Lobkowitz» (ça sonne comme un plastique polymère) en 1628 à l’ordre des Carmélites. Cette statuette en cire, est connue par les bigots du monde entier sous l’appellation (d’origine non contrôlée) «Pražské Jezulátko» (soit en français «L’enfant Jésus de Prague», en italien «Bambino di Praga», et en arabe je ne sais pas mais c’est de toute façon sans importance).
Or récemment, les Carmélites ont fait une demande (apparemment déjà acceptée) auprès du conseil municipal afin que soit renommé l’arrêt de tram proche du parvis, actuellement «Hellichova» (du nom du peintre «Josef Vojtěch Hellich», 1807 – 1880), en «U Pražského Jezulátka» (à «L’enfant Jésus de Prague») pour le fallacieux motif d’«aider à l’orientation des touristes souhaitant s’y rendre pour prier et visiter le musée consacré à la statuette, à ses légendes et à ses miracles». Stupéfiant d’ahurissage et déconcertant d’époustouflation! Sans dec, j’en ai les bras coupés tellement le souffle m’en tombe de haut. Soit il s’agit d’une navrante boulette d’envergure planétaire, soit l’attaché de presse Carmélite est une remarquable andouille grâce d’exposition universelle. Sérieusement, examinons un peu ensemble l’ampleur et les conséquences d’une telle absurde déclaration.

D’abord, et par principe. On n’a tout de même pas rebaptisé (sans eau bénite) après la révolution des rues comme «Lenine», «Karl Marx» et autres «17 octobre», pour que les culs-bénits nous imposent des «Petits Jésus», «Vierge Marie» et autres «Saint-Frusquin». Enfin c’est quoi ces âneries, on n’est pas au Saint Siège tout de même.
Ensuite par statistiques. Les Tchèques sont le peuple le moins croyant de toute l’Europe, état de fait publié par le «Wall Street Journal» au mois de décembre 2004. A la question «Croyez-vous en Dieu ?», moins d'un tiers des Tchèques répondent par l'affirmative. Et 30% seulement des personnes interrogées ont déclaré s'identifier à une religion (80% se sont dits catholiques, pour info), ce qui représente encore une fois le score le plus faible d’Europe.
Puis par bon sens. Touriste italien visitant Prague, serais-tu à la recherche du «Bambino di Praga», te viendrait-il à l’idée de descendre à la station «U Pražského Jezulátka»? Encore serait-ce indiqué «At the infant Jesus», bon, mais faudrait-il également spécifier «by tram number 12, 20, 23» car le touriste cornichon est foutu de prendre le métro ou le bus (et dans le mauvais sens de surcroît, empoté qu’il est).

Enfin par risque de précédent. Et tant qu’on y est, pourquoi ne pas renommer la station «Národní třída» («Avenue nationale») en «Tesco, ouvert de 8h à 22h tous les jours, fériés y compris». Et même mieux, «Národní divadlo» (le «Théâtre national») deviendrait pendant une semaine «Mozart: La flûte enchantée à partir de 20:30» et la semaine suivante «Verdi: la Traviata à partir de 21:15». Juste faire drôlement gaffe à la malencontreuse bévue, parce qu’avec une station comme «Vivaldi: Cosi Fan Tutte…», le touriste mélomane n’a pas fini de tramwayager dans Prague.

Bref, sous couvert de prétextes altruistes et bienveillants envers les pèlerins désorientés, il est indéniable que cette décision (de renommer la rue) relève d’intentions purement mercantiles: augmenter le trafic dans les rayons «bondieuseries», et promouvoir par la même un prosélytisme insidieux (ainsi Dieu…).
Et je le prouve! Ma brave dame, mon bon m’sieur, vous n’êtes pas sans savoir que la croyance en le divin traverse actuellement une crise de confiance sans précédent, or sachant que la religion est comme la justice, si l’on ne la voit pas de temps en temps le doute s’installe(*), il est donc primordial de ramener prestement les ouailles dubitatives sur les railles dogmatiques de la foi absolue. Et quelle meilleure stratégie afin de conduire au mieux ce saint apostolat, que l’établie méthode marketing des 4P? Price, Product, Place, Promotion (rassurez-vous, je vais vous le détailler en français).

Le prix - List price, discount, leasing, facilités de paiement, crédit.
Ben là il n’y a pas de vrai problème, les bigoteries Tchèques sont des plus abordables (comme le reste d’ailleurs), payables en plusieurs fois même en devises ou par carte bancaires, et en cas de marasme, le principe du BOGOF fait merveille (Buy One, Get One Free).

Le produit – Fonctionnalité, qualité, apparence, marque, service, support, garantie. C’est là qu’intervient le «Pražské Jezulátko» en «Polyxène de Lobkowitz» :-) made in China disponible dans notre boutique. Il est unique dans le monde (à Prague), la marque «Jésus» véritable est notoirement connue, la garantie est de 4 siècles déjà (sur la statuette, mais de 2 millénaires sur la marque),
l’apparence «idole» est largement supérieure par rapport à Lourdes où il n’y a rien à voir (mais à boire), quant au service, les nombreux miracles qu’on lui attribue (au Jésus) sont là pour en témoigner.

L’emplacement – Localisation, logistique, canaux de vente, niveau de service. Ben nous voilà enfin confrontés au problème, en plein dedans, de l’épineux cactus. Ne pouvant déménager la boutique sur une artère fréquentée et commerciale comme «Na příkopě», il faut faire venir le dévot nanti jusqu'à soi, et comment donc sinon que par la «Promotion»?. Concernant les canaux de vente et le service, il n’y a pas grand-chose à critiquer, il (le service) s’accomplit régulièrement, même en plusieurs langues, toutefois quel retour sur investissement envisager lors que les capucinades ont lieu sans pléthore de chaland?

La promotion – Publicité, messages, public relations, budget. Et là de nouveau, le bât blesse car le besoin en financement se fait cruellement sentir. Et oui, si la foi avait de la valeur, les princes de l’église seraient banquiers.
Malheureusement il n’en est rien, et à défaut de recettes suffisantes pour soutenir la marque, sa notoriété s’essouffle ainsi que celle du produit au grand dam de nos Carmélites. Ajoutés à cela certaines déclarations malheureuses du PDG polonais de la maison mère, sa longue maladie, son conservatisme marqué, et son manque de vision stratégique dans l’avenir, et vous comprendrez aisément que la promotion est un sérieux challenge, coûteux et de longue halène.

C’est ainsi que, face à la problématique «promotion et visibilité de la marque, acquisition de prospects, préservation du portfolio client existant, lieu de vente délocalisé, budget extra limité», jaillit la brillante idée sans doute suggérée par un nouveau miracle du p’tit Jésus (en jupette de soie): plutôt que de payer une coûteuse campagne médiatique (télé, presse, radio, Internet…), pourquoi ne pas profiter de la crédulité des fonctionnaires ainsi que de la passivité des administrés, et récupérer une station de tramway tout entière rien qu’à soi à son nom? Et même mieux, on ne va pas nommer la station de tram en fonction de l’édifice (trop historique, pas assez spirituel), comme la station «Břevnovský klášter» (à «l’abbaye de Břevnov»), non, on va carrément lui donner le nom du produit marketé, «L’enfant Jésus de Prague». C’est pas une idée prodigieusement géniale de publicité gratuite ça, à flanquer une éruption cutanée de boutons de jalousie à Mc Donald et KFC? Parce que eux, ils en auront une de station à leur nom quand les moules auront des dents, et de là à ce que les stations s’appellent «Big Mac» ou «Twister», alors les moules mangeront des frites. Dis donc les Carmélites, vous ne voulez pas vous lancer dans le marketing? Ca paye autrement mieux que le «Jésus»!

(*) Michel Audiard, mais à l’envers (La justice, c’est…)

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