Ailleurs: l'églisette romane de Holubice

Parfois il est des surprises fichtrement agréables, comme ça, inattendues et nopinées, qui vous oignent le coeur au baume d'allégresse pour le reste de la journée.
Tiens, aujourd'hui, je vais vous parler d'un de ces petits chefs d'oeuvres à quelques kilomètres seulement de Prague, qui survécut au temps, aux guerres, aux imbéciliconoclastes et qui, malgré qu'il soit en piteux état, caresse les mirettes des amateurs de ses beautés subsistantes. Aujourd'hui donc, la simili rotonde, ou plutôt l'églisette de la nativité de la vierge Marie de "Holubice" ("Románský kostelík Narození Panny Marie"), à seulement 20 km au Nord-ouest de Prague.

Première mention du bled remonte à 1204, lorsque le roi "Přemysl Otakar I" en fait don comme cadeau au chapitre de Prague
(cf. "Joseph Emler, Regesta Diplomatica Nec Non Epistolaria Bohemiae Et Moraviae Vol I., p 221: 485 Cc. 1204 - Premislo, rex Boemiae, ecclesiae Pragensi terram in villa Golubich sitam donat. Utilitatibus Pragensis ecclesiae devotius invigilans et eam minificis incrementis affectans dilatare, in villa praebendali, quae dicitur Golubich [...] Petitores vero et testes hujus donationis fuerunt hii: Venerabilis II. Daniel Pragensis episcopus [...]"). Notez que de l'église, pas un mot. Il faut attendre 1224 (parfois 1225) afin qu'un document (dont je n'ai pas retrouvé la trace) mentionne la consécration de l'église à la vierge Marie (enfin à sa naissance, selon l'intitulé officiel). Plus tard, au moyen-âge plus jeune, l'église aurait été consacrée à Ste Catherine selon certaines sources, de par les fresques qui se trouvent dans l'édifice (cf. plus loin). Maintenant selon les fresques, il aurait pu s'appeler Ste Odile, Ste Barbara comme St Adalbert.
Allez savoir? La période d'édification n'est pas plus factuelle que sa consécration.

De par ses caractéristiques architecturales, il est pratiquement acquis que la construction est à mettre au compte de la corporation du monastère de "Doksany" (publie à viendre, sur le monastère). Une des principales caractéristiques des constructions de cette corporation est l'érection des murs extérieurs entre des piliers (colonnes), genre sous forme d'arcades parfois (cf. St Léonard [de Noblac] à "Cítov", ou Ste Marie de l'assomption à "Libčany"), caractéristique que l'on retrouve en Italie du Nord (Modène, Parme, Pise), en Autriche ou encore en Bavière.
Notre corporation oeuvrait principalement au Nord-ouest de la Bohême, et dans un laps de temps relativement court, puisqu'on estime la durée de son activité à seulement 30 ans (soit une génération de compagnons) après l'achèvement de la construction (post 1150) du monastère de référence ("Doksany"). Du coup, d'aucuns pensent que la construction de notre simili rotonde aurait pu être de vers cette époque, fin XII ème siècle. Cependant la simplification extrême des caractéristiques architecturales de la corporation en l'église de la nativité mariale par rapport au monastère de "Doksany" laisserait supposer soit une participation conséquente à la construction de tailleurs de pierres locaux pas vraiment doués, voire carrément une complète construction autochtone simplement inspirée de la corporation de "Doksany" (cf. "Anežka Merhautová, Raně středověká architektura v Čechách").
Du coup la construction pourrait être (nettement?) plus récente.

Seconde hypothèse sur l'époque d'édification. Lors des restaurations de 1865, l'on découvrit dans l'autel originel un coffre à trésor contenant de saintes reliques, un tube de vaseline, et un sceau en cire blanche à l'effigie de l'évêque "Pelhřim z Vartenberka" ("Peregrin" ou "Peregrinus" en Latin), évêque de Prague entre 1224 et 1225. Du coup d'aucuns pensent que la construction aurait pu être de vers cette époque, fin du premier quart du XIII ème siècle. Allez savoir? Parenthèse. La corporation du monastère de "Doksany" est caractéristiquement unique en notre pays.
Du fait qu'une seule et unique génération de compagnons construisit les divers édifices qui nous restent aujourd'hui, leur style si particulier n'eut ni de prédécesseurs, ni de successeurs. Leurs remplaçants qui les suivirent sans leur succéder furent les corporations cisterciennes, prémontrées, saxonnes ou franques qui travaillaient dans un style roman tardif.

Et justement, vu qu'on parle architecture... Notre simili rotonde n'est en fait pas vraiment une rotonde, plus maintenant. Au tout début oui, c'était une rotonde, mais vers 1245, l'on rajouta une autre rotonde (abside) à l'Est contre la première, comme pour la Ste Croix mineure à Prague, ou St Georges à "Říp".
C'est d'ailleurs parce que l'église de la nativité de Marie ressemblait de trop aux églises susmentionnées, que l'on décida rapidement (fin XIII ème siècle) d'y rajouter une autre rotonde, au Sud. Ca fit l'affaire comme ça pendant quelques années, mais ça finit par lasser les ouailles. Aussi en seconde moitié du XIV ème siècle, l'on rajouta une tour gothique carrée à l'Ouest, augmentée au XVII ème siècle d'une superstructure et d'un escalier en colique-maçon afin d'y accéder. Et finalement en période baroque, l'on rajouta encore une sacristie rectangulaire au Nord, afin de compléter le tableau visible au XXI ème siècle. Ah si, encore, le mur d'enceinte. Il date de 1854 et fut posé là à la demande du curé, afin que les gosses ne viennent pas en été lui chaparder ses pommes. Auparavant, ce bout de jardin était un cimetière (une croix en fer rouillé en rappelle le souvenir, cf. mes photos). Alors tu parles qu'avec un engrais pareil, les pommes du capelan étaient juteuses sucrées.
Vous verrez également en ce jardin une statue de St Jean Népomucène de cette même année 1854. Selon les anciens du village, elle fut posée là en souvenir des fiançailles de Franzzeppy 1er avec Sissi l'impératrice (personnellement je ne vois pas le rapport, mais bon). On en ignore l'auteur.

La partie centrale (nef?) de l'églisette est percée de 2 fenêtres romanes simples terminées en arc-de-cercle. La partie Sud n'est éclairée que par une seule fenêtre de même type. L'abside, elle, dispose de 3 fenêtres gothiques géminées terminées en ogive. Selon mes sources, le Musée National disposerait d'un carreau originel peint à la main et appartenant autrefois au vitrail d'une des fenêtres.
Il représenterait une charrue dorée dans un champ rouge, surmontée (la charrue) du monogramme M N (cf. plus loin), le tout sur fond bleu. Malheureusement, l'information est impossible à vérifier aujourd'hui, le musée étant fermé pour 5 ans (et il pleut de surcroît). Le diamètre de la nef est de 5,9 m, avec des murs d'une épaisseur de 1,15 m. Le diamètre de l'abside est de 4 m, et les murs sont d'une épaisseur que j'ai oublié de noter. Et puisqu'on parle de noter, notez le monogramme M N sur le porche d'entrée dans la nef (et même ailleurs, cf. les clés de voûtes). Il ne signifie pas Mère Noël, ni Musée National, mais plus probablement "Mariae Nativitas (Natalis)", ou un truc religieux comme ça (interprétation personnelle, car je n'avais pas d'expert avec moi).

Bon, et le morceau de choix, le sot-l'y-laisse de l'édifice, ce sont les fresques dans l'entrée du vestibule, au rez-de-chaussée de la tour carrée. Ces peintures datent de la mi-XIV ème siècle, et furent découvertes sous une couche de crépis lors d'une restauration en 1955. Comme pour l'architecte et le serrurier, le peintre est inconnu, mais il laissa là un fantastique exemple de son talent. Malgré qu'il n'en reste plus grand chose, des fresques, le laïc peut quand même reconnaître Marie et son fils Jésus, accompagnés de Ste Catherine et de St Adalbert. Ensuite l'on peut reconnaître les 4 pères de l'église: St Ambroise, St Augustin (un fragment de), St Grégoire et St Jérôme. Pis afin de satisfaire à l'égalité des sexes, quelques femelles: Ste Barbara et Ste Odile, la sainte patronne de l'Alsace (salü bisàmme, hôpla).
Et ce trombinoscope statique est complété par 2 scènes dynamiques joviales et printanières: la décollation (le coupage de tête) de Ste Catherine et la pidation (par derrière) de St Etienne. L'on présume que l'églisette entière (la nef et les mini-rotondes) était également richement décorée, mais ces fresques disparurent à jamais fort probablement lors de la grande réfection de 1865, ou de celle de 1901, lorsqu'on repeignit les bouts de rotondes de stupides motifs unis surmontés de frises infantiles (cf. mes photos). Mais il y a des restes. Regardez attentivement dans les enfoncements des fenêtres gothiques, vous ne pouvez louper les personnages qui s'y trouvent: Tarass Boulba au concile oecuménique de Foutrange sur Moselle et Lalla Fatma N'Soumer au bras du maréchal Randon à la fête du cochon d'Ungersheim. Mais comme dit, il n'en reste pas beaucoup de ces fresques, aussi faut faire un peu preuve d'imagination afin de deviner les scènes autrefois peintes là.

Pis y a les 2 cloches, Venceslas et Nicolas, originaires de l'atelier de "Jan Michal Mikuláš Löw von Löwenberg" souvent mentionné dans mes précédentes publies. La petite cloche, d'un diamètre de 0,455 m, date de 1659 et jusqu'à récemment était fendue. La grande cloche, d'un diamètre de 0,595 m, date de 1666 et n'a, quand à elle, jamais été fendue. Les 2 cloches furent confiées pour restauration à l'un des saintiers de renommée mondiale souvent mentionné dans mes précédentes publies également, maître "Manoušek", dont les compétences en tant que webmaster sont inversement proportionnelles à celles de fondeur de cloche (sacrément vide comme site [tout est en construction!?], pour un si génial métier). L'une des sonnantes se trouvait exposée dans l'églisette lors de ma visite (cf. mes photos).

L'édifice est aujourd'hui vide. Seuls quelques dessins des gosses du bourg agrémentent la visite de ce patrimoine exceptionnel. Pas un banc, pas une statue, pas un tableau, même l'autel surmonté d'un retable triptyque de 1865 du maître "Josef Vojtěch Hellich" a disparu (je n'ai même pas réussi à savoir où qu'il se trouve aujourd'hui). Il représentait la naissance de Marie au centre, avec Sv Venceslas et Ste Ludmila sur les côtés (anachronique, ok, mais c'est le symbolisme qui est important). Seule la niche servant de tabernacle, fermée par une grille en fer forgé est restée, uniquement parce qu'on n'a pas encore appris à voler un trou. Ah si, et une vieille commode poussiéreuse demeure dans le fond de la rotonde Sud. Subsistent aussi 2 bénitiers maçonnés dans le mur de l'entrée pour l'un, et dans nef pour l'autre.
Mais c'est tout, et c'est peu.

Alors qu'encore récemment en total délabrement, ben aujourd'hui la commune de "Holubice" essaye de prendre soin du plus bel édifice de son cadastre. Sur les quelques 2,3 millions de couronnes (94.000 €) estimées pour la complète réfection, 1/3 fut déjà investi en particulier dans la toiture du dessous de laquelle furent évacués quelques 10 m³ de fiente de pigeon (pour vous dire). Nul doute que la volonté de la commune va permettre une complète restauration de ce joyau roman. La question reste néanmoins quand, en cette période de crise du pognon, et pas qu'en Euro, le pognon en crise?

Alors pour visiter, rien de plus simple. Lorsque vous arrivez devant l'églisette, garez votre voiture, puis allez sonner à la porte de la maison numéro 2, qui fait l'angle de la rue en face, avec un autocollant d'une médaille touristique sur la boîte-aux-lettres. L'on vous donnera les clefs, et vous pourrez visiter-photographier tranquillement, le temps que vous voudrez. Enorme moi j'dis, je n'y croyais pas moi-même. Ensuite n'oubliez pas de verser une obole (à votre bon coeur) dans la caissette et signer le livre d'or, juste là: 50°12'11.203"N, 14°17'35.839"E.

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